Pesticides : un déni organisé

Epandage - France ©Getty
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Au-delà de la fabrique du doute orchestrée par les lobbyistes du secteur, le sociologue François Dedieu pointe un déni collectif favorisé par les protocoles officiels de l’évaluation des risques.

Depuis soixante ans, les dangers des pesticides pour la biodiversité et la santé sont avérés. Dans un nouveau rapport rendu public fin novembre, l'ONG Générations futures démontre que les distances d'épandage ne sont pas suffisantes au regard des risques que font courir les pesticides aux riverains...

Alors pourquoi notre modèle agricole et alimentaire reste-t-il toujours dopé aux pesticides ? Les connaissances scientifiques sont-elles manipulées ? Les agences d'expertise chargées d'évaluer ces pesticides sont-elles responsables de la situation ? Quid évidemment des industries ?

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Les industriels des pesticides développent des stratégies pour influencer la recherche, l’expertise et la décision publique, et ainsi entretenir le doute sur les effets des pesticides sur la santé. Mais pour le sociologue François Dedieu, la fabrique de l’ignorance n’est pas seulement liée aux manipulations des industriels. En effet, il dénonce un phénomène de déni organisé y compris par les instances officielles censées évaluer les risques.

L’étude du contrôle des risques induits par l’usage des pesticides amène François Dedieu à s’intéresser à la construction de l’ignorance au sein des politiques publiques...

Comment sortir de cette fabrique de l’ignorance ? Une agriculture affranchie des pesticides est-elle possible ?

Alors même que les dangers de ces produits phytosanitaires sont avérés, notre modèle agricole reste toujours massivement dopé aux pesticides.

Dans l'enquête de François Dedieu, qui paraît aux éditions du Seuil, on découvre une réalité complexe qui permet d'expliquer le doute et l'ignorance qui entourent les effets des pesticides.

Pourquoi on continue ?

François Dedieu explique pourquoi on continue massivement à utiliser des pesticides dans l'agriculture : "Dans le système actuel, on ne sait pas faire autrement. Les pesticides, c'est une très vieille technologie employée depuis 75 ans. Ils ont été très longtemps considérés comme la technologie miracle et le sont aujourd'hui encore pour un grand nombre de produits. Au premier rang desquels le glyphosate qui présente pour les agriculteurs beaucoup d'avantages. Ils sont peu chers, très efficaces et ils vous font gagner des économies en temps de travail colossaux. Donc, pour le moment, on ne sait pas faire autrement. Et avec la concentration des exploitations agricoles et la spécialisation des exploitations agricoles qui va croissante aujourd'hui, eh bien, on continuera à utiliser des pesticides, donc on restera dans ce modèle agricole."

L'invité de 9h10
20 min

La fabrique de l'ignorance

François Dedieu : "L'ignorance n'est pas vue ici comme on l'entend d'habitude, c'est-à-dire en fait un simple vide de savoirs que l'accumulation de connaissances permettrait de combler. Mais l'ignorance est un courant de recherche aux Etats-Unis qui montre en fait que l'absence de savoirs provient certaines fois de stratégies orchestrées aussi efficacement que discrètement par un grand nombre d'acteurs puissants de l'industrie."

Le déni est organisé, et ce ne sont pas que les industriels, les fabricants des pesticides qui sont à blâmer, "dans un système qui est beaucoup plus complexe et qui est lié à la manière dont on a conçu et réglementé l'évaluation des risques qui sont liés aux pesticides." Il y a un ensemble de contraintes.

Pauline Cervan, toxicologue, explique que les mesures de la dangerosité des pesticides par les agences sanitaires s'appuient sur des connaissances trop précises et restrictives. Leur point de vue serait biaisé. Par exemple, à côté des habitations, la mesure de l'exposition aux pesticides ne prend pas en compte les populations vulnérables, comme les bébés.

Le cas du glyphosate

Pourquoi semble-t-il si difficile de démontrer la cancérogénicité du glyphosate ? Selon François Dedieu : "Les agences d'évaluation regardent les tests tels qu'ils sont prévus, selon la réglementation et n'observent rien, alors que le CIRC (le Centre International de Recherche contre le Cancer) en 2015, lui, va regarder les choses un peu différemment. Il va regarder non pas seulement la molécule, mais le produit et ces différentes substances. Il va se baser aussi sur d'autres types d'études, beaucoup plus vastes que celles de l'EFSA (Autorité européenne de sécurité des aliments), donc de la réglementation officielle, et va aboutir à une conclusion totalement différente."

Pour conclure, François Dedieu explique : "Tant qu'on continuera dans le même modèle agricole, les pesticides auront de beaux jours devant eux. Tant qu'on continuera à penser que la science réglementaire permet d'évaluer tous les dangers des pesticides en se basant sur la science au sens générique du terme, les pesticides auront de beaux jours devant eux."

Les invités

François Dedieu, sociologue à l’INRAE, au Laboratoire interdisciplinaire science innovation sociétés (Lisis). Expert pour l'ANSES, il enseigne aussi à Sciences Po Paris et à l’École des ponts et chaussées. Auteur de  Pesticides, le confort de l’ignorance, Seuil / collection Anthropocène.

Pauline Cervan toxicologue, chargée de mission responsable des questions scientifiques et règlementaires pour
Générations Futures.

Pour en savoir plus, écoutez l'émission...

L'équipe

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