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PRÉSIDENTIELLE RUSSE

Cinéma et séries : les "Kremlin Leaks" révèlent une propagande inédite du candidat Poutine

Des documents internes au Kremlin, obtenus par un consortium international de médias, révèlent la machine à propagande mise en place par le pouvoir russe en préparation de l'élection présidentielle du 17 mars. Ces “Kremlin Leaks” détaillent notamment la place importante attribuée au cinéma, aux séries et émissions télé dans cette “guerre informationnelle”

Vladimir Poutine et l'ours soviétique comme symbole de l'instrumentalisation du cinéma par le politique en Russie.
Les "Kremlin Leaks" illustrent comment la campagne pour la réélection de Vladimir Poutine utilise le cinéma comme arme. © Studio Graphique France Média Monde
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Des milliards de dollars pour se faire réélire… confortablement. Des documents internes au Kremlin ont fuité auprès du site d’information estonien Delfi qui, en partenariat avec une dizaine de médias internationaux comme Der Spiegel (Allemand) ou Expressen (Suède), a pu ainsi reconstituer la machine à propagande mise en place pour assurer la victoire de Vladimir Poutine lors de la présidentielle du 17 mars.

Ces “Kremlin Leaks”, publiés lundi 26 février, détaillent le plan de ce que ses promoteurs ont appelé la “guerre informationnelle" en cours en Russie. Les documents les plus récents remontent à décembre 2023.

Une "guerre informationnelle" à plus d'un milliard d'euros

Ce programme, dont l’objectif principal est de soutenir la candidature du président sortant, illustre aussi “l’importance pour le Kremlin [d’intégrer] les ‘nouveaux territoires’ - c’est-à-dire occupés par la Russie - en Ukraine”, note Vsquare, un site de journalisme d’investigation spécialisé dans l’actualité d’Europe de l’Est qui a aussi travaillé sur cette fuite de documents.

En tout, ils révèlent que le pouvoir russe a prévu un budget de plus d’1,1 milliard d’euros pour soutenir cette “guerre informationnelle” en amont de la présidentielle russe. Le secteur du divertissement - télévision, cinéma et internet - se taille la part du lion de cette enveloppe très spéciale, constate Meduza, un site d’investigation russe indépendant également partenaire de ces “Kremlin Leaks”.

L’administration présidentielle veut des œuvres qui mettent en avant les “valeurs traditionnelles du pays”. Elles doivent montrer que “les changements positifs dans le mode de vie des Russes sont des tendances de fond”, et s'attacher à exalter “les héros modernes [russes] dont tout le monde peut être fier”. Et elles visent à favoriser l'unité du pays en offrant un sentiment d’appartenance nationale aux “résidents des nouveaux territoires” occupés en Ukraine.

Cette feuille de route “n’a rien de neuve dans l’esprit et fait penser aux lignes directrices à suivre pour les studios de cinéma dans les années 1930 [le code Hays, NDLR]”, explique Jeff Hawn, spécialiste de la Russie à la London School of Economics.

“Les ‘Kremlin Leaks’ dévoilent surtout les détails financiers de l’écosystème mis en place pour pousser le narratif voulu par le pouvoir russe”, précise Vlad Strukov, professeur de cinéma à l’université de Leeds et spécialiste du 7e art russe.

Un espion en ex-RDA et une histoire d'amour au Donbass

Une quinzaine d’organisations et associations ont ainsi reçu près de 600 millions d’euros afin de produire des contenus en phase avec les objectifs énumérés par le pouvoir russe. D’après les “Kremlin Leaks”, le grand gagnant de cette opération s’appelle l’Institut du développement de l’Internet (IDI) qui a reçu depuis début 2023 plus de 400 millions d’euros pour mettre cette propagande en image.

L’IDI avait été fondé en 2015 dans le but de “renforcer la coopération entre l’État et les acteurs du numérique”, rappelle Meduza dans une enquête de 2023 consacrée à l’influence de cet organisme. Mais à partir de 2017, sa raison d’être a changé : l’Institut du développement d’Internet est devenu un fond pour financer “des contenus à destination des jeunes”, souligne Meduza.

L’IDI n’est pas resté une machine à mèmes ou à séries pour ado. Il représente dorénavant l’une des principales sources de financement pour les films et émissions télés en Russie, assure Meduza. C’est l’archétype “de ces organismes alternatifs aux traditionnels fonds de création artistique traditionnel que le pouvoir utilise pour pousser son propre narratif”, explique Vlad Strukov.

Pour la présidentielle, l’IDI a ainsi préparé un document “de contenus créatifs de campagne” détaillant une douzaine de projets de films, émissions et festivals musicaux. Il est question d’une série, baptisée RDA (République démocratique allemande) sur le quotidien d’un officier du renseignement en ex-Allemagne de l’Est à l’époque de la Guerre froide. Elle “donne une image positive de l’agent des services de sécurité”, chargé de se battre contre l’influence de l’Occident. Une allusion à peine voilée à Vladimir Poutine qui a occupé un poste similaire dans ses jeunes années. Il y a aussi “20/22”, une autre série qui évoque l’histoire d’amour entre un jeune russe qui part en “mission humanitaire dans le Donbass” avec une jeune femme opposée à “l’opération militaire spéciale” (l’euphémisme officiel utilisé par Moscou pour désigner l’invasion russe de l’Ukraine débutée en 2022).

Minimiser le besoin de truquer les élections

Pour Jeff Hawn, c’est en tout cas “la première fois que l’entourage de Vladimir Poutine met en place un tel dispositif pour garantir la réélection du président russe”. Un effort de propagande qui peut étonner : l’issue du scrutin semble en effet joué d’avance.

L’idée, en réalité, ne serait pas de faire gagner Vladimir Poutine, mais “de réduire le besoin de devoir manipuler des résultats”, assure Jeff Hawn. Depuis le début de la grande offensive militaire en Ukraine et surtout la “rébellion” avortée de feu le patron du groupe Wagner Evguéni Prigojine, il y aurait une certaine “insécurité au sommet de l’État quand à la pérennité du système”, poursuit l’expert de la London School of Economics.

Si le déluge de propagande permet de faire monter le score du président-candidat, “ce sera une manière de convaincre le monde politique russe que Vladimir Poutine a toujours le soutien des masses et qu’il n’est pas nécessaire de chercher une alternative”, estime Jeff Hawn. 

Ces “Kremlin Leaks” sont aussi le reflet d’un pouvoir russe qui devient de plus en plus idéologique. Il a certes toujours eu recours au culte de la personnalité mais “l’une des forces de Vladimir Poutine était qu’avant la guerre en Ukraine il savait être pragmatique”, souligne Jeff Hawn.

Depuis lors, le maître du Kremlin joue à fond la carte de l’affrontement idéologique avec “l’Occident décadent” et ne manque pas une occasion de faire l’apologie des “valeurs nationales traditionnelles”. Mais comme “la Russie n’est pas la Chine en termes de contrôle de l’accès à la culture, le public peut voir des productions occidentales ou d’Amérique du Sud et d’Asie”, note Vlad Strukov. Pour cet expert, les “Kremlin Leaks” montrent ainsi comment le pouvoir russe “délègue la production du narratif développé par le Kremlin à toutes ces structures comme l’IDI, afin de pouvoir proposer une offre compétitive face à ces autres influences”, conclut-il.

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