Ils sont 5,1 millions selon les dernières données communiquées par le ministère des Affaires étrangères. À ce chiffre, qui représente environ 15 % de la population marocaine, peut s’ajouter l’effectif des personnes vivant à l’étranger et non immatriculées dans les consulats, ainsi que celles nées au Maroc et expatriées. Dès lors, la communauté des Marocains du monde peut s’élever à environ 6 millions de personnes.

Parmi ces expatriés, fils ou petits-fils d’immigrés, nombreux aspirent aujourd’hui à parcourir le chemin inverse de celui emprunté par la première génération dans les années 1960, pour s’installer au Maroc et fuir un climat politique “anxiogène” et des discours “racistes et islamophobes qui minent le moral”, comme le décrit Ghizlane*, cette Franco-Marocaine de 27 ans, actuellement en recherche d’emploi.

“Blues du retour”

J’étais déjà venue au Maroc pour travailler entre 2015 et 2017. Cette expérience m’a fait aimer la vie au Maroc. J’ai dû rentrer à Troyes pour des raisons de santé, mais là je pense sérieusement revenir pour des raisons économiques, sociales et politiques évidentes”, explique-t-elle. Ghizlane se dit même prête à accepter un emploi moins bien payé qu’en France ; l’essentiel pour elle est de disposer d’une meilleure qualité de vie.

Même son de cloche du côté de Fatima, dont les parents ont immigré en France dans les années 1960. À 47 ans, elle aussi a déjà eu une expérience professionnelle de quatre ans au Maroc avant de retourner en 2018 en France pour des raisons personnelles. “J’ai toujours vécu en France, sauf pendant ces quatre ans au Maroc. Et je dois dire que le retour a été une douche froide. Montée du fascisme, du racisme, des inégalités sociales et des violences policières”, souligne cette journaliste qui décrit un “très violent blues du retour”.

Ascension sociale facilitée

Mais au-delà du désir d’échapper à ces tensions, l’envie d’améliorer sa situation économique revient souvent parmi les motifs évoqués par ces Marocains de l’étranger qui aspirent à un meilleur avenir financier et professionnel. Ces personnes, parfois victimes de stigmatisation et d’essentialisation, “sont réduites à des stéréotypes et ramenées invariablement à leurs origines, quel que soit leur parcours”, explique Yassine Ben Mokhtar, doctorant en sciences politiques à l’Université internationale de Rabat.

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Pour ces individus, il devient plus difficile de trouver un emploi, d’accéder à des postes de responsabilité ou de créer leur propre entreprise. Le Maroc devient alors une option privilégiée.

J’ai immigré aux Pays-Bas en 2002, j’ai été naturalisé depuis, je me suis marié et j’ai eu deux enfants âgés aujourd’hui de 18 et 21 ans. Maintenant, je pense avoir épargné suffisamment d’argent pour pouvoir rentrer au Maroc et profiter de ma famille”, se réjouit Omar, un père de famille maroco-néerlandais qui se prépare à retourner au royaume après vingt et un ans de bons et loyaux services dans une entreprise de la capitale néerlandaise, spécialisée dans l’agroalimentaire.

Animé par un profond attachement culturel, il dit vouloir “apporter sa pierre à l’édifice du développement de son pays d’origine”, qui offre désormais de “belles opportunités d’investissement”, en lançant son propre restaurant :

“J’ai longtemps hésité à revenir, car mes enfants étaient jeunes, et je craignais pour leur avenir. Ils sont assez grands aujourd’hui pour faire leurs propres choix, et il n’y a rien de mieux que l’ambiance chaleureuse du pays.”

Dans les médias et sur les réseaux sociaux, cette volonté de retour se manifeste clairement de l’autre côté de la Méditerranée. En témoigne ce groupe Facebook “J’ai décidé de m’installer au Maroc”, qui compte pas moins de 150 000 membres, dont la plupart sont des MRE [Marocains résidant à étranger], échangeant leurs expériences et conseils sur le parcours de retour dans le royaume, ou encore cette page Instagram “Vivre au Maroc” à 8 000 abonnés où conseils et astuces sont partagés régulièrement.

“Bien se préparer”

Mais cette envie de retour apparente est animée en partie par “l’instrumentalisation politicienne devenue contagieuse et l’ambiance anxiogène qui domine le débat public en Europe”, explique le président du Conseil de la communauté marocaine à l’étranger (CCME), Driss El-Yazami. Il apporte toutefois de la nuance : il faut de nombreuses conditions pour passer de l’envie à l’acte.

Selon lui, la réalisation d’un tel dessein dépend de plusieurs facteurs : la situation professionnelle, le statut matrimonial, les attaches sociales que l’on a des deux côtés de la Méditerranée, en plus des opportunités et du cadre de vie recherchés au Maroc.

D’où l’impératif de “bien se préparer et de tenir compte du changement radical qui peut parfois être opéré dans la vie quotidienne”, insiste Jamal Belahrach, président de la Maison de la diaspora, une association qui a pour vocation d’accompagner les membres de la diaspora marocaine qui font le choix d’un retour temporaire ou définitif au Maroc. “Lorsque nous sommes sollicités, nous insistons beaucoup sur cette dimension de préparation car nous voulons que ce retour soit un succès”, explique-t-il.

”Le décalage culturel représente un véritable handicap pour certains individus, car le Maroc des vacances est très différent de celui de la vie quotidienne et il faut bien en tenir compte.”

