Ce fut un travail de longue haleine. Pendant 20 ans, des volontaires ont passé régulièrement des tests sanguins et des imageries pour essayer de comprendre comment la maladie d’Alzheimer apparaît. Au-delà des signes cliniques, comme la perte de mémoire ou la désorientation, la recherche a déjà mis le doigt sur plusieurs signes.
D’abord, l’accumulation d’une protéine dans le cerveau, la bêta-amyloïde, qui, sous forme de plaques, empêche le bon fonctionnement des neurones. Ensuite, la protéine tau, qui, elle aussi, s’accumule et fibrille ("tournicote") autour des neurones jusqu’à les empêcher de communiquer.
Enfin, dans le cerveau, certaines structures diminuent. On sait que la plaque bêta-amyloïde commence à s’accumuler bien avant que la mémoire ne commence à faiblir, autour de 65 ans. Mais à partir de quand les niveaux sont-ils assez différents pour qu’on puisse prédire qui développera un Alzheimer et qui ne le développera pas ? C’est ce qu’a tenté de savoir le groupe de recherche China cognition and aging study (COAST) qui publie ces travaux dans le New england journal of medicine (NEJM).
Des changements rapides puis un plateau
Pour cela, un groupe de participants a passé tous les deux ou trois ans des imageries cérébrales, des tests cognitifs et une analyse de liquide céphalo-rachidien.
Au bout de vingt ans, les résultats de 648 d’entre eux, ayant développé la maladie d’Alzheimer, ont été comparés à ceux de 648 autres personnes, qui n’ont pas eu de problèmes cognitifs. Grâce au liquide céphalo-rachidien, plusieurs biomarqueurs connus ont pu être retracés. Les niveaux de plaque bêta-amyloïde chez les personnes qui allaient développer Alzheimer ont commencé à diverger du groupe sain 18 ans avant les premiers symptômes. Les niveaux de protéine tau, eux, se sont démarqués 11 ans avant.
Par ailleurs, l’hippocampe a ensuite commencé à s’atrophier huit ans avant que les signes cliniques de déclin cognitif n’apparaissent. Ces résultats montrent "une apparente accélération des changements dans le liquide céphalo-rachidien avant que cela ne se stabilise au moment du diagnostic", précisent les auteurs de l'étude.
Plusieurs hypothèses enfin confirmées
"Connaître le moment où ces changements physiologiques apparaissent est crucial pour permettre aux médecins de savoir quand commencer des mesures de prévention et de soins. […] Non seulement cette longue étude confirme des hypothèses formulées par le passé mais elle confirme aussi l’ordre dans lequel ces changements apparaissent", commente le Dr Richard Mayeux, neurologue à la Columbia University (Etats-Unis), qui précise que ces résultats ont une valeur "inestimable."
Seule limite à cette étude, les origines des participants, étant tous issus d’ancêtres Han, le peuple chinois dit "historique." "On sait qu’il y a des variations de biomarqueurs selon l’ethnie des participants mais cela n’amoindrit pas ces résultats." Ils pourraient, à l’avenir, encourager d’autres scientifiques à se pencher sur des participants d’autres origines.
Si ces résultats pourraient permettre, à terme, de diagnostiquer la maladie très en amont, reste à savoir quelle solution proposer aux patients. En 2023, pour la première fois, un médicament a réussi à ralentir le déclin cognitif de 35%. La maladie progresse donc toujours, mais plus lentement. Et ce médicament a montré plusieurs effets secondaires non négligeables, comme une inflammation du cerveau.