A 18 ans, Joyeuse pensait accomplir son devoir de citoyenne pour la toute première fois. Mais à son arrivée, vers 6 heures du matin, au centre de vote Mboga, en périphérie de Goma, l’une des principales villes de l’est de la République démocratique du Congo (RDC), la jeune femme aux cheveux courts et à la robe longue n’a, comme bien d’autres, pas retrouvé son nom sur les listes électorales affichées sur la devanture des bureaux. « Est-ce que je vais quand même pouvoir participer ? Je ne comprends pas, j’ai cherché partout et c’est bien ici que j’ai été enregistrée. J’ai posé la question aux représentants de la Commission électorale nationale indépendante (CENI), mais ils n’ont pas su me répondre », déplore-t-elle en fendant la foule.
Mercredi 20 décembre, la province du Nord-Kivu n’a pas fait exception aux retards qui ont compliqué le déploiement du matériel électoral et aux dysfonctionnements des machines à voter constatés à l’échelle nationale alors que près de 44 millions de Congolais étaient appelés aux urnes pour des élections générales – la présidentielle, des législatives, des provinciales et une partie des communales.
Dans cette province, la seconde en nombre d’électeurs après la capitale Kinshasa, le scrutin s’annonçait chaotique. Aux portes de Goma, plus d’un demi-million de déplacés en provenance du Rutshuru, du Masisi et du Nyiragongo, trois territoires en proie à la guerre entre les rebelles du Mouvement du 23 mars (M23) et l’armée congolaise et ses supplétifs, s’entassent dans des camps.
Interminables files d’attente
Comme ces milliers de familles, Joyeuse a elle aussi fui les combats qui ont éclaté en 2022 à Kibumba, sa localité d’origine, pour se réfugier en périphérie de Goma. En février, elle avait réussi à obtenir une carte d’électeur. La Commission électorale nationale indépendante (CENI) avait alors installé des centres « d’enrôlement » dans les camps de déplacés pour y enregistrer les futurs votants. « Mais aujourd’hui, seuls quelques bureaux de vote pour les déplacés ont été délocalisés. Et leurs noms sont mélangés à ceux des autochtones. Ajouter à cela les retards dus à des difficultés logistiques, c’est confus », explique Mohamed Radjab Biteko, un observateur de l’Organisation de la société civile pour la paix au Congo (OSCP).
Autour de lui, plusieurs centaines d’électeurs cherchent à se faire une place dans les interminables files d’attente. « Les urnes, isoloirs et autres matériels ne sont arrivés qu’il y a quelques heures », expliquait un agent de la CENI mercredi aux environs de 10 h 30. En théorie, le scrutin devait s’ouvrir à 6 heures, mais, dans son bureau, la machine électronique qui enregistre les votes est en panne et le seul technicien du centre est déjà occupé ailleurs.
« Je viens d’être recalé », déclare, furieux, un vieil homme, sa carte d’électeur en main. « J’ai pourtant été enrôlé ici, mais comme je suis un déplacé du Rutshuru, on m’a refusé le vote », précise-t-il. Ce territoire, tout comme celui du Masisi, est aujourd’hui en partie contrôlé par les rebelles du M23, soutenus par le Rwanda voisin, selon divers rapports dont ceux des experts des Nations unies. Incapable d’y ramener la paix et d’y restaurer l’autorité de l’Etat, Kinshasa a finalement exclu du vote tous les ressortissants de ces localités sans indiquer le nombre de personnes concernées.
« Je n’ai plus qu’à rentrer à la maison », ajoute, bredouille, celui qui s’est vu sèchement refuser son droit d’électeur. Son abri, une bâche en plastique montée sur quelques piquets de bois, est pourtant situé à quelques mètres du centre de vote, installé au cœur du camp de déplacés. « Sommes-nous encore des Congolais ? Nous nous sentons rejetés », réagit Prospère, un déplacé de Tongo, dans le Rutshuru, alors que les habitants de ce territoire ainsi que ceux du Masisi n’ont pu voter ni pour leur futur président, ni pour leurs élus provinciaux et nationaux.
Défis logistiques
A Kinshasa, quinze sièges du Parlement resteront donc vacants jusqu’à l’élection de ces députés, repoussée à une date ultérieure qui n’a pas encore été communiquée. Denis Kadima, le président de la CENI avait pourtant promis « qu’aucun Congolais ne sera mis de côté ». La veille des élections, il avait anticipé les retards éventuels en permettant la prolongation des opérations pour que tous les bureaux puissent ouvrir durant onze heures au total. Selon la Synergie des missions d’observation citoyenne des élections (Symocel), à l’échelle nationale, 59 % des bureaux qu’elle a visités ont ouvert en retard.
A Goma, dans le centre-ville, les défis logistiques de la matinée du mercredi ont entraîné une fermeture tardive des bureaux de vote. A l’institut Mavuno, les opérations de dépouillement n’ont commencé que tard dans la soirée, à la lampe torche ou éclairées par le téléphone des opérateurs de la CENI ou des observateurs. Comme dans le reste du pays, le vote a été prolongé de vingt-quatre heures et jeudi matin des bureaux avaient rouvert à Goma en raison de « problèmes techniques, notamment de batterie sur les machines à voter », justifie un responsable local de la CENI.
« Malgré tous ces problèmes, je suis quand même heureux d’avoir voté », conclut Hériter, un habitant du quartier des volcans de Goma, satisfait que la date annoncée du 20 décembre ait été respectée. Dans la capitale du Nord-Kivu, les 400 000 électeurs sont allés aux urnes sans heurt ou incident majeur. Contrairement à la province voisine, en Ituri, frappée, depuis sa reprise en 2017, par un conflit communautaire, où des déplacés ont saccagé plusieurs bureaux, furieux d’avoir été exclus du vote.
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