À Davos, même des riches (qui le sont de plus en plus) demandent à être plus taxés

Dimanche, à Davos, 350 Suisses, Allemands et Autrichiens ont bravé le froid pour manifester à l'appel de plusieurs associations pour le climat et réclamer une plus forte taxation des plus riches, recommandée par plusieurs économistes. "Eat the Rich", ou encore "Reprenez le contrôle", pouvait-on lire sur les banderoles. À la veille de l'ouverture du Forum économique de Davos, réputé comme étant un forum de riches pour les riches, la question de la taxation et de la justice a été mise en avant par cette manifestation.

En effet, depuis la crise du Covid, l'enrichissement des grandes fortunes s'est accéléré. Et selon  l'ONG Oxfam, qui publie ce lundi, au premier jour du Forum économique mondial de Davos, un rapport sur les grandes fortunes, nommé "Multinationales et inégalités multiples", cette tendance s'est encore accélérée. Selon les chiffres du rapport, la fortune des cinq hommes les plus riches du monde a plus que doublé (+114%) depuis 2020, alors que la richesse cumulée de cinq milliards de personnes a baissé.

Les grandes fortunes liées aux multinationales

Au total, la fortune des cinq personnes les plus riches est passée de 405 milliards de dollars à 869 milliards de dollars. Et la fortune de tous les milliardaires a augmenté de 3 300 milliards de dollars depuis 2020, à une vitesse trois fois plus rapide que celle de l'inflation. Au rythme actuel selon le rapport d'Oxfam, "dans à peine 10 ans, nous pourrions voir pour la première fois la fortune d'un multimilliardaire franchir le cap des 1 000 milliards de dollars", c'est-à-dire "comme gagner un million d'euros par jour depuis la naissance de Jésus-Christ".

Cette accélération du fossé, selon l'ONG, elle est due au lien intrinsèque "entre l'accroissement de la fortune des milliardaires et les superprofits des multinationales" : sept des dix plus grosses entreprises mondiales ont un ou une PDG milliardaire (ou un ou une milliardaire comme actionnaire principal). Et 148 des plus grandes entreprises ont réalisé 1 800 milliards de dollars de bénéfices cumulés, soit une hausse de 52% par rapport à la moyenne des trois dernières années.

En France, les plus riches ont vu leurs revenus augmenter de près de 90%

À l'échelle française, sur le même calcul, les quatre milliardaires français les plus riches et leurs familles (la famille Arnault, la famille Bettencourt Meyers, Gérard et Alain Wertheimer) ont vu leur fortune augmenter de 87% depuis 2020, là où la richesse cumulée de 90% des Français a baissé, toujours selon le rapport publié ce lundi. Ainsi, la branche française de l'ONG appelle à la mise en place d'un impôt sur la fortune climatique pour les multimillionnaires et les milliardaires, qui taxe à la fois le niveau de patrimoine et son impact sur le climat. Une mesure qui permettrait de recueillir 88 milliards d'euros par an.

Dans le monde entier, taxer la fortune des plus riches pourrait rapporter 1 800 milliards de dollars chaque année. À la veille du Forum de Davos, la question de la taxation, et de l'encadrement des fortunes, est donc au premier plan. Oxfam préconise aussi de mieux encadrer les bénéfices versés aux actionnaires, et d'interdire qu'un dirigeant gagne plus de 20 fois le salaire médian de l'entreprise.

Un mouvement de jeunes riches pour la taxation des riches

Des mesures qui sont pour certaines soutenues... par ces personnes riches elles-mêmes. Le groupe TaxMeNow est composé "de personnes riches, avec beaucoup de patrimoine, qui s'engagent pour l'imposition des riches", explique Marlene Engelhorn, 31 ans, l'une des porte-paroles du mouvement. Elle-même est une riche héritière d'une famille autrichienne, qui a hérité de plusieurs millions d'euros il y a un an et demi. "Je travaille avec d'autres personnes riches sur le fait que les riches aussi doivent être imposés", dit-elle. "Ce patrimoine que je possède juste parce que je suis née dans la "bonne" famille, je suis contre, je n'ai jamais pu accepter ça, j'ai lancé une initiative pour redistribuer ce patrimoine de manière démocratique", ajoute-t-elle.

"Si je paie 1 ou 2% d'impôt de plus, ça devient un bien public, une ressource publique, qui peut être distribuée par le gouvernement", affirme Marlene Engelhorn, pour qui ces ressources peuvent être allouées à la transition écologique ou aux infrastructures publiques. Le mouvement TaxMeNow compte une trentaine de membres, et une soixantaine de personnes concernées parmi les quelque 80 000 signataires d'une pétition appelant à "montrer à quel point la crise est de plus en plus forte, si même les riches disent qu'on ne peut plus continuer comme ça, qu'il ne sert à rien d'avoir du patrimoine dans un monde qui est en train de s'écrouler".