Blagues grivoises et regards déplacés : le procureur de Limoges passe en audience disciplinaire

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Blagues grivoises et regards déplacés : le procureur de Limoges passe en audience disciplinaire

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Baptiste Porcher en mai 2018
Baptiste Porcher en mai 2018
© Maxppp - Olivier Arandel/PHOTOPQR/LE PARISIEN

Le procureur de Limoges, Baptiste Porcher, comparaissait mardi devant le Conseil supérieur de la magistrature. Il lui est reproché d’avoir tenu des propos déplacés à l’égard de plusieurs femmes du tribunal ces dernières années. Le ministère de la Justice a réclamé sa mutation d’office.

Devant ses pairs, Baptiste Porcher, 47 ans, se présente à la fois humble et défensif. Celui qui dirige le parquet de Limoges depuis quatre ans est poursuivi pour "des manquements à la délicatesse et à la dignité du magistrat". D’emblée, il indique au CSM que les faits qui l’accablent relèvent "d’interprétations et d’allégations" qui reposent sur "quelques personnes qui me décrivent autoritaire et malaisant, là où tant d’autres me décrivent bienveillant, accessible et agréable. Je veux laver mon honneur", prévient-il. Avant que les débats prennent une autre tournure.

"C'était ça tous les jours, ça ne s'arrêtait jamais"

L’enquête du CSM a permis de recueillir les témoignages de plusieurs femmes, magistrates ou auxiliaires de justice, souvent très jeunes, qui se plaignent des propos sexistes et misogynes du procureur à Limoges, et même lors de son précédent poste à Laon. Des blagues un peu lourdes, ordurières parfois, à caractère sexuel souvent, et d’autres liées au physique des femmes à qui il s’adresse. Les victimes invoquent le malaise de ses conversations, les stratégies d’évitement pour ne pas le croiser à la machine à café, la fatigue, le harcèlement pour certaines.

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À l’audience, Baptiste Porcher reconnait lui-même le caractère déplacé de certaines de ses blagues. Comme quand il rajoute "TION" sur le tableau des gardes-à-vue à côté du patronyme d’un suspect qui s’appelait Fella. Ou quand il lâche à une de ses collègues qui semblait se trémousser en sortant d’une audience où elle avait obtenu une bonne décision : "Ma femme fait pareil quand elle a envie de faire l’amour". "C’était ça tous les jours", a indiqué la magistrate aux enquêteurs, "je finissais par me cacher derrière les portes, ça ne s’arrêtait jamais", poursuit-elle en évoquant sa dépression, sa prise de poids, sa séparation et sa mutation en urgence dans une autre juridiction qu’elle n’avait pas envie de rejoindre. Il y a aussi des regards déplacés, sur le t-shirt un peu échancré d’une assistante de justice, tellement mal à l’aise qu’elle est allée se changer dans les toilettes et a quitté Limoges "dégoûtée par la magistrature".

"Je lui ai délivré un avertissement et renouvelé ma confiance"

Mais Baptiste Porcher est également un excellent procureur, soulignent tous les rapports. Il a remis en marche un parquet de Limoges qui était en crise avant sa nomination, "il a rempli tous les objectifs qu’on attend d'un chef de juridiction", constate le Directeur des services judiciaires de la chancellerie. Les supérieurs hiérarchiques de Baptiste Porcher confirment : "il a redonné du rayonnement à ce parquet", redore la procureure générale de Limoges Anne Kostomaroff. "Quand on m’a signalé son comportement, j’étais dans le désarroi. Je l’ai convoqué, il a reconnu qu’il avait été maladroit, je lui ai délivré un avertissement et renouvelé ma confiance. Aujourd’hui, les relations sont bonnes mais c’est compliqué d’être dans une démarche dynamique avec un procureur qui est sous enquête".

"J’ai toujours avancé avec lui de manière agréable et efficace, plaisante et constructive, je n’ai jamais eu à me plaindre" complète l’ancien président du tribunal de Limoges Benoit Giraud, aujourd’hui président du tribunal d’Angers, reconnaissant qu’il n’a été témoin d’aucun des faits qu’on reproche au procureur. "Il a été une bouffée d’oxygène", abonde le chef des services de greffe Olivier Lacombe, ajoutant qu’il avait eu l’impression que l’enquête avait été menée à charge : "on voulait nous faire dire des choses que nous ne disions pas".

Le président de cette audience "parquet" du CSM, Rémy Heitz veut comprendre le contexte dans lequel les propos déplacés ont été tenus.

- "Ce dossier se caractérise par un effet de répétition. Pris isolément, tout peut s’expliquer, mais une accumulation, ça pose difficulté. Et ce sont des propos qui sont toujours tenus devant des femmes visiblement gênées. Ce qui peut passer dans un groupe d’hommes peut difficilement être accepté dans un cercle mixte."
- "Là où vous voyez des jeunes femmes et des jeunes hommes, moi, je vois des parquetiers. Je ne fais pas attention", répond Baptiste Porcher.
- "Et aujourd’hui, vous pensez disposer de l’autorité pour assurer votre rôle de procureur ?", s’inquiète le président d’audience.
- "Je me suis remis en question", referme Baptiste Porcher. "La juridiction tourne très bien."

"Des situations que nous connaissons tous devant nos tribunaux"

"Ses qualités juridictionnelles sont exemplaires", reconnait le Directeur des services judiciaires, "mais on ne peut plus tolérer ce type de comportement qui nous renvoie à des situations que nous connaissons tous devant nos tribunaux, celles où des victimes ont du mal à dénoncer des faits de harcèlement moral et sexuel, et où des auteurs se banalisent, se victimisent." Et Paul Huber se fâche : "Baptiste Porcher a conservé son poste alors que chaque jour des mesures conservatoires sont prises à l’égard des auteurs de tels faits. Être procureur est une circonstance aggravante, il devra être sanctionné fermement." Et le représentant du ministre de la Justice réclame une peine exemplaire : "Parce qu’il n’a plus aucune légitimité au sein de la cour d’appel de Limoges, il faudra l’éloigner et lui retirer ses fonctions de procureur."

Les avocats de Baptiste Porcher, Mes Célia Chauffray et Olivier Morice, vont inviter le CSM à changer de point de vue sur leur client. "On n’est pas dans le #MeToo judiciaire, ce n’est pas un Gérard Depardieu, mais un magistrat qui faisait des blagues de mauvais goût sans imaginer qu’elles provoquent des souffrances. Ne vous laissez pas entraîner dans l’exemplarité vers laquelle on vous tire. M. Porcher reconnait ses maladresses, c’est un homme sensible qui avait un registre lexical inadapté, il n’en est pas fier, mais il ne mérite pas une telle sanction. Un simple avertissement, rien de plus" conclut Maître Morice.

Le CSM rendra son avis le 12 mars prochain. C’est ensuite le ministre de la Justice qui prononcera la sanction, généralement conforme à l’avis du Conseil.

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