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Fausse couche : ce détail qui peut empêcher les femmes de prendre l'arrêt de travail sans jour de carence

Une femme sur 10 en moyenne connaît une fausse couche au cours de sa vie, selon un rapport de la revue médicale The Lancet

Depuis le 1er janvier, les arrêts de travail prescrits pour cause de fausse couche sont rémunérés dès le premier jour. Un cas unique pour la sécurité sociale. Et qui place la patiente arrêtée dans une situation délicate. Son employeur peut en effet comprendre qu’un projet de grossesse est en cours. Un détail qui n’en est pas un.

PHOTO AFP / Charly TRIBALLEAU

Depuis le 1er janvier, les arrêts de travail prescrits pour cause de fausse couche sont rémunérés dès le premier jour. Un cas unique pour la sécurité sociale. Et qui place la patiente arrêtée dans une situation délicate. Son employeur peut en effet comprendre qu’un projet de grossesse est en cours. Un détail qui n’en est pas un.

Vivre une fausse couche et perdre trois jours de salaire, une double peine à laquelle de nombreuses femmes ont dû faire face. Depuis le 1er janvier 2024 et l’entrée en vigueur de la loi du 7 juillet 2023, cette situation devrait appartenir au passé.

En effet, en cas d'arrêt de travail classique, le patient a, sauf décision contraire de son employeur ou de la convention collective, trois jours de carence, autrement dit non rémunérés. Un texte de loi adopté le 29 juin 2023 prévoit un "arrêt maladie facilité" en cas de fausse couche.

La fausse couche désigne l'interruption spontanée de la grossesse pendant les cinq premiers mois. Elle entraîne des saignements vaginaux, des douleurs et peut avoir de lourdes conséquences psychologiques.

Un arrêt de travail avec carence pour discrétion ?

Sur le papier, c’est une avancée. Mais, lorsque l’on lit attentivement l’une des modalités de cette mesure détaillée sur le site de la sécurité sociale, la portée semble bien plus restreinte. Dans un article mis en ligne le 4 janvier 2024 sur ameli.fr, les femmes qui vivent une fausse couche sont ainsi prévenues :

“Si votre employeur maintient votre salaire pendant votre arrêt de travail, il sera indemnisé à votre place pour la totalité des jours d'arrêt de travail qui vous sont prescrits. Il pourra alors en déduire que votre arrêt est lié à une interruption spontanée de grossesse”.

Cette dernière phrase précise donc un élément important : l’employeur pourra avoir “indirectement connaissance du motif médical de votre arrêt”. “Indirectement” car la fausse couche est le seul motif qui permet de ne pas avoir de jour de carence en cas d’arrêt de travail.

Aux femmes qui préfèrent ne pas ébruiter cette information auprès de leur employeur, le site de la sécurité sociale conseille : “Vous pouvez demander à votre praticien de vous prescrire un arrêt de travail pour maladie dans les conditions de droit commun. Il sera alors indemnisé avec application du délai de carence”.

La direction de la Sécurité sociale interrogée par La Provence précise qu'il s'agit là d'une "conséquence indirecte de l'application de la loi". Avant d'ajouter que "cela concerne uniquement les situations des assurées dont l’employeur applique la subrogation". La subrogation de salaire concerne "60% des arrêts de travail". Cela désigne le fait que les indemnités journalières de l'Assurance maladie sont transmises directement à l'entreprise lorsque celle-ci maintient le salaire de son salarié pendant un arrêt de travail.

Avant de conclure, "la caisse nationale d’assurance-maladie et la direction de la sécurité sociale ont tenu à ce que les assurées concernées soient informées de cette situation."

Que risque une femme à ce que son employeur puisse être mis au courant de la fin prématurée d’une grossesse ? Elle informe sans le vouloir son employeur d’un possible projet d’enfant. Une information qui peut avoir de vraies conséquences sur une carrière.

Dans une interview publiée en mars 2023 dans le magazine Causette, Claire Hédon, défenseure des droits, dénonce le fait que malgré une loi très protectrice à l’égard des femmes enceintes, l’instance qu’elle dirige reçoit un grand nombre de saisies de la part de femmes qui attendent un enfant.

La grossesse, un risque pour la carrière des femmes

Elle décrit certaines des situations les plus courantes : “Des femmes postulent à un poste, elles sont prises puis, lorsqu’elles disent qu’elles attendent un enfant, elles ne sont finalement pas retenues. Dans le privé, on a des femmes en CDI qui sont poussées à la démission ou licenciées parce qu’enceintes. Dans l'emploi public, ce sont plutôt des non-renouvellements de CDD.

Selon un sondage Odoxa pour Premup en 2015, 21% des 25-34 ans ont déjà caché une grossesse le plus longtemps possible parce qu’elles craignaient la réaction de leur employeur. 17% des femmes ayant déjà été enceintes au travail ou actuellement enceintes et travaillant ont déclaré leur grossesse à leur employeur à 4 ou 5 mois de grossesse, voire 6.

Par ailleurs, comme le rappelle le site Décideurs RH, "près d’un tiers des femmes ont eu le sentiment que l’annonce de leur grossesse avait dérangé leur manager (étude menée auprès de 37 000 salariés par le CSEP et l’Institut BVA en 2018). 1 femme sur 4 a vécu une discrimination ou un harcèlement au travail en raison d’une grossesse ou de sa maternité (Défenseur des Droits, Baromètre 2020 de la perception des discriminations dans l’emploi)".

La loi adoptée en juillet 2023 pour une meilleure prise en charge des fausses couches a d’ailleurs en partie anticipé ce risque de discriminations. Elle offre en effet une protection contre le licenciement pour les femmes qui vivent une fausse couche tardive (qui a lieu après le premier trimestre et avant le 6e mois de grossesse).

Dans ce cas-là, l'employeur ne pourra "rompre le contrat de travail d'une salariée pendant les 10 semaines suivant une interruption spontanée de grossesse médicalement constatée". Cependant, comme le rappelle Ameli.fr, les fausses couches les plus fréquentes sont celles qui ont lieu au cours de premier trimestre de grossesse. Dans ce cas, la loi ne prévoit de protection particulière.

Sandra Lorenzo, l’autrice de cet article a écrit en 2022 un livre et réalisé un podcast sur la fausse couche, elle a également cofondé le collectif "fausse couche, vrai vécu" avec cinq autres femmes engagées. Avec d’autres membres de ce collectif, elle a été auditionnée en commission parlementaire début 2023 sur ce projet de loi, avant qu'il ne soit débattu et ratifié à l’Assemblée nationale et au Sénat en juillet.