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Idées

Les dernières confidences politiques de Robert Badinter

Fin 2023, une rencontre entre notre éditorialiste et Robert Badinter avait permis de l’entendre sur ses réflexions du moment. L’homme était grave et inquiet. Israël, l’antisémitisme, la gauche et le mélanchonisme étaient au centre de ses préoccupations. Retour sur un entretien passionnant, comme d’habitude.

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Robert Badinter

Robert Badinter

AFP / JOEL SAGET
Robert Badinter
Les dernières confidences politiques de Robert Badinter
Maurice Szafran
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Par Maurice Szafran

Dans son bureau avec vue sur le parc du Luxembourg, Robert Badinter « recevait » beaucoup. Nous venions prendre ses avis, non pas seulement l’écouter mais l’entendre, réfléchir avec lui aux secousses - de France et d’ailleurs. Certes il était fatigué, mais son esprit, ses réflexions, restaient-elles plus affûtées que jamais. Et disons-le sans attendre, l’inquiétude chez lui dominait en cette fin d’année 2023 quand, devant nous, il évoquait les « grandes affaires » : le destin d’Israël après le pogrom du 7 octobre et la guerre de Gaza, la renaissance de l’antisémitisme en France, aux États-Unis et ailleurs, l’état de la gauche en France et la mauvaise influence de Jean-Luc Mélenchon, l’agressivité de la Russie façon Poutine.

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Israël

Rien ne s’est effacé, il se souvient dans le moindre détail de ce 14 mai 1948, quand David Ben Gourion proclama l’indépendance d’Israël. « J’étais à New York ce jour-là, les Juifs déferlaient par dizaine de milliers dans les rues de Manhattan, des chants de joie, une fête immense. Je n’imaginais pas, vivant cette émotion, que l’état des juifs irait de guerre en guerre, de drame en drame, d’épreuve en épreuve ».

Jusqu’à ce pogrom du 7 octobre 2023. « Une monstruosité, évidemment, relève-t-il. Mais il s’est aussi produit un événement capital : Israël devait être le pays du « plus jamais ça », protéger, ce devait être son rôle historique. Et là, Israël a échoué dans sa mission ».

Robert Badinter critique rudement Benyamin Netanyahou — comment pourrait-il d’ailleurs en aller autrement, lui qui a pour référence et « compagnons » Itzhak Rabin et Shimon, Peres, lui qui a toujours défendu la solution à deux états, lui qui estime que « la sécurité des Israéliens passe par l’émancipation des Palestiniens ». « Netanyahou, ajoute-t-il sans même qu’il soit nécessaire de lui poser la question, est un danger pour les Israéliens, un danger pour les libertés publiques, un danger pour la démocratie. Heureusement une partie du peuple s’était soulevée avant le 7 octobre. Il y a pire encore : des partis ouvertement racistes qui « font » la majorité parlementaire, des ministres favorables à l’expulsion des Palestiniens… C’est invraisemblable ». Il dit : « je suis inquiet pour Israël ». Comme un voile de tristesse sur son visage.

L’antisémitisme

« Je vais peut-être vous choquer, mais c’est ainsi : la violence de l’antisémitisme d’aujourd’hui n’a rien de commun avec ce que j’ai connu et subi dans les années 1930 et 40. Ne pas tout confondre. La société française, la société européenne, sont moins antisémites aujourd’hui qu’à l’époque. Ce serait absurde - et dangereux - de ne pas le reconnaître ».

« Je n’ai jamais cru à la disparition de l’antisémitisme. Jamais. J’ai toujours été persuadé qu’il pouvait ressurgir à tout moment, sous une forme ou sous une autre. L’islamisme politique est une variante, rien d’autre, une variante qui, d’ailleurs, n’est pas nouvelle. Ce qui me trouble, c’est cette alliance entre l’islamisme politique et une partie de la gauche, une gauche à la recherche d’un prolétariat de substitution puisque la majorité des ouvriers votent désormais en faveur du Rassemblement national et de Madame Le Pen… »

Il précise : « dès que j’ai été éveillé à la conscience politique, je me suis retrouvé à gauche ». Sa place sur l’échiquier politique allait de soi pour cet enfant d’immigré, passionnément français, passionnément attaché à la France et à la République, à la République et à la France, peu importe l’ordre. « Pour moi, convient-il, c’est la même chose ». Il assistera à une réunion d’étudiants communistes. Il s’enfuira, affolé par les interdits de tous ordres. « J’ai toujours été un républicain de gauche, un social-démocrate, proche de Mendès France, sa gauche, c’était la mienne ». Pour toujours. Robert Badinter accompagnera François Mitterrand, il jouera un rôle politique essentiel auprès de lui, avant et après l’élection de 1981. Mais sur le fameux et fumeux « Programme commun », il avait plus que des doutes et il s’en était ouvert à Mitterrand.

« Tout cela, c’est du passé et j’observe qu’une partie de la gauche, et quelques-uns au sein du Parti Socialiste, se détournent des Lumières et de l’universalisme, d’Hugo et du combat dreyfusard, pour défendre une vision communautariste de la gauche. Cette gauche-là, ce n’est pas la gauche ». Ce n’est pas sa gauche, il estime surtout qu’elle trahit les véritables valeurs de la gauche, qu’elle fait ainsi le lit de l‘extrême droite. Songe-t-il à Mélenchon ? Cela va de soi.

« Quand j’étais sénateur, Mélenchon siégeait comme moi au sein du groupe socialiste. Un type cultivé, charmant avec moi, nous avions de bonnes relations, à cette époque un parfait républicain avec qui je m’entendais fort bien »… Mais que s’est-il passé ? « Je ne sais pas, de la petite politique sans doute, en tout cas l’abandon de nos principes essentiels, ceux de Jaurès »…. Jaurès, autre référence.

Évoquait-on enfin devant lui l’inquiétude sécuritaire des Français - qu’il entendait et comprenait-, il exprimait aussi un regret : « quand on parle d’insécurité aujourd’hui, on ne pense désormais que prison ! » Alors nous lui avons rappelé cette phrase, la sienne, parfait résumé de son humanisme lumineux : « il n’est pas d’homme en cette terre dont la culpabilité soit totale et dont il faille désespérer totalement ».

À ce rappel Robert Badinter se contenta de sourire. Un sourire magnifique.

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