Dans l’Ain, un boucher se bat pour que son apprenti ne soit pas reconduit au Mali

Jérôme Lièvre, boucher dans l’Ain, et Ibrahim, son apprenti.

Jérôme Lièvre, boucher dans l’Ain, et Ibrahim, son apprenti. JÉRÔME LIÈVRE

Récit  Arrivé en France en 2020, Ibrahim vit sous le coup d’une obligation de quitter le territoire (OQTF). Son cas illustre parfaitement le casse-tête des travailleurs étrangers en situation irrégulière, sujet brûlant discuté cette semaine à l’Assemblée nationale.

Il y a quelques jours, il aurait dû effectuer un stage dans une boucherie à Paris. Et à la rentrée, entamer son brevet professionnel après avoir décroché son CAP. Au lieu de ça, Ibrahim passe ses journées à ne rien faire. Pleine de projets, sa vie s’est figée le 8 juin à la suite d’une obligation de quitter le territoire (OQTF) prise par la préfecture de l’Ain. « J’étais désespéré, je ne m’attendais tellement pas à ça, tout s’est arrêté d’un coup », raconte le jeune Malien de 19 ans.

L’histoire d’Ibrahim illustre à merveille les méandres dans lesquels peuvent se perdre les travailleurs étrangers plongés dans l’irrégularité et la précarité à la faveur d’un arrêté préfectoral et que le fameux article 3 du projet de loi sur l’immigration  –  devenu l’article 4 bis depuis son passage au Sénat  –  pourrait éviter. Epaulé dans son bras de fer administratif par son patron, Jérôme Lièvre, boucher dans l’Ain chez qui il faisait son apprentissage, Ibrahim a contesté la décision des autorités. Mais le 7 novembre, le tribunal administratif de Lyon l’a débouté et confirmé l’OQTF. Les magistrats relèvent un défaut d’authenticité dans ses actes de naissance et des lacunes dans sa maîtrise du français. Or, Ibrahim a décroché un 17/20 à son oral de CAP, passé une semaine après son OQTF, soit le double de sa moyenne à son arrivée en France en 2020. Après un long périple depuis Bamako, passant par la Libye et l’Italie, Ibrahim est accueilli par l’Aide sociale à l’Enfance de l’Ain. Comme souvent dans le cas des mineurs isolés, c’est à sa majorité que le couperet est tombé. « On les laisse espérer et après, plus rien ! » se désole Jérôme Lièvre.

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Mal conseillé, le jeune Malien a produit une simple attestation de jugement de naissance au lieu d’un acte en bonne et due forme, ce qui rendait sa demande de titre de séjour plus que compromise. « Peu importe pour moi qu’il soit né un 17 janvier ou un 17 juillet ! s’agace Jérôme Lièvre. Ce que je vois en lui, c’est son travail, son comportement. En deux ans, il n’a pas eu un retard, un problème avec moi ou la justice. »

Une pétition signée par presque tout Vaux-en-Bugey

A Ambérieu-en-Bugey et Vaux-en-Bugey où l’artisan possède deux commerces, les clients avaient pris l’habitude de croiser Ibrahim. La situation kafkaïenne dans laquelle se trouve le jeune homme les désole. La pétition lancée par Jérôme Lièvre a été signée par près de 1 400 personnes, soit quasiment tout le village de Vaux-en-Bugey.  Elle a également reçu le soutien de Patrons solidaires, une association qui aide les chefs d’entreprise désespérés à l’idée de perdre un salarié apprécié. « C’est pas normal, il ne gagne pas d’argent sur le dos des Français et paye des impôts comme tout le monde. Dans mon secteur, on n’arrive pas à recruter et là, j’avais un jeune qui ne demandait qu’à bosser », se lamente le boucher favorable à la création d’un titre de séjour pour les métiers en tension telle que prévu par le projet de loi immigration en cours de discussion à l’Assemblée nationale.

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La maire a écrit à la préfecture pour qu’elle revoit sa décision. Ibrahim a changé d’avocat, fait appel de la décision du tribunal administratif et demandé l’aide juridictionnelle, ce qui lui laisse encore deux à trois mois de répit. « Je vis dans la peur, c’est comme si j’avais fait du mal à quelqu’un… », soupire le jeune homme.

Depuis ce matin de juin où la préfecture l’a appelé à 7h30 pour lui signifier que son apprenti ne pouvait plus venir travailler, le tablier d’Ibrahim est toujours accroché. Jérôme Lièvre attend son retour.

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