« Ma mère m’a expliqué une chose très simple : c’est par l’école que j’allais pouvoir changer ma condition sociale »

À 26 ans, Pierre Filidabo Amougou est diplômé de l’ENS Ulm, après avoir fait le CPES d’Henri IV et Dauphine. Il a aussi fondé une asso avec sa mère pour aider les jeunes en difficulté à construire leur projet et pourquoi pas, comme lui, accéder à des grandes écoles.

Pierre Filidabo Amougou aide aujourd'hui les jeunes à apprendre à apprendre, à réseauter et à imaginer qu'eux aussi peuvent intégrer de grandes écoles. DR
Pierre Filidabo Amougou aide aujourd'hui les jeunes à apprendre à apprendre, à réseauter et à imaginer qu'eux aussi peuvent intégrer de grandes écoles. DR

    Pierre Filidabo Amougou habitait Villiers-le-Bel quand les émeutes ont éclaté. Encore à l’école primaire, il se souvient d’avoir entendu sa mère lui parler d’école pour changer de « condition sociale ». Depuis qu’il y est parvenu en intégrant d’abord le CPES Henri IV - Dauphine après une mention très bien au bac, et en étant diplômé de l’ENS Ulm, le jeune homme a à cœur d’aider les jeunes des quartiers « à ouvrir leurs horizons ». Pour ça, il a cofondé avec sa mère Les Mindsetters, une association qui lutte contre le décrochage scolaire et donne des pistes pour que les jeunes qui bénéficient des services de l’asso soient mieux outillés pour réussir à intégrer de prestigieuses écoles.

    LE PARISIEN. Tu as toujours été bon élève ?

    Pierre Filidabo Amougou. Non, pas vraiment ! J’ai fait toute ma primaire à Villiers-le-Bel, et au moment des émeutes, ma mère m’a expliqué une chose très simple : c’est par l’école que j’allais pouvoir changer ma condition sociale. À l’époque, je n’avais pas toujours conscience de ça, mais j’entendais souvent le terme banlieusard revenir, et associé à certains stéréotypes et regards sur les quartiers.

    Nous avons ensuite déménagé à Montmorency et au collège, je me contentais de faire le strict minimum. Un jour, notre prof d’anglais nous a dit, à quelques-uns de mes camarades et moi, que nous n’aurions pas le brevet et qu’on serait orienté en filière professionnelle. Je me suis demandé comment un prof pouvait prédire quel destin j’allais avoir !



    C’est à ce moment-là que j’ai compris que pour être libre, il fallait que j’aie des aspirations et que je trouve ce que je voulais faire. En 3e, j’étais le premier de ma classe ! Seulement, dans ma famille personne n’a fait d’études supérieures, mon père a arrêté l’école à 12 ans, donc je n’avais qu’un horizon temporel, le bac.

    Tu rencontres alors un prof qui t’ouvre cet horizon.

    Oui, en seconde, mon prof de physique m’a poussé à imaginer aller jusqu’à Henri IV, Normale Sup’ ou Sciences-po. Pour y parvenir, j’ai décroché une mention très bien au bac. Mais je me suis censuré et n’ai pas terminé mon dossier d’inscription à Sciences-po et Henri IV. À l’époque, malgré mes très bonnes notes, je me disais surtout « qui suis-je pour aller à Henri IV ? » Heureusement, le CPES est venu me chercher et j’ai finalement intégré le cursus.

    En arrivant là-bas, tu découvres un monde totalement inconnu ?

    Oui ! J’observe aussi qu’il n’y a pas de diversité et beaucoup de violence symbolique. Notre prof d’anglais par exemple citait de grandes prépas, et au moment de parler de Condorcet, s’arrête pour dire « quoi que, car il y a beaucoup de banlieusards. » C’était souvent, « il y a nous et les autres ».

    Je me souviens d’une visite d’une classe des Cordée de la réussite à Henri IV. Ils m’ont demandé si j’étais vraiment inscrit là ! C’est à ce moment-là que je me suis demandé ce qu’à mon échelle je pouvais faire. J’intervenais dans mon ancien lycée ou aux Cordées, mais c’était limité car s’ils n’ont pas les outils de leurs ambitions, on leur vend un faux rêve.

    Il y a aussi un aspect financier qui a été un souci pour toi…

    Oui, car en CPES, la première année se déroule à Henri IV, puis l’École des Mines et enfin à Dauphine. J’étais en filière économique, sociale et juridique. J’habitais à la Cité universitaire et les deux premières années, je n’avais pas à payer mon logement. En 3e année, les règles ont changé et je me suis retrouvé menacé d’expulsion, je n’arrivais plus à manger trois repas par jour. On toquait à ma porte de chambre pour me dire que je n’avais pas payé mon loyer. Je mentais à mes camarades en disant que je n’avais pas faim, j’ai voulu arrêter mes études à cause de ça. Et la situation a eu un impact sur mes notes.



    Quand j’ai passé les oraux de l’ENS, j’étais parmi les huit admissibles, mais le directeur de l’époque a eu un peu peur de l’irrégularité de mes notes. C’était la première fois que ma classe sociale me rattrapait et m’empêchait d’avancer comme je voulais. Mes problèmes financiers ne me permettaient pas de montrer l’étendue de mes capacités. Je suis alors revenu chez ma mère, mais j’étais perdu et n’allais plus en cours.

    C’est là que tu tombes sur une bourse pour partir étudier à Berkeley ?

