Santé physique

16.990 décès attribués à l’hydroxychloroquine durant la première vague de Covid-19, selon une étude

Hydroxychloroquine : Des effets sur la surmortalité hospitalière

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InfoPar Johanne Montay

L’hydroxychloroquine : sans doute, jamais un médicament n’a autant suscité d’émotions. Des attentes, des espoirs déçus, des croyances irréalistes, et des usages sans essai clinique probant préalable, si ce n’est in vitro et à des doses extravagantes.

Utilisée au début de la pandémie, durant la première vague, par des hôpitaux européens et non européens, puis abandonnée par la plupart faute de résultats, cette molécule en principe destinée à traiter le paludisme et les maladies rhumatismales auto-immunes a encore été plébiscitée par certains praticiens, tout au long de la crise.

Aujourd’hui, on en connaît les dégâts, du moins pour les patients hospitalisés entre mars et juillet 2020, dans les hôpitaux de six pays dont la Belgique. Une étude publiée par une équipe lyonnaise estime à 16.990 le nombre de décès attribués à l’hydroxychloroquine dans cette période et dans ces conditions.

Pour estimer la mortalité excédentaire attribuée à l’usage dit "compassionnel" de l’hydroxychloroquine dans le contexte du Covid-19 - c’est-à-dire un usage permettant l’utilisation thérapeutique de médicaments sans autorisation de mise sur le marché (AMM) pour des malades "en impasse thérapeutique" – , les auteurs ont mené une revue systématique et une méta-analyse d’études existantes en Belgique, en Turquie, en France, en Italie, en Espagne et aux États-Unis.

Un retour d’expérience

Le professeur Jean-Christophe Lega, interniste au CHU de Lyon et professeur de thérapeutique, auteur principal de l’étude, tire les leçons de ces résultats : "Je pense que l’apport principal de notre travail, en fait, c’est l’ordre de grandeur qu’il faut retenir : quand on expose très largement à l’échelle populationnelle une molécule inefficace avec une toxicité sous-estimée, on obtient des centaines, voire des milliers de morts à l’échelle de pays tels que la Belgique, la France, l’Italie ou les Etats-Unis. Ce qu’il faut garder en tête, je pense, dans une perspective de retour d’expérience pour de futures pandémies, c’est qu’il faut éviter les extrapolations et ne pas sous-estimer les incertitudes. Et les Britanniques l’ont bien fait. L’urgence est de ne pas prescrire des candidats médicaments à très large échelle. C’est de produire des plateformes qui permettent de générer des très hauts niveaux de preuve en incluant les patients dans des essais cliniques très rapidement."

Une sous-estimation

En croisant les taux de mortalité pour chaque pays et le taux d’exposition à l’hydroxychloroquine, les auteurs ont donc calculé le nombre de décès excédentaires imputables à ce médicament. Ils soulignent que ces chiffres ne représentent probablement que la pointe de l’iceberg, sous-estimant largement le nombre de décès liés à l’hydroxychloroquine dans le monde.

Le professeur Mathieu Molimard, chef de service de pharmacologie au CHU de Bordeaux, appuie cette sous-estimation : "Ce nombre est très sous-estimé, car il manque de nombreux pays. Il manque l’Inde, il manque le Brésil et Dieu sait s’ils ont prescrit ce traitement. Il manque les patients qui sont décédés en ville et cela concerne uniquement la première vague. En un mois en pharmacovigilance en France, on a eu huit arrêts cardiaques par troubles du rythme. Et le diagnostic est difficile parce que quelqu’un qui est mort dans son lit ou en EHPAD, on ne sait pas si c’est un trouble du rythme cardiaque. Il faudrait refaire un électrocardiogramme au moment du décès, qu’on a rarement. Donc, en fait c’est très sous-estimé. Et pourtant, c’était attendu. Les services de pharmacovigilance avaient alerté dès mars 2020 sur le risque, parce que l’hydroxychloroquine peut donner des troubles du rythme cardiaque qui sont favorisés par des facteurs génétiques – on n’est pas tous égaux – ou quand on a déjà une maladie cardiaque. Or, le Covid donne des maladies cardiaques."

En Belgique, le Professeur Jean-Michel Dogné, Doyen de la Faculté de Médecine de l’UNamur et membre belge du Comité de Pharmacovigilance et d’Évaluation des Risques de l’Agence européenne des médicaments (EMA), accueille cette étude avec prudence : " L’étude prend comme seule référence belge une publication portant sur une étude observationnelle nationale sur 8075 patients  (4 542 ont reçu de l'hydroxychloroquine en monothérapie et 3 533 appartenaient au groupe sans hydroxychloroquine), qui concluait, elle, à un taux de mortalité plus faible dans le groupe traité par hydroxychloroquine.  Dans cette vaste étude, la dose d'hydroxychloroquine était de 2400 mg sur 5 jours, soit une dose globalement plus faible que les études principales qui ont permis l'estimation de la surmortalité de 11% associée à l'utilisation d'hydroxychloroquine et appliquée par les auteurs de la publication lyonnaise. Chez nous, la  recommandation " faible dose " était très respectée en raison du risque de cardiotoxicité associé. Cela n’est pas pris en compte par les auteurs. La Belgique a cessé l’utilisation hospitalière dès que des études ont démontré l’absence d’efficacité du produit pour le Covid-19. Cela dit, pour une prochaine pandémie, il faudra organiser dès le départ de grands essais cliniques, ce qui nécessite de grands nombres de patients, pour y voir clair plus rapidement. Mais il est difficile de réécrire l’histoire ".

L'étude belge comportait cependant elle-même des limites : en effet, les patients COVID-19 du groupe "hydroxychloroquine" étaient plus jeunes et présentaient significativement moins de comorbidités, notamment les maladies cardiovasculaires.

Au-delà de ce différentiel lié au dosage selon les pays, cette étude apporte des enseignements pertinents. Le professeur Jean-Christophe Lega conclut : "Je crois que c’est un enseignement important, non pas pour être péjoratif, mais pour avoir un retour d’expérience objectif lorsque se produira, on l’espère, le plus tard possible, une nouvelle pandémie : c’est de ne pas reproduire nos erreurs qui sont d’avoir utilisé des candidats médicaments en pensant que c’était des médicaments."

Cette modélisation et cette estimation constituent un retour d’expérience d’utilité publique pour de futures possibles pandémies. Les morts de l’hydroxychloroquine, un versant de la pandémie jamais mis en lumière par les chiffres.

Covid-19 : l'hydroxychloroquine responsable d'au moins 17.000 décès (La Première 04/01/2024)

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