Cet article vous est offert
Pour lire gratuitement cet article réservé aux abonnés, connectez-vous
Vous n'êtes pas inscrit sur Le Monde ?

« Sommes-nous encore des Congolais ? » : dans l’est de la RDC, des élections a minima pour les déplacés

Plus d’un demi-million de personnes, chassées de territoires en guerre, vit aux portes de Goma. Retards et dysfonctionnements entravent le déroulement du scrutin.

Par  (Goma, correspondance)

Publié le 21 décembre 2023 à 12h06, modifié le 21 décembre 2023 à 12h45

Temps de Lecture 3 min.

A Goma, dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC), des centaines de Congolais attendent de pouvoir voter pour les élections générales le 20 décembre 2023.

A 18 ans, Joyeuse pensait accomplir son devoir de citoyenne pour la toute première fois. Mais à son arrivée, vers 6 heures du matin, au centre de vote Mboga, en périphérie de Goma, l’une des principales villes de l’est de la République démocratique du Congo (RDC), la jeune femme aux cheveux courts et à la robe longue n’a, comme bien d’autres, pas retrouvé son nom sur les listes électorales affichées sur la devanture des bureaux. « Est-ce que je vais quand même pouvoir participer ? Je ne comprends pas, j’ai cherché partout et c’est bien ici que j’ai été enregistrée. J’ai posé la question aux représentants de la Commission électorale nationale indépendante (CENI), mais ils n’ont pas su me répondre », déplore-t-elle en fendant la foule.

Mercredi 20 décembre, la province du Nord-Kivu n’a pas fait exception aux retards qui ont compliqué le déploiement du matériel électoral et aux dysfonctionnements des machines à voter constatés à l’échelle nationale alors que près de 44 millions de Congolais étaient appelés aux urnes pour des élections générales – la présidentielle, des législatives, des provinciales et une partie des communales.

Dans cette province, la seconde en nombre d’électeurs après la capitale Kinshasa, le scrutin s’annonçait chaotique. Aux portes de Goma, plus d’un demi-million de déplacés en provenance du Rutshuru, du Masisi et du Nyiragongo, trois territoires en proie à la guerre entre les rebelles du Mouvement du 23 mars (M23) et l’armée congolaise et ses supplétifs, s’entassent dans des camps.

Interminables files d’attente

Comme ces milliers de familles, Joyeuse a elle aussi fui les combats qui ont éclaté en 2022 à Kibumba, sa localité d’origine, pour se réfugier en périphérie de Goma. En février, elle avait réussi à obtenir une carte d’électeur. La Commission électorale nationale indépendante (CENI) avait alors installé des centres « d’enrôlement » dans les camps de déplacés pour y enregistrer les futurs votants. « Mais aujourd’hui, seuls quelques bureaux de vote pour les déplacés ont été délocalisés. Et leurs noms sont mélangés à ceux des autochtones. Ajouter à cela les retards dus à des difficultés logistiques, c’est confus », explique Mohamed Radjab Biteko, un observateur de l’Organisation de la société civile pour la paix au Congo (OSCP).

Autour de lui, plusieurs centaines d’électeurs cherchent à se faire une place dans les interminables files d’attente. « Les urnes, isoloirs et autres matériels ne sont arrivés qu’il y a quelques heures », expliquait un agent de la CENI mercredi aux environs de 10 h 30. En théorie, le scrutin devait s’ouvrir à 6 heures, mais, dans son bureau, la machine électronique qui enregistre les votes est en panne et le seul technicien du centre est déjà occupé ailleurs.

Dans le bureau de vote de l’Institut Zanner, à Goma, dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC) lors des élections générales du 20 décembre 2023.

« Je viens d’être recalé », déclare, furieux, un vieil homme, sa carte d’électeur en main. « J’ai pourtant été enrôlé ici, mais comme je suis un déplacé du Rutshuru, on m’a refusé le vote », précise-t-il. Ce territoire, tout comme celui du Masisi, est aujourd’hui en partie contrôlé par les rebelles du M23, soutenus par le Rwanda voisin, selon divers rapports dont ceux des experts des Nations unies. Incapable d’y ramener la paix et d’y restaurer l’autorité de l’Etat, Kinshasa a finalement exclu du vote tous les ressortissants de ces localités sans indiquer le nombre de personnes concernées.

