SOINSPayé moitié moins, sur le pont 7 jours sur 7… Un médecin étranger se confie

Hôpital : « Si on n’est pas renouvelés, le service fermera », témoigne un médecin étranger

SOINSLors de sa conférence de presse mardi soir, Emmanuel Macron a affirmé son souhait de « régulariser nombre de médecins étrangers, qui tiennent parfois à bout de bras nos services de soins »
Un médecin et une patiente (illustration)
Un médecin et une patiente (illustration) - studioroman / Canva
Lise Abou Mansour

Lise Abou Mansour

L'essentiel

  • Lors de sa conférence de presse mardi soir, Emmanuel Macron a affirmé son souhait de « régulariser nombre de médecins étrangers, qui tiennent parfois à bout de bras nos services de soins ».
  • Youssef *, médecin algérien exerçant en France depuis quatre ans, en fait partie. Conditions de travail, statut, salaire… Il a accepté de raconter son quotidien à 20 Minutes.
  • « Notre sort, et celui de milliers de patients, sont entre les mains du gouvernement », assure-t-il.

Comme beaucoup de collègues médecins, Youssef *, 31 ans, enchaîne les gardes et les astreintes dans un hôpital de banlieue parisienne. Et lorsque son chef de service est absent, il le remplace lui-même. Pourtant, Youssef gagne deux fois moins que ses confrères. La raison : il a obtenu son diplôme de médecine en Algérie, et est donc considéré comme un « praticien attaché associé ».

Lors de sa conférence de presse mardi soir, Emmanuel Macron a affirmé son souhait de « régulariser nombre de médecins étrangers, qui tiennent parfois à bout de bras nos services de soins » ; des médecins laissés « dans une précarité administrative qui est complètement inefficace ». Youssef, qui a quitté l’Algérie il y a quatre ans, est de ceux-là. Membre de l’Ipadec, un syndicat réunissant les médecins à diplôme étranger, il a accepté de raconter son quotidien à 20 Minutes.

Un service qui tient grâce aux médecins étrangers

Avant d’arriver en France, Youssef a étudié la médecine pendant neuf ans dans son pays. Sept ans de médecine générale, suivis de deux années de spécialisation. S’il n’a pas le titre de médecin en France, il en a pourtant les diplômes… et les tâches.

Parmi les sept médecins de son service actuel, cinq sont étrangers. Et les deux seuls médecins français travaillent deux demi-journées par semaine. « Si on n’est pas renouvelés, le service fermera », assure Youssef. Car les besoins sont énormes. Le service reçoit une cinquantaine de patients par jour, dont 18 lits d’hospitalisation. « Avec notre présence, on n’arrive déjà pas à remédier au manque de médecins dans la région. Mon planning de consultation est complet jusqu’au moins d’août. »

Plus de titre de séjour

Youssef n’a pas le même statut que ses collègues français. Ni le même salaire. « Je suis payé deux voire deux fois et demie moins que les médecins français. » Avec des journées « deux fois plus intenses et trois fois plus stressantes ». « On sait qu’on est compétent, mais on doit toujours le prouver en faisant une tonne d’efforts. Mon dernier jour de repos remonte au 25 décembre. Si on n’est pas indispensable, pourquoi on travaillerait autant ? »

Depuis son arrivée, le médecin enchaîne les contrats à durée déterminée. Seul problème : il n’a plus de titre de séjour. Son dossier est en cours d’instruction à la préfecture depuis le 8 novembre, et son ancien titre a expiré le 25 décembre. Alors Youssef se déplace toujours avec son attestation de demande de renouvellement sur lui. « C’est un stress de chaque instant. »

Un concours à passer, avec des quotas

Une situation qui s’est récemment aggravée avec l’entrée en vigueur de la loi instaurant des épreuves de vérification des connaissances (EVC) pour pouvoir continuer à exercer. Ce concours sélectif est réservé aux praticiens ayant obtenu leur diplôme dans un Etat non-membre de l’UE, avec des quotas en fonction de chaque spécialité. Youssef l’a passé. Sans succès. « Je viens de travailler 25 jours sans interruption. Comment voulez-vous préparer un concours quand on travaille 60 heures par semaine ? C’est impossible. »

Youssef s’étonne également de cette vérification des connaissances. « On se fout de la gueule des Français en disant qu’on les a soignés pendant des années avec des médecins qui n’avaient pas les compétences. Pendant la crise du Covid-19, on était en première ligne. On a fait nos preuves. On ne va pas repartir à la case départ en refaisant des concours. »

Selon le SNPADHUE, le Syndicat national des praticiens à diplôme hors Union européenne, 80 % des « médecins étrangers » exerçant déjà en France n’ont pas obtenu leur EVC. Des praticiens dont le contrat ne sera pas renouvelé, voire interrompu. « Les chefs de service sont solidaires et se battent avec nous », assure Youssef. Les pétitions circulent et une manifestation est prévue ce jeudi à 14 heures devant le ministère de la Santé, à Paris.

Un coup de pouce du gouvernement attendu

Mais le médecin algérien garde un soupçon d’espoir. « Mardi soir, Emmanuel Macron a évoqué la précarité dans laquelle on se trouvait, et il a reconnu qu’il y avait un dysfonctionnement. » Le praticien n’attend désormais qu’une chose : un coup de pouce. « Notre sort et celui de milliers de patients sont entre les mains du gouvernement ». Le médecin souhaiterait que les praticiens dans sa situation puissent être titularisés sans avoir à repasser de concours. Un dispositif transitoire appelé « Stocks », qui existait avant la loi du 24 juillet 2019 portant sur les EVC.

« Si ça ne tenait qu’à moi, je prendrais mes bagages et je partirais en Suisse, assure-t-il. Le salaire est trois fois plus élevé et j’aurais l’assurance d’être médecin suisse dans trois ans. » Mais Youssef n’est pas seul. Il est marié à une Française. « J’ai choisi d’immigrer mais pas ma femme, qui a tous ses proches ici. Ce serait injuste de l’obliger à quitter son pays et à vivre la même chose que moi. » D’autant que la famille va bientôt s’agrandir. Ce mercredi, Youssef a appris le sexe de son futur bébé. Jeudi, il ira manifester avec ses collègues, pour lui permettre de grandir en France.

* le prénom a été modifié pour préserver l’anonymat de la personne qui témoigne.

Sujets liés