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JOURNÉE MONDIALE CONTRE LE CANCER

Flambée des cas de cancers : la pollution incriminée

Une étude de l’OMS parue jeudi anticipe une hausse de 77 % des cas de cancer à l’échelle mondiale d’ici 2050. Parmi les facteurs alimentant la flambée des cas, la pollution de l’air, même si celle-ci ne nous touche pas de manière uniforme : décryptage avec le porte-parole de la Ligue contre le cancer et une épidémiologiste spécialisée dans la prévention.   

L'ONU prévoit une hausse de quelque 35 millions de nouveaux cas de cancer d'ici 2050.
L'ONU prévoit une hausse de quelque 35 millions de nouveaux cas de cancer d'ici 2050. © Getty Images - wildpixel
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Sentinelle de la santé humaine, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) est rarement porteuse de bonnes nouvelles. Elle n'a pas dérogé à la règle, jeudi 1er février : l'institution onusienne anticipe une hausse de quelque 35 millions de nouveaux cas de cancer d'ici 2050. Soit 77 % de plus qu'en 2022, a précisé l'agence de l'Organisation spécialisée dans cette maladie.

Parmi les facteurs clés de l'augmentation de l'incidence incriminés par l'étude, la pollution de l'air.

Des particules fines, puis un bug cellulaire

"Il s'agit ici essentiellement de la pollution aux particules fines", précise le Dr Emmanuel Ricard, porte-parole de la Ligue contre le cancer.

Le diesel des pots d'échappement est l'une des principales sources de ces particules, poursuit-il : les plus fines d'entre elles peuvent descendre dans l'arborescence du poumon, jusqu'aux alvéoles, ces petits "sacs" où se fait l'échange de gaz entre le poumon et le sang, oxygénant celui-ci.

Nos cellules de défense vont "vouloir" supprimer ces particules. Il s'ensuit une inflammation. Celle-ci finit par dérégler les cellules qui, au lieu de continuer à se répliquer de façon saine, vont se mettre à "bugguer", devenant cancéreuses. "Ne respectant rien, ces cellules cancéreuses se multiplient et font une tumeur", vulgarise le médecin.

Plus nombreux, plus vieux, plus de malades

Clairement signalés par l'étude, au moins deux facteurs de cette hausse des cas n'ont aucun lien avec la pollution. Démographique, le premier facteur n'est qu'un simple biais arithmétique : le nombre d'êtres humains ne cessant d'augmenter, le nombre total de cas de cancer s'accroît aussi.

Plus nombreuse, notre espèce est par ailleurs vieillissante. "Or le cancer est un problème d'immunité, et plus on vieillit, plus l'immunité baisse. Résultat : plus la population aura une espérance de vie importante, plus elle sera soumise au cancer."

Autre trompe-l'œil classique de toute donnée épidémiologique : le meilleur diagnostic de cas. Des cas qui existaient déjà jadis, mais échappaient simplement aux radars de la médecine, sont désormais détectés, faisant augmenter les chiffres.

Pis, pour l'épidémiologiste Catherine Hill, on observe des situations de "surdiagnostic", où on confond présence de cellules cancéreuses et cancer à proprement parler.

Cas d'école en la matière, le cancer de la prostate : selon l'Institut de veille sanitaire (INVS), 30 % des hommes de 30 ans et 80 % des hommes de 80 ans ont des cellules cancéreuses dans leur prostate. "C'est extrêmement fréquent : il est donc évident que toutes ces cellules cancéreuses ne donnent pas lieu à des cancers symptomatiques", explique cette spécialiste de la fréquence et des causes du cancer.

Pollution et mauvaises habitudes

De plus en plus d'études établissent – souvent au conditionnel – un lien entre la pollution et la dégradation de notre santé, y compris mentale. Déprimant : la pollution aggraverait même la dépression.

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"Une mode" truffée d'approximations scientifiques, s'agace Catherine Hill. Après le tabac, la consommation d'alcool est la première cause de cancer en France selon l'OMS, rappelle l'épidémiologiste. "La pollution cause en France 50 fois moins de cancers que le tabac et 20 fois moins que l'alcool", souligne-t-elle, citant une étude du centre international de recherche sur le cancer de l'OMS.

Mais on aurait tort de percevoir les facteurs du cancer comme des vases clos, nuance le porte-parole de la Ligue contre le cancer. Face à plusieurs facteurs, on assiste non pas à une simple addition, mais plutôt à une démultiplication du risque. Les connaissances que nous avons sur l'incidence de l'alliance tabac-alcool se démontrent ailleurs, poursuit-il : "On a ainsi pu trouver, dans le cancer du poumon, des gènes autant impactés par la cigarette que par la pollution atmosphérique".

Le "Sud", ce "dépotoir" du monde

Mais ce facteur pollution n'est pas le même pour tous, car nous ne respirons pas tous le même air. "Dans les grandes villes de Chine, d'Inde, d'Amérique du Sud, à Tananarive [à Madagascar, NDLR], ou encore au Caire, la pollution est telle que des nuages de particules se forment. Sous ce 'smog', les gens développent des cancers du poumons, exactement comme dans l'Angleterre de la révolution industrielle", constate Emmanuel Ricard.

Il y a désormais un transfert de pollution vers un "Sud", utilisé comme le "dépotoir du monde", poursuit Emmanuel Ricard : "Outre les usines 'à risque' que les pays industrialisés préfèrent délocaliser, on vend aux économies en développement des dérivés pétroliers à bas prix, mais de qualité moindre".

Celles et ceux qui ont fréquenté les mégalopoles de ces pays approuveront : la pollution y semble plus "piquante". C'est parce qu'elle est effectivement plus agressive, explique Emmanuel Ricard : "Les diesels utilisés sont encore plus riches en soufre et en azote que ceux rejetés en Europe".

Pour lui, le rapport de l'OMS met ainsi en évidence une transition épidémiologique : des pays qui étaient surtout impactés par les maladies infectieuses – lesquelles ont reculé – vont faire face à la multiplication des maladies qu'on trouvait plutôt dans les pays occidentaux, comme les cancers.

Déclic écologique ?

Parmi ces derniers, la France, où la qualité de l'air s'améliore depuis une trentaine d'années. Dans l'aire métropolitaine toulousaine, par exemple, les particules fines et d'oxyde d'azote ont respectivement baissé de 40 % et 17 % entre 2009 et 2019. L'incidence positive sur les maladies cardiovasculaires, les accidents vasculaires cérébraux, les infarctus et les cancers est démontrée, remarque Emmanuel Ricard.

Moins réjouissant : l'étude menée en région toulousaine conclut aussi que la population économiquement défavorisée est plus exposée à la pollution de l'air et concernée par des décès attribuables à une exposition à long terme.

Par-delà ces disparités socio-économiques, Xavier Briffault, chercheur en sciences sociales et philosophie de la santé au CNRS, entrevoit un déclic écologique : en démontrant une corrélation directe entre la santé et la dégradation de l'environnement, la science nous ferait passer d'une écologie éthique à une écologie de santé publique.

D'autant que la santé n'est pas qu'une finalité du combat écologique, mais aussi un moyen, renchérit le chercheur : mobilisant nos peurs, la question sanitaire permet de faire pression sur les politiques selon cet argumentaire, "Non seulement vous tuez la planète mais vous nous tuez".

Le "polluer, c'est mal" tomberait ainsi en désuétude : nous prendrions conscience que polluer, "ça fait du mal".

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