COP28: "Il faut s’assurer que les pays en développement n’aient pas à choisir entre le développement et le climat"
Le président de l’International Fund for Agricultural Development (FIDA) plaide pour que l’adaptation et les financements ne soient pas oubliés à la COP28.
- Publié le 12-12-2023 à 13h50
L’International Fund for Agricultural Development (FIDA) investit en faveur des populations rurales et petits exploitants agricoles afin de lutter contre la pauvreté, d’améliorer la sécurité alimentaire et la nutrition, et de renforcer la résilience de ces populations. Alors que la COP28 touche à sa fin, son président Alvaro Lario tire la sonnette d’alarme sur l’état des financements alloués aux petits agriculteurs et à l’adaptation.
Que pensez-vous des priorités établies par la présidence de la COP28 ? Sont-elles alignées avec celles du FIDA ?
Pour que la COP28 soit un succès, il faut que l’adaptation figure en tête de l’ordre du jour. L’adaptation est aussi importante que l’atténuation (la réduction des émissions de gaz à effet de serre, NdlR) pour assurer un avenir vivable aux futures générations, mais aussi préserver les moyens de subsistance des populations pauvres qui sont actuellement menacés. Ainsi, des millions de petits producteurs agricoles des pays en développement subissent déjà des phénomènes météorologiques extrêmes (inondations, sécheresses, températures élevées, cyclones, etc.). Nous appelons à ce que l’adaptation soit un point important de l’agenda, mais aussi du financement, qui est encore plus important.
Les petits agriculteurs des pays en développement produisent un tiers des aliments de la planète et jusqu’à 70 % des aliments en Afrique et Asie, mais ne reçoivent que 0,8 % des financements climatiques. Quelles sont les conséquences de ce sous-financement ?
Il y a eu une diminution massive des investissements climatiques dans les systèmes alimentaires, l’agriculture, les terres, la sylviculture, mais aussi dans les petits producteurs et les petites entreprises agroalimentaires. Les petits exploitants agricoles sont comme n’importe quelle autre entreprise : s’ils n’ont pas accès à des financements pour s’adapter, ils perdront tout simplement leurs moyens de subsistance. Et dans de nombreux cas, ils seront probablement contraints de migrer. Ce sera donc la première conséquence. La seconde est une augmentation des conflits : nous le constatons déjà à propos des ressources en eau, par exemple, entre les nomades et les éleveurs du Sahel. Si nous ne les aidons pas à s’adapter à ces conditions, les conflits autour de ces ressources ne feront que s’aggraver.
Comment le changement climatique va-t-il aggraver les problèmes des communautés vulnérables ?
Une personne sur dix dans le monde souffre de la faim. Le changement climatique va entraîner une baisse des rendements et une augmentation des prix des denrées alimentaires dans les économies en développement. Cela entraînera de nombreux problèmes : la faim et la malnutrition augmenteront, en particulier en Afrique subsaharienne, en Amérique centrale et dans les petits États insulaires. Nous attendons de la COP28 des avancées sur l’adaptation, mais aussi des avancées sur une transition énergétique juste pour bon nombre de ces économies en développement. Elles doivent pouvoir poursuivre leur développement actuel, mais sans utiliser le même type d’économie basée sur les combustibles fossiles que les économies développées. Elles ont besoin d’aide pour financer cette transition énergétique et accéder aux énergies renouvelables. Il faut s’assurer qu’ils n’aient pas à choisir entre le développement et le climat, ce qui serait une dichotomie dans laquelle nous les plaçons.
Quels sont les effets sur la production agricole ?
Les recherches scientifiques estiment que les rendements et la productivité de nombreuses cultures actuelles diminueront probablement de 25 % d’ici à la fin du siècle, du moins si nous continuons sur cette trajectoire. Cela aura un impact à la fois sur la composante nutritive des aliments et sur le type d’aliments que nous pouvons cultiver. Si les rendements sont plus faibles, si la santé des sols et l’accès à l’eau sont moins bons, cela aura un impact sur la qualité des aliments. Cela signifie aussi qu’une grande partie des terres arables pourrait être perdues à cause de la mauvaise santé du sol. L’impact sera donc massif si nous ne sommes pas en mesure de mettre en œuvre certains des remèdes actuels.
