“Aimeriez-vous savoir quand vous allez mourir ?” amorce le Washington Post. À cette question existentielle, nombre d’entre nous répondraient sûrement non. C’est peut-être la raison pour laquelle l’article publié au mois de décembre par un groupe de chercheurs danois et américain, intitulé “Using sequences of life events to predict human lives”, est “immédiatement devenu la réflexion danoise la plus célèbre sur la mortalité depuis ‘Être ou ne pas être’”, relate le quotidien américain.

Dès la fin décembre, de nombreux articles sont parus dans la presse internationale sur cette “calculette de la mort”, ainsi que l’a surnommée par exemple le New York Post aux États-Unis ou encore le Daily Mail au Royaume-Uni. Mais comment cela fonctionne-t-il ? Des scientifiques américains et danois ont créé “un modèle d’apprentissage automatique un peu similaire à celui de ChatGPT”, précise USA Today.

Ce modèle, appelé “Life2vec”, a “analysé des données – âge, santé, éducation, emploi, revenus et autres événements de la vie – de plus de 6 millions de personnes originaires du Danemark, fournies par le gouvernement du pays”.

Des prédictions à 78 % correctes

Le modèle a appris à assimiler des informations sur la vie des personnes concernées, dans des phrases telles que : “En septembre 2012, Francisco a reçu 20 000 couronnes danoises en tant que gardien dans un château d’Elseneur.” Ou encore : “Au cours de sa troisième année au lycée, Hermione a suivi cinq cours optionnels.”

Sune Lehmann, professeur de “réseaux et sciences de la complexité” à l’université technique du Danemark, a déclaré sur le site universitaire Northeastern Global News que “toute l’histoire d’une vie humaine, en un sens, peut aussi être considérée comme une très longue phrase décrivant ce qui est arrivé à une personne”. C’est à partir de l’analyse de ces vies retranscrites en séquences d’événements que les prédictions ont été faites.

En assimilant toutes ces informations, l’outil a été capable de prédire correctement, dans 78 % des cas, les morts qui sont survenues jusqu’en 2020 – c’est-à-dire au cours des quatre années qui ont suivi le début de l’étude. Et le modèle est également parvenu à prédire d’autres éléments, tels que “des décisions de partir vivre à l’étranger”.

La question des données privées

Sune Lehmann précise en revanche qu’aucun individu concerné n’a été mis au courant des prédictions concernant sa propre mort. “Cela aurait été vraiment irresponsable”, a-t-il déclaré.

Les scientifiques à l’origine de ces travaux insistent d’ailleurs sur la nécessité de protéger les données personnelles de toutes les personnes dont la trajectoire de vie est susceptible d’être analysée par “Life2vec”. “Les lois danoises sur la vie privée rendraient illégal son usage pour la prise de décision à propos des individus, comme la rédaction de polices d’assurance ou des décisions concernant l’embauche.”

Les créateurs de ce modèle prédictif le voient “moins comme un produit fini que comme le point de départ d’une conversation” sur les usages de l’IA, peut-on lire sur le site de Northeastern Global News. Ce que ces recherches révèlent, en tout cas, est “une mauvaise nouvelle pour les défenseurs de l’humain”, analyse le Washington Post : car “pendant des décennies, l’un des principaux arguments contre l’utilisation de l’IA a été que les êtres humains sont trop spéciaux, trop magiques pour être réduits à des schémas et des probabilités”. Or, conclut le titre, ces résultats montrent l’inverse :

“Les preuves ne cessent de s’accumuler. Ce que nous faisons peut être reproduit parce que nous nous répétons sans cesse.”

Autrement dit, notre mort est prévisible car nous le sommes aussi.