    Oui, sur Facebook ! L’association Article 1 et l’incubateur Schoolabs s’étaient associés à l’université de Berkeley et proposaient cette bourse. Je ne connaissais rien à l’entrepreneuriat, mais je voulais découvrir autre chose pour me découvrir moi-même et je suis allé passer les entretiens. J’avais besoin de faire une pause. J’ai décroché la bourse et grâce à ce programme, j’ai découvert la culture US, le leadership et qu’avant de savoir ce qu’on fait, il faut savoir qui on est. J’y ai découvert l’entrepreneuriat social.

    Tu rentres ensuite pendant le Covid, que décides-tu de faire pour occuper ton temps ?

    J’ai fait un service civique de six mois avec Article 1, et mettais en lien des élèves qui n’ont pas de famille pour les aider et des bénévoles. À cette occasion, j’ai lancé un sondage pour déterminer les problèmes qu’ils rencontrent avec Parcoursup ou avec leurs études. Sur les 366 réponses que j’ai reçues, beaucoup me disent « je ne sais pas comment apprendre » ou « je n’arrive pas à me concentrer ». C’est là que j’ai découvert les ouvrages sur les neurosciences et que je suis tombée sur un article de Coralie Chevallier, chercheuse en sciences cognitives à l’ENS.

    Tu décides de retenter ta chance à l’ENS…

    Oui ! Cette fois, même si j’ai peu de chance d’être pris, chaque matin, je prépare le concours de l’ENS entre 5 et 8 heures, avant mon service civique, je lis des livres de neurosciences et de sciences cognitives, et au bout d’un mois et demi, je suis prêt pour le concours… et je parviens à intégrer l’école !

    À quoi te servent alors tes cours pour aider les jeunes en difficulté ?

    J’applique ce que j’apprends dans le domaine de l’éducation et de l’égalité des chances, je me demande comment on apprend et comment notre environnement social nous conditionne. En 2022, j’ai créé une association, Les mindsetters, avec ma mère. Ce sont des ateliers qui s’appuient sur les sciences cognitives, illustrées par des exemples en lien avec le sport ou la culture. Par exemple, nous montrons à quel point l’échec est important dans l’apprentissage et on l’illustre avec des mangas ou comment Kylian Mbappé a appris à tirer et s’est entraîné. On aide les jeunes des milieux modestes à mieux apprendre.

    Au-delà de l’apprentissage, quels sont les autres freins ?

    Comme j’ai eu des difficultés financières et j’ai dû travailler à côté de mes études, j’ai compris que quand on vient de certains milieux, on n’est pas obligé de travailler plus car dans les faits on a moins de temps, mais on doit apprendre à être plus efficace que les autres. Mais ce n’est pas le seul frein, car l’autocensure aussi est présente chez les jeunes. On oublie les freins psy : il faut d’abord les débloquer avant même de pouvoir envisager que les jeunes de milieux modestes se tournent vers ces écoles comme Sciences-po.



    Il faut les aider à avoir les outils pour réussir à atteindre leurs objectifs, sans ça ils risquent d’être déçus et d’en vouloir à la société. On accompagne des jeunes partout en Île-de-France pour leur apprendre à se concentrer, à prendre la parole en public ou encore à réseauter : ils ont du mal à créer du réseau ou avoir les codes, et nous, on veut qu’ils réussissent. Quand je suis arrivé à Henri IV, dans les discussions, on n’a pas les mêmes références, j’étais toujours « court terme » quand d’autres visaient entreprises, stages, etc. Moi je devais d’abord survivre quand eux étaient là pour construire.

    Qu’est-ce que tu conseilles aux jeunes que vous accompagnez avec l’asso ?

    Je leur dis toujours qu’il faut être ambitieux et que ça doit être leur boussole, pour éviter de viser le court terme. Construisez votre réseau pour demain et votre projet à long terme : quel réseau il vous faut ? Quel stage ou personne à rencontrer pour que votre projet fonctionne ? Comment être maître de votre destin ?

    Toutes les questions que tu t’es posées, toi, finalement…

    Oui ! Et le plus dur pour moi a été l’arrivée au CPES car j’ai dû apprendre à apprendre ! J’avais de la marge au lycée, mais le niveau scolaire à Henri IV n’était pas le même que mon lycée.

    En rédaction ou en expression orale, j’avais des années d’écart ! J’ai dû rattraper mon retard tout en étant menacé d’expulsion, à 19 ans, ce n’était pas évident ! J’ai ressenti la même chose à l’ENS, car les normaliens fonctionnaires stagiaires ont un salaire que moi je n’avais pas en tant qu’étudiant admis à préparer le diplôme (EAPD). Je travaillais à côté et je m’étais bien préparé, j’avais fait des économies, je n’avais pas touché à l’argent du service civique. J’avais fait un crédit étudiant et je travaillais en donnant des cours dans une école de commerce, mais j’avais conscience de ne pas avoir le même luxe que les autres.

    D’autant qu’il y a peu de diversité sociale à l’ENS et que l’école n’a pas vraiment l’habitude d’avoir des élèves pour qui l’argent est une question. Je pars à Princeton avec l’école, mais pour partir il fallait que je prouve que j’avais 17 000 euros de caution ! Heureusement, j’ai eu le Prix de la vocation, des mécènes privés et l’école va m’aider, mais ce n’est pas normal que ce ne soit pas une question.

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