« Je n’ai plus qu’à rentrer à la maison », ajoute, bredouille, celui qui s’est vu sèchement refuser son droit d’électeur. Son abri, une bâche en plastique montée sur quelques piquets de bois, est pourtant situé à quelques mètres du centre de vote, installé au cœur du camp de déplacés. « Sommes-nous encore des Congolais ? Nous nous sentons rejetés », réagit Prospère, un déplacé de Tongo, dans le Rutshuru, alors que les habitants de ce territoire ainsi que ceux du Masisi n’ont pu voter ni pour leur futur président, ni pour leurs élus provinciaux et nationaux.

Défis logistiques

A Kinshasa, quinze sièges du Parlement resteront donc vacants jusqu’à l’élection de ces députés, repoussée à une date ultérieure qui n’a pas encore été communiquée. Denis Kadima, le président de la CENI avait pourtant promis « qu’aucun Congolais ne sera mis de côté ». La veille des élections, il avait anticipé les retards éventuels en permettant la prolongation des opérations pour que tous les bureaux puissent ouvrir durant onze heures au total. Selon la Synergie des missions d’observation citoyenne des élections (Symocel), à l’échelle nationale, 59 % des bureaux qu’elle a visités ont ouvert en retard.

A Goma, dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC), des membres de la Commission électorale nationale indépendante (CENI) lors du dépouillement du scrutin des élections générales du 20 décembre 2023.

A Goma, dans le centre-ville, les défis logistiques de la matinée du mercredi ont entraîné une fermeture tardive des bureaux de vote. A l’institut Mavuno, les opérations de dépouillement n’ont commencé que tard dans la soirée, à la lampe torche ou éclairées par le téléphone des opérateurs de la CENI ou des observateurs. Comme dans le reste du pays, le vote a été prolongé de vingt-quatre heures et jeudi matin des bureaux avaient rouvert à Goma en raison de « problèmes techniques, notamment de batterie sur les machines à voter », justifie un responsable local de la CENI.

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés En RDC, le vote se prolonge après une journée chaotique

« Malgré tous ces problèmes, je suis quand même heureux d’avoir voté », conclut Hériter, un habitant du quartier des volcans de Goma, satisfait que la date annoncée du 20 décembre ait été respectée. Dans la capitale du Nord-Kivu, les 400 000 électeurs sont allés aux urnes sans heurt ou incident majeur. Contrairement à la province voisine, en Ituri, frappée, depuis sa reprise en 2017, par un conflit communautaire, où des déplacés ont saccagé plusieurs bureaux, furieux d’avoir été exclus du vote.

L’espace des contributions est réservé aux abonnés.
Abonnez-vous pour accéder à cet espace d’échange et contribuer à la discussion.
S’abonner

Contribuer

Réutiliser ce contenu

Lecture du Monde en cours sur un autre appareil.

Vous pouvez lire Le Monde sur un seul appareil à la fois

Ce message s’affichera sur l’autre appareil.

  • Parce qu’une autre personne (ou vous) est en train de lire Le Monde avec ce compte sur un autre appareil.

    Vous ne pouvez lire Le Monde que sur un seul appareil à la fois (ordinateur, téléphone ou tablette).

  • Comment ne plus voir ce message ?

    En cliquant sur «  » et en vous assurant que vous êtes la seule personne à consulter Le Monde avec ce compte.

  • Que se passera-t-il si vous continuez à lire ici ?

    Ce message s’affichera sur l’autre appareil. Ce dernier restera connecté avec ce compte.

  • Y a-t-il d’autres limites ?

    Non. Vous pouvez vous connecter avec votre compte sur autant d’appareils que vous le souhaitez, mais en les utilisant à des moments différents.

  • Vous ignorez qui est l’autre personne ?

    Nous vous conseillons de modifier votre mot de passe.

Lecture restreinte

Votre abonnement n’autorise pas la lecture de cet article

Pour plus d’informations, merci de contacter notre service commercial.