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Chine : des "milices d'entreprise" pour préserver l'ordre social

Différents médias et chercheurs rapportent que de plus en plus d’entreprises chinoises se dotent de Départements des forces armées du peuple, c’est-à-dire des groupes de volontaires chargés d'assurer l'ordre public. Leur développement est favorisé par les autorités qui ravivent ainsi un concept cher à Mao Zedong dans les années 60.

Une photo du président chinois Xi Jinping cachée par une figurine de Mao Zedong
Une photo du président chinois Xi Jinping cachée par une figurine de Mao Zedong © Greg Baker, AFP
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Les entreprises publiques chinoises fourbissent de nouvelles armes. Nombre d'entre elles ont mis en place des milices de volontaires armées, ont constaté le quotidien britannique Financial Times et la chaîne américaine d’informations CNN.

“Au moins 16 grands groupes ont établi des cellules de combattants, d’après une analyse des annonces parues dans la presse étatique depuis un an”, affirme CNN dans un article publié mercredi 21 février. Le profil de ces sociétés est très varié : il s’agit aussi bien de l’entreprise en charge du métro à Wuhan que du Groupe d’investissement municipal de Shanghaï ou encore de la société de gestion de l’eau à Huizhou.

Renforcer la coopération entre l’armée et la population

En décembre, Yili Group – le plus important producteur laitier en Chine et le cinquième plus grand au monde – est devenu le premier groupe privé à faire de même. Mais il ne faut pas se leurrer : “elle a beau être privée sur le papier, le gouvernement central a toujours son mot à dire sur les décisions d’une entreprise aussi stratégique que Yili”, affirme Marc Lanteigne, sinologue à l'université arctique de Norvège.

C’est d’ailleurs un point commun entre toutes ces structures qui ont installé des milices en leur sein : ce sont des acteurs économiques d’importance stratégique aux yeux du pouvoir. Rien à voir avec les quelques petites entreprises locales qui, ces dernières années, ont aussi fait appel à des citoyens pour jouer le rôle d’auxiliaires privés de police, rappelle CNN. Le fait qu’il s’agisse cette fois-ci de groupes majeurs “signifie sans l’ombre d’un doute qu’il s’agit dorénavant d’un mouvement coordonné depuis Pékin”, assure Marc Lanteigne.

Les médias chinois restent avares en détail concernant le nombre d’individus qui forment ces nouvelles milices d’entreprises et sur leur profil. On sait juste qu’il s’agit de citoyens ordinaires, supervisés par l’armée populaire chinoise qui leur fournit en outre une formation. Mais impossible de savoir comment, par exemple, ils sont choisis. “Est-ce que leur loyauté au parti est mise à l’épreuve avant qu’on leur donne des armes ? Est-ce qu’ils ont une expérience antérieure dans l’armée ou les forces de l’ordre ?”, se demande ainsi Marc Lanteigne.

Si l’irruption de ces groupes armés d’entreprises a pu surprendre “par la vitesse à laquelle ils se sont multipliés en un an, ce n’est en revanche pas la première fois que cela arrive en Chine”, affirme le sinologue. Ces milices sont officiellement appelées Départements des forces armées du peuple (PAFD - People’s armed forces department), un terme qui doit raviver les souvenirs des plus âgés des Chinois. Mao Zedong avait, en effet, poussé à la création de ces milices dès les années 1950 un peu partout dans le pays. Le célèbre fondateur de la République populaire de Chine voulait ainsi officiellement renforcer la coopération entre l’armée et la population locale.

Ce sont des justifications similaires qui ont été avancées par les autorités chinoises actuelles pour expliquer l’apparition de ces PAFD 2.0. Le ministère de la Défense nationale a ainsi expliqué lors d’une conférence de presse en octobre 2023 – l’une des premières à évoquer à un tel niveau de l’appareil d’État l’existence de ces milices locales – qu’il “s’agissait d’encourager les citoyens à s’investir davantage dans la sécurité de leur communauté et de promouvoir une meilleure cohésion entre les individus et les autorités publiques”, résume Marc Lanteigne.

Le modèle de l'expérience de Fengqiao

Cette version officielle ne raconte cependant qu’une partie de l’histoire derrière la réapparition des PAFD. Il faut aussi replacer ce retour d’une institution maoïste dans le contexte de la récupération par Xi Jinping d’une autre idée fixe de Mao Zedong : l’expérience dite de Fengqiao. Il s’agit d’un épisode historique qui a profondément marqué le cours de la Révolution culturelle, débutée en 1966.