Si le chemin du retour des membres de la diaspora marocaine peut-être parsemé d’écueils, beaucoup ont réussi à relever ce défi et sont loin de regretter ce choix. C’est le cas de Hakim, un jeune consultant en informatique qui s’est installé au Maroc il y a trois ans en intégrant la filiale d’un cabinet de conseil international à Casablanca.

Retour aux sources

La crise du Covid a été le déclic pour moi, j’ai passé le confinement seul dans un petit studio à Paris, loin de ma famille, et c’était très difficile à supporter […] Quand on m’a proposé un poste à Casablanca, je n’ai pas hésité. Avoir son propre appartement, sa voiture et du soleil toute l’année, c’était pour moi un luxe, se souvient-il.

À 32 ans, le jeune Bordelais s’apprête à se mettre à son compte, une aventure entrepreneuriale qu’il n’aurait probablement jamais tentée en France. “Mes parents ont émigré en France au début des années 1980 pour nous offrir une meilleure qualité de vie. J’ai grandi et étudié en France et j’en suis très reconnaissant, mais les opportunités restent limitées pour nous là-bas, je serais resté salarié toute ma vie. Au Maroc, on nous fait confiance et on nous ouvre des portes, se réjouit-il.

“Je vais inaugurer mon agence de développement Web dans quelques semaines, mon équipe est 100 pour 100 marocaine et j’ai déjà des clients sur place. Je suis très fier de faire partie de l’écosystème marocain. Aujourd’hui, le meilleur avenir est ici.”

Rentré seul au début, il a très vite été rejoint par ses parents, qui se disent heureux de retourner au pays après des décennies de travail acharné. Sa petite sœur, qui poursuit toujours ses études universitaires en France, est tentée par le même chemin.

Motivation religieuse

Au-delà d’un choix stratégique, c’est surtout le sentiment d’appartenance et le désir de retrouver un environnement familier plus accueillant et de pratiquer sa religion librement qui ont poussé la famille de Myriam à rentrer au pays il y a cinq ans déjà.

“Mon père est belge converti et ma mère est marocaine. Nous n’avons jamais eu de problèmes plus jeunes, mais en grandissant, on a été frappées, ma sœur et moi, par le regard et le jugement des autres. La montée de l’islamophobie rendait notre quotidien difficile. Depuis qu’on a commencé à porter le voile, on ne s’est plus senties vraiment chez nous.”

En 2019, pendant leurs vacances à Tanger, les parents de Myriam ont donc décidé d’investir dans des biens immobiliers et de s’installer définitivement dans la ville du détroit. La famille a également fondé l’agence Immo Monfort, spécialisée dans l’intermédiation immobilière à Tanger, et prévoit d’étendre ses activités à Marrakech ou Casablanca.

Contexte Le dilemme des cadres français musulmans

“Partir ou rester ? : c’est le gros dilemme qui se pose à certains cadres musulmans issus de l’immigration en France”, affirmait, au début du mois de décembre, Tout sur l’Algérie (TSA). Selon le site d’information algérien, qui cite des témoignages divers, ce désir de partir traduit une forme de “désenchantement” nourri par “l’avancée de l’extrême droite, des polémiques récurrentes, la banalisation de la parole raciste, une discrimination à l’emploi”. Né en France de parents originaires d’Algérie, Djilali Feghouli, 36 ans, indique ainsi à TSA ne plus supporter “la stigmatisation des musulmans dans les médias français”. Selon lui, les Français musulmans issus de l’immigration disposent de deux options : “Il y a ceux qui veulent aller dans le pays d’origine de leurs parents et ceux qui veulent partir au Moyen-Orient.”

The New York Times, peu avant l’élection présidentielle française de 2022, s’était intéressé à ce même phénomène de départ chez des descendants d’immigrés maghrébins. Le quotidien américain notait déjà que si la France perdait régulièrement “des professionnels hautement qualifiés”, on comptait parmi eux un nombre croissant de Français musulmans. Beaucoup de ces candidats au départ dénonçaient “la discrimination”, considérée comme “un puissant facteur” déterminant dans leur décision. “Ils se sentent contraints de quitter la France en raison d’un plafond de verre de préjugés, d’un questionnement persistant au sujet de leur sécurité et d’un sentiment de non-appartenance”, détaillait ainsi l’article.

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Au Maroc, c’est différent, les gens sont chaleureux et respectueux, je ne me soucie plus du regard des autres, ça me manquait de passer inaperçue”, nous raconte, au téléphone, la jeune femme de 24 ans. Myriam ne cache pas son enthousiasme pour l’avenir, malgré les difficultés rencontrées durant ses premiers mois au Maroc et au lancement du business familial.

Une vie meilleure

Les opportunités d’investissement sont énormes ici, et puis on se sent tellement utiles quand on participe à créer des emplois et de la richesse au Maroc. Mais c’est vrai que ce n’est pas toujours facile”, reconnaît-elle en évoquant les cafouillages administratifs, la longueur des procédures et le manque d’informations claires.

Cofondatrice d’un centre de formation en psychologie d’entreprise en France, Sara Tamimy a décidé, en 2020, d’étendre ses activités au Maroc. Au bout de quelques missions, elle se rend compte de la complexité de l’écosystème marocain et de la difficulté de disposer d’informations fiables et pertinentes.

Nous avons constaté une envie générale des Marocains résidant à l’étranger de rentrer au pays. Le Maroc s’est métamorphosé et, inconsciemment, nous prenons le même chemin que nos parents, mais dans le sens inverse, pour offrir une meilleure vie à nos enfants”, explique-t-elle.

*Les prénoms ont été modifiés