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Le spectre de la famine de retour en Ethiopie : « La vie des habitants est indescriptible au Tigré »

Plus d’un an après la fin de la guerre civile, près d’un millier de personnes sont mortes de faim dans la région, où 2 millions d’habitants souffrent de malnutrition aiguë. Une situation qui risque de s’étendre à l’Amhara voisine.

Par  (Nairobi, correspondance)

Publié le 02 janvier 2024 à 18h17, modifié le 05 janvier 2024 à 09h43

Temps de Lecture 3 min.

Des enfants au travail et, derrière eux, des camions éthiopiens calcinés par les armes tigréennes, à Tigré (Ethiopie), en mai 2022.

Le bruit des armes a cessé au Tigré, et c’est désormais la faim qui tue. Elle a emporté 816 personnes aux mois de novembre et décembre 2023, selon les autorités de cette région du nord de l’Ethiopie. Ces dernières s’inquiètent que la catastrophe en cours prenne, à terme, les proportions de la grande famine de 1984, pendant laquelle environ 1 million d’Ethiopiens sont morts, sur les mêmes hauts plateaux du nord du pays.

Dévastés par une guerre civile de deux ans (2020-2022) qui a fait environ 600 000 morts, selon l’Union africaine, le Tigré et ses 6 millions d’habitants font face aujourd’hui à une menace bien plus insidieuse. « Plus de 2 millions de Tigréens sont en situation de malnutrition aiguë à cause de la sécheresse et du manque d’aide alimentaire », assure Gebrehiwot Ghebreigzabhier, qui dirige le bureau régional de l’action humanitaire et qui s’estime « dépassé » par l’ampleur du drame.

L’Afrique de l’Est dans son ensemble connaît sa pire sécheresse depuis quatre décennies, malgré le récent épisode d’inondations lié au phénomène climatique El Niño en novembre. Le Tigré, région rocailleuse habituée aux épisodes d’extrême aridité, a manqué la dernière saison des pluies. Près de la moitié de la province n’a pas reçu de précipitations en été : 141 000 hectares de culture en ont déjà fait les frais, et les récoltes s’annoncent minimes. Un désastre pour cette société agraire, désormais condamnée à attendre le mois de juin avant les prochaines précipitations.

Vaste scandale de détournement

Mais le drame humanitaire qui se joue au Tigré n’est pas uniquement lié à la sécheresse et aux destructions laissées par la guerre. La région se trouve également privée d’aide alimentaire. Le Programme alimentaire mondial (PAM) des Nations unies et l’agence de développement américaine Usaid ont suspendu leurs distributions de nourriture dans le pays entre juin et la mi-décembre après la découverte d’un vaste scandale de détournement orchestré par les autorités éthiopiennes. Avec 29 millions d’Ethiopiens – un quart de la population du pays – en besoin d’assistance humanitaire, d’après les données de l’ONU, l’Ethiopie est le plus grand récipiendaire d’aide alimentaire américaine au monde.

Les distributions ont repris à Noël, mais « elles ne représentent qu’une fraction de ce qui est requis », écrit Getachew Reda, le président de la région du Tigré, dans une lettre ouverte, le 29 décembre. Le PAM ne livre en effet qu’environ 20 % de l’aide requise, car il teste un nouveau processus d’attribution, où les autorités nationales ne dressent plus les listes de bénéficiaires ni n’assurent la surveillance des entrepôts afin d’éviter les vols. Dans le même temps, « des milliers de Tigréens sont morts de faim » depuis six mois, avance Getachew Reda, selon qui 91 % de la population tigréenne nécessite une assistance humanitaire que son administration n’a pas les moyens d’assurer.

En attendant la reprise complète de l’aide internationale, le Tigré doit se reposer sur quelques initiatives citoyennes. Dans le civil, Shewit Wudassie est professeur de droit à l’université de Makalé, la capitale régionale du Tigré. Devant le désastre causé par la faim, il a créé Un déjeuner pour le Tigré fin novembre, une association avec laquelle il a récolté 800 000 euros pour distribuer du kolo, une céréale locale, à plus de 35 000 Tigréens dans les districts d’Atsbi, de Tselemti et d’Abergele, les localités les plus touchées dans le sud et l’est de la région.

« Ces zones furent les principaux champs de bataille pendant la guerre, elles en portent encore les marques, les infrastructures ont été détruites et les fermes ont été pillées par l’ennemi. De plus, elles n’ont pas reçu de pluies l’été dernier. Je ne peux vous dépeindre la vie des habitants. C’est indescriptible. Tous sont malnutris, leurs champs sont cramés et leur bétail est mort. Ils n’attendent plus rien des autorités éthiopiennes et perdent espoir vis-à-vis des ONG internationales », décrit-il. Shewit Wudassie dit s’attendre à des « milliers d’autres morts » en cas de statu quo.

« Propagande inacceptable »

Mais le gouvernement fédéral d’Addis-Abeba reste sourd à ces appels au secours. L’utilisation du terme « famine » par le président du Tigré, Getachew Reda, provoque même l’ire d’Addis-Abeba. Les autorités éthiopiennes réfutent le terme, accusant le Tigré de vouloir « politiser la crise ». Dans l’histoire éthiopienne, que ce soit en 1973 sous l’empereur Haïlé Sélassié ou en 1984 sous le « Négus rouge » Mengistu Hailé Mariam, les épisodes de famine ont eu des conséquences désastreuses pour les régimes en place, accusés d’utiliser l’aide alimentaire comme un levier politique et d’imposer des blocus humanitaires pour combattre des mouvements insurrectionnels.

Pourtant, le premier ministre, Abiy Ahmed, s’était rapproché des autorités tigréennes après l’accord de paix de Pretoria, en novembre 2022, qui mit fin à la guerre civile. Mais soucieux de préserver son image, Addis-Abeba qualifie les appels en provenance du Tigré de « propagande inacceptable ». « Les comparaisons avec la famine des années 1980 sont totalement erronées », a déclaré le porte-parole du gouvernement, Legesse Tulu. Les autorités éthiopiennes n’ont pas donné suite aux sollicitations du Monde.

L’organisme international Famine Early Warning System Network annonce cependant que « l’état d’urgence alimentaire pourrait s’étendre à toute la province du Tigré au début de 2024 », ainsi qu’à des zones de la région voisine de l’Amhara, en raison des maigres rendements agricoles et des faibles distributions de nourriture. Un autre danger émerge. Le Tigré, l’Ethiopie et le reste de la Corne de l’Afrique risquent d’être victimes du progressif désengagement des partenaires humanitaires internationaux de la région. Les organisations humanitaires se focalisent désormais sur d’autres crises, à Gaza par exemple. En 2023, seuls 33,5 % des 4 milliards de dollars (3,6 milliards d’euros) réclamés par les Nations unies dans son plan de réponse humanitaire pour l’Ethiopie ont été financés.

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