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Monde

En Argentine, la Patagonie désormais à la merci d’appétits étrangers

Élu président en novembre 2023, Javier Milei veut mettre en place une politique ultralibérale.

Le nouveau président argentin, l’ultralibéral et climatosceptique Javier Milei, a adopté un décret qui permet à des investisseurs étrangers de prendre possession des terres agricoles du pays de façon illimitée.

Buenos Aires (Argentine), correspondance

Un virage à 180°. Avec l’arrivée du président ultralibéral Javier Milei, l’Argentine change radicalement de cap. Le pays sud-américain, où l’écologie politique reste marginale, disposait toutefois d’une série de lois protectrices qui encadraient et limitaient l’avancée de l’homme sur la nature, en particulier en matière de propriété terrienne. Ça, c’était avant la prise de pouvoir de Milei, venu renverser la table avec son « décret d’urgence » (DNU, selon l’abréviation espagnole).

Parmi les plus de 300 lois modifiées ou abrogées par ce décret, en vigueur depuis le 29 décembre, figure la loi 26.737, dite Ley de tierras (loi sur les Terres). Datant de 2011, elle définissait jusqu’ici la protection des terres rurales, en limitant notamment « le droit de propriété » sur ces terres rurales et « les investissements dans le secteur ».

Au maximum, 15 % des terres de la nation et de chaque province pouvait être détenu par des étrangers, à qui il était aussi interdit d’acquérir plus de mille hectares dans la zone agricole centrale, les terres les plus productives du pays. Une manière de conserver entre les mains des Argentins les principaux produits d’exportation, source numéro un de devises étrangères.

« Un étranger pourrait être en train d’acheter des terres sans aucune limite »

De plus, la loi interdisait la propriété ou l’exploitation de terres riveraines des cours d’eau (rivières, lacs ou bassins) et de biens immobiliers situés dans des zones de sécurité frontalières. La dérogation à la Ley de tierras a provoqué plusieurs amparos, un mécanisme juridique qui permet aux particuliers de remettre en cause la constitutionnalité d’une norme. À moins que le Congrès argentin ne déclare cette dérogation inconstitutionnelle, la libéralisation totale deviendra la nouvelle norme.

« À l’heure actuelle, un étranger pourrait être en train d’acheter des terres sans aucune limite, regrette auprès de Reporterre l’avocat Enrique Viale, qui s’est récemment exprimé dans un débat au sein de la chambre basse pour le compte du Collectif d’action pour la justice écosociale (CAJE). Nous ne serions pas au courant, car il s’agit de contrats privés. Ce que nous savons pertinemment, c’est que de grands capitaux étaient à l’affût de ce genre de mesures pour pouvoir investir, en Patagonie et sur le littoral notamment. Parmi eux figure l’émir du Qatar », Tamim ben Hamad Al Thani, qui a tout récemment foulé le sol de la Patagonie.

La crise climatique, « mensonge des socialistes »

Source presque inépuisable d’eau douce, cette région du bout du monde reste épargnée par les températures suffocantes. Des atouts naturels qui pourraient bien la rendre très convoitée dans le futur. Une poignée d’hommes richissimes y sont déjà bien installés, comme le milliardaire britannique Joe Lewis ou encore la famille Benetton. En conflit avec les communautés locales, ces deux grands propriétaires avaient acquis leurs terres durant les années 1990, la grande décennie de libéralisation de l’Argentine.

« Lewis et Benetton ont été traînés devant la justice, mais il serait très difficile de récupérer leurs terres, acquises avant la loi de 2011, poursuit Viale, fondateur de l’Association argentine des avocats écologistes (AAAA). Si de grands investisseurs mettaient aujourd’hui la main sur des portions d’espaces naturels, il en serait de même, y compris si le DNU de Milei était déclaré anticonstitutionnel. »

Preuve de son opposition féroce aux écologistes, Milei n’a pas manqué de les citer dans son discours au Forum économique mondial de Davos, le 17 janvier, parmi les sources de « conflits soulevés par les socialistes ». Le nouveau président argentin a notamment réfuté le fait que « les êtres humains nuisent à la planète et qu’elle [doive] être protégée à tout prix ». Pendant sa campagne, il a qualifié le changement climatique de « mensonge des socialistes ».

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