Trois ans auparavant, Mao Zedong avait lancé la campagne des “quatre nettoyages” contre les “éléments réactionnaires” de la société et dans le canton de Fengqiao, au sud de Shanghaï, une partie de la population locale s’étant mobilisée pour dénoncer les “ennemis” du peuple. Très favorablement impressionné par le récit de ce qui lui semble être un mouvement spontané, le leader communiste poussera pour que “l’expérience de Fengqiao” devienne un modèle à répliquer partout dans le pays. 

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“C’est devenu une institution qui s’appuyait sur des millions de chinois ordinaires pour aider les autorités sur place à gérer les troubles locaux”, souligne Carlotta Rinaudo, spécialiste de la Chine pour l’International Team for the Study of Security (ITSS) Verona. Le modèle de Fengqiao est ainsi devenu un outil important de contrôle social pour le pouvoir maoïste.

Après la mort de Mao Zedong, “plus personne n’a officiellement fait référence à ‘l’expérience de Fengqiao’”, souligne le site de décryptage China Media Project. Pour Pékin “la promotion du développement économique primait sur le contrôle de la population”, souligne Carlotta Rinaudo. L’expérience de Fengqiao était en outre étroitement liée aux dérives de la Révolution culturelle et de la chasse tous azimuts aux opposants.

Mais la référence réapparait avec l’arrivée au pouvoir en 2012 de Xi Jinping. Un an plus tard, le nouveau président publie un texte intitulé “instructions importantes pour le développement de ‘l’expérience de Fengqiao’”. “Depuis lors, Xi Jinping en a parlé dans de nombreux discours”, note Carlotta Rinaudo. Le président chinois s’est même rendu sur place en septembre 2023 pour marquer les 60 ans de cette “expérience”.

“C’est le cadre idéologique qui permet d’expliquer la réapparition des Départements des forces armées du peuple”, assure Carlotta Rinaudo. Ces milices d’entreprises ne sont que le dernier avatar de l’application de ce modèle vieux de 60 ans à tous les échelons de la société. Le pouvoir a, par exemple, “mis en place une ligne directe pour permettre aux citoyens ordinaires de dénoncer des arnaques”, précise l’experte de l’ITSS. 

La crainte d'un mécontentement social

En dix ans, les initiatives locales pour faire revivre l’esprit de Fengqiao se sont multipliées. Que ce soit à Shanghaï, ou encore dans la ville portuaire de Zhoushan, les résidents sont incités à dénoncer certains agissements ou à collaborer avec les autorités pour résoudre des troubles locaux, a énuméré le site du magazine The Diplomat  dans un article paru jeudi 22 février.

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C’est le signe “que le développement économique n’est plus le principal souci du régime et qu’aux yeux de Xi Jinping il faut tout autant s’attacher à maintenir l’ordre social et l’autorité du parti sur la société”, résume Carlotta Rinaudo. 

La particularité du retour des PAFD dans cette application tous azimuts du modèle de “Fengqiao’” tient au timing. “C’est l’expression de la nervosité du pouvoir face aux conséquences sociales du ralentissement économique”, affirme Marc Lanteigne.

Hausse du chômage des jeunes, difficulté du secteur de l’immobilier et tassement général du niveau de vie : les autorités ne veulent pas se retrouver dépourvues si le mécontentement se transforme en grogne puis en troubles à l’ordre public. “Les manifestations contre les mesures sanitaires anti-Covid ont profondément marqué les autorités”, note Marc Lanteigne. 

Pour lui, Pékin compte ainsi s’appuyer sur ces milices d’entreprise pour mieux anticiper d’éventuels mouvements sociaux. “Ces citoyens sont perçus comme les meilleurs outils pour prévenir les problèmes car ils sont déjà immergés dans leur communauté et peuvent prévenir les autorités d’éventuelles tensions très tôt”, confirme Carlotta Rinaudo. 

Cerise sur le gâteau : ces milices d’entreprise permettent aussi à Pékin de renforcer leur contrôle sur les grands groupes. Une autre idée fixe de Xi Jinping est de s’assurer que les entreprises ne prennent pas trop de liberté avec les directives du pouvoir. Carlotta Rinaudo ne serait, ainsi, pas étonnée de voir le nombre de ces PAFD se multiplier et apparaître aussi dans le très stratégique secteur de la Tech ou encore au sein d’entreprises qui sont engagées dans le développement des nouvelles routes de la soie.

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