Justement, existe-t-il des solutions à l’heure actuelle ?
Bien sûr. Il s’agit, par exemple, d’infrastructures adaptées aux événements climatiques extrêmes, comme des infrastructures de stockage des récoltes qui résistent aux inondations, ou des routes submersibles qui ne soient pas détruites à chaque inondation, ou encore des systèmes d’irrigation adaptés au climat. Des systèmes d’alerte précoce sont indispensables. Nous devons aussi diversifier les cultures que nous produisons, et planter des mangroves pour protéger les côtes, notamment de certains petits États insulaires face à l’élévation du niveau de la mer.
Quels sont les obstacles à leur mise en œuvre à l’heure actuelle ?
Il y a deux problèmes. Le premier est que les discussions sur le changement climatique et le débat sur la transformation de nos systèmes alimentaires – les activités de la production agricole à la consommation – ont été menés en parallèle, comme s’ils n’avaient rien à voir l’un avec l’autre. Or ces questions sont étroitement liées. Nous devons donc être attentifs à la manière dont nous produisons des aliments, au type d’aliments que nous produisons, et à le faire d’une manière durable. Le deuxième problème, qui n’est pas une surprise, est évidemment le financement. Nombre de ces pays, en particulier les pays à faible revenu, sont très endettés et ne peuvent donc pas emprunter plus pour mettre en œuvre des programmes d’adaptation. Les subventions sont très limitées. Nous devons donc trouver des mécanismes financiers, comme la réaffectation des droits de tirage spéciaux, l’utilisation de certaines des subventions et taxes alimentaires pour encourager certains comportements ou trouver des solutions pour attirer les investisseurs privés. Les financements qui vont actuellement aux petits exploitants agricoles proviennent à plus de 90 % du secteur public. Nous devons donc créer les mécanismes financiers et les actifs investissables pour attirer le secteur privé vers ces solutions.
Y a-t-il une évolution dans la façon dont le secteur privé perçoit ces investissements ?
Malheureusement non. Ce que nous constatons encore, c’est qu’il y a suffisamment de financement pour l’atténuation dans les économies développées. Il y a beaucoup moins de financement pour l’atténuation dans les économies en développement et beaucoup moins pour l’adaptation en général. En 2019, lors du Pacte de Glasgow, un appel a été lancé aux pays pour qu’ils doublent leur financement en faveur de l’adaptation. Il s’agit donc d’atteindre 40 milliards d’euros par an d’ici à 2025. Nous en sommes à 21 milliards au lieu des 40 milliards promis. L’ampleur de l’effort sera déterminante si nous voulons vraiment nous assurer que les communautés les plus vulnérables, en particulier dans les pays à faible revenu, puissent s’adapter dès à présent.
Une déclaration sur l’agriculture durable, les systèmes alimentaires résilients et l’action climatique a été adoptée lors de la COP28. Qu’en pensez-vous ?
L’adoption de cette déclaration par plus de 130 pays est un signal politique fort : les systèmes alimentaires sont enfin au cœur des négociations climatiques. Les pays signataires se sont engagés à inclure l’agriculture et l’alimentation dans leur plan de réduction des émissions. Or les émissions de ces secteurs – principalement en raison de l’agriculture et de l’élevage intensif – représentent un tiers des émissions globales. Les petits producteurs agricoles qui eux contribuent peu au changement climatique voient l’importance de l’adaptation largement reconnue dans la déclaration, ainsi que la question du financement. Mais il faut que cela se traduise par des résultats tangibles sur le terrain, et pas seulement sur le papier. Il faut maintenant agir. Rendez-vous est pris dans un an à la COP29 pour voir les progrès accomplis.