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En Irak, face au fléau des "tirs de célébration" et aux vendettas, le gouvernement veut récupérer 8 millions d’armes en circulation

Le focus II: Marie-Charlotte ROUPIE, corespondante en Irak

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InfoPar Kevin Dero sur base d'un reportage de Marie-Charlotte Roupie (correspondante RTBF)

En Irak près de huit millions d’armes de tous types seraient en circulation. Sans réel contrôle de l’État, elles sont à l’origine de centaines de morts chaque année. Le gouvernement irakien a lancé une campagne depuis quelques semaines pour les récupérer, mais la route sera longue. C’est ce qu’on peut découvrir dans le reportage de notre correspondante sur place Marie-Charlotte Roupie.

Drames familiaux

Une arme automatique brandie vers le ciel, un homme s’avance en tirant pour célébrer un mariage. Des tirs de célébration qui sont interdits par la loi irakienne, mais la pratique perdure et les conséquences sont souvent dramatiques. Les exemples se comptent par dizaines.

Jusqu’à quand ça va durer ?

Ainsi, en septembre 2021, Hussein, 11 ans, a été victime d’un de ces tirs au hasard. Il vivait dans le quartier défavorisé de Sadr City à Bagdad, jusqu’au jour où une balle est tombée du ciel. " On ne sait pas pourquoi, quelle était la raison, juste un tir au hasard et il a reçu une balle dans la tête " explique-t-on dans sa famille. L’enquête de police n’a pas pu établir l’origine du tir. La famille n’a donc eu aucune réponse à ses questions. Salam et sa femme, ses parents, sont toujours sous le coup de la colère : " Jusqu’à quand ça va durer ? Si vous êtes le Premier ministre, les dirigeants, au lieu de vous préoccuper d’autres affaires, nous voulons que vous vous préoccupiez de votre population. Nous sommes détruits par ces coups de feu au hasard ".

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Convaincre de cesser les tirs de célébration

En Irak, au moins un cinquième de la population serait armé, soit près de huit millions d’armes de tous types, légales et illégales, aux mains de civils. Au sud de Bagdad, une ONG a décidé de tenter de changer les mentalités. Des bénévoles distribuent des tracts pour convaincre les habitants, à minima, de cesser les tirs de célébration : " Si on commence maintenant, dans une dizaine d’années, on mettra fin à ce phénomène ". Si les militants anti-armes se heurtent à l’indifférence de nombreux Baghdadi, ils parviennent néanmoins à convaincre certains habitants. Comme celui-ci, qui, relevant sa manche, dévoile une cicatrice sur son bras droit : " Depuis que j’ai été blessé par une balle perdue, ma vie a changé : je ne peux pas sortir et je ne me sens pas en sécurité ".

Si on commence maintenant, dans une dizaine d’années, on mettra fin à ce phénomène

Le gouvernement irakien a justement lancé une nouvelle campagne pour s’attaquer au problème. Elle prévoit de rendre à l’État le contrôle exclusif des armes. Chaque pièce devra être enregistrée et chaque foyer ne pourra en conserver qu’une seule.

Nous imposerons de sérieuses restrictions sur les armes lourdes et de moyens calibres

Le porte-parole du ministère de l’Intérieur explique : " Une fois que nous aurons fini la phase d’enregistrement et de rachat des armes, nous aurons une estimation du nombre. On pourra alors commencer à les chercher et nous saisirons toutes les armes qui ne sont pas enregistrées, et toutes seront répertoriées. Nous imposerons de sérieuses restrictions sur les armes lourdes et de moyens calibres. Les gens ne doivent pas s’inquiéter, la situation sécuritaire est stabilisée dans tout le pays ".

Homme devant une mosquée de Karbala, en Irak (illustration)
Homme devant une mosquée de Karbala, en Irak (illustration) © Getty

Conflits et vengeances

Près de 700 points de collecte sont prévus, mais ce n’est pas la première fois qu’un gouvernement tente l’opération. Il anticipe une importante réticence de la population. Dans la province de Maysan, dans le sud-est irakien, les armes sont synonymes de pouvoir. Ici, les conflits tribaux et d’interminables cycles de vengeance donnent lieu à des scènes de guerre, faisant des dizaines de morts chaque année. Quelques semaines avant notre venue, le fils d’un chef de tribu a été grièvement blessé dans une attaque ciblée. Sa mère, à son chevet, raconte : " Un groupe l’a attaqué, un gang de terroristes. On ne sait pas qui, ou avec qui, ils l’ont visé. J’ai reçu un appel, on m’a dit que mon fils avait été attaqué, blessé à la tête, que son cas était sans espoir. Je n’ai jamais pensé qu’il s’en sortirait vivant, les balles ont traversé sa tête, juste pour de la jalousie entre jeunes hommes. Ils étaient jaloux du statut de son père ".

Mon fils comme une victime de la réconciliation

Loi tribale

Selon la loi tribale, le sang versé a un prix, mais son père, figure importante de Maysan, s’est engagé auprès des chefs de tribu locaux et du gouvernement, qu’il reçoit ce jour-là, à ne pas déclencher de représailles : " de la position dans laquelle je suis, j’appelle toutes les parties impliquées dans les conflits tribaux à considérer mon sang comme la fin de tout conflit. Je dépasse ma douleur pour avancer vers la réconciliation, je ne suis pas impliqué moi-même dans ces problèmes, mais je considère mon fils comme une victime de la réconciliation ".

Si publiquement toutes ces voix soutiennent la campagne du gouvernement, le micro éteint, nombre d’Irakiens rencontrés estiment qu’ils ont toujours besoin de leurs armes en cas de nouvelle guerre ou pour assurer leur sécurité. Reste donc à savoir qui acceptera de déposer les armes en premier…

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