2,3 millions de Gazaouis terrassés par la faim: pourquoi l'état de famine n'a toujours pas été officiellement déclaré?

Les observateurs sur le terrain constatent un manque criant de nourriture à Gaza. Mais des obstacles techniques empêchent encore à ce jour de parler officiellement de "famine".

Des enfants faisant la file pour avoir à manger, à Dair El-Balah (bande de Gaza) le 2 février 2024 ©BelgaImage

Ce mercredi, 25 ONG se sont regroupées pour provoquer un électrochoc auprès de la communauté internationale. Dans un communiqué conjoint, elles constatent qu'en plus des maladies, la malnutrition commence désormais à faire des morts à Gaza, et le nombre de cas augmente. Il faut nourrir 2,3 millions de personnes, bloquées sur un tout petit territoire coupé du monde, entre un champ de bataille qui a déjà détruit plus de 54,6% des bâtiments gazaouis et une frontière égyptienne quasi hermétique. Un désastre humanitaire qui ne peut être réglé par de simples largages aériens de nourriture mais par une aide acheminée par voie terrestre, d'où la nécessité d'un cessez-le-feu, clament les ONG.

La situation semble donc désespérée. Et pourtant, officiellement, l'état de "famine" n'a pas été déclaré. L'ONU et le PAM (Programme alimentaire mondial) parlent seulement de famine "imminente". Une retenue rhétorique liée à une classification créée par un organisme de référence pour les organes des Nations Unies et les ONG: l'IPC.

Cinq paliers

L'IPC, c'est le "Cadre intégré de classification de la sécurité alimentaire". "Avant que l’outil existe (il a été créé en 2004, ndlr), chaque acteur utilisait ses propres indicateurs", explique à la RTBF Cyril Lekiefs, responsable sécurité alimentaire à l’ONG international Action contre la Faim. "On était donc incapable de comparer les situations, de voir quelle région souffrait le plus. Aujourd’hui, grâce aux partenaires de l’IPC, cela se fait de manière consensuelle, et sur une base technique, pas politique”.

Ce consensus prend aujourd'hui la forme d'un classement. Pour les situations qualifiées d'"Insécurité alimentaire aiguë" (IAA), l'IPC distingue cinq niveaux d'alerte. Le premier représente un risque "minimal", et le deuxième un "stress". C'est à partir de la phase 3, celle de la "crise", qu'une "action urgente est requise" pour "protéger" des vies, pour les "sauver" voire pour "prévenir des décès à grande échelle". Si la malnutrition aigué est "très élevée" et que la mortalité est "excessive", on parle d'"urgence". C'est ce niveau 4 qui prévaut aujourd'hui à Gaza. La "famine" représente le niveau 5. avec pour caractéristique "des niveaux d'inanition (c'est-à-dire de faiblesse extrême causée par la faim, ndlr), de décès, de dénuement et de malnutrition aiguë critiques évidents".

Classification de l'IPC

©IPC

Trois critères pour parler de "famine"

La question que l'on pourrait se poser, c'est de savoir pourquoi l'IPC en est resté au stade 4 dans le cas de Gaza, au vu des données qui reviennent du terrain. Déjà à la mi-février, 90% des enfants de 6 à 23 mois subissent des manques critiques de nourriture, ainsi que la majorité des femmes enceintes ou allaitant, selon un rapport écrit par des organisations comme l'UNICEF.  Le 1er mars, l'OMS recensait 10 enfants décédés à cause de la faim. Cinq jours plus tard, le Hamas en comptait 15. Le 6 mars, le coordonnateur des Nations unies pour l’aide humanitaire parlait d'"au moins 20 morts". De toute évidence, ce chiffre a sûrement augmenté au cours des dix derniers jours. Et c'est sans compter la dénutrition d'une grande partie de la population, qui ne reçoit parfois qu'un œuf par jour de la part de l'aide humanitaire pour subvenir à ses besoins.

 

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Le problème, c'est que le dernier rapport de l'IPC date de décembre dernier. Or c'est lui qui fait autorité. Mais à l'époque, les critères du niveau 5 n'étaient pas rencontrés. Concrètement, on parle de "famine" lorsqu'au moins 20% de la population souffre d'un manque "extrême" de nourriture, qu'au moins 30% des enfants souffrent de malnutrition, et qu’au moins 4 enfants par 10 000, et 2 adultes par 10 000, meurent chaque jour de faim ou de maladies liées à la malnutrition.

Est-ce qu'aujourd'hui, ces critères seraient atteints? C'est la grande question. Selon la RTBF, le prochain rapport devrait arriver le lundi 18 mars. Si l'état de famine est déclaré, cela pourrait débloquer des aides pour les Gazaouis, du moins si les obstacles empêchant leur distribution sur le terrain sont levés. À ce jour, ce niveau 5 n'a été officiellement déclaré que deux fois au cours de l'histoire de l'IPC: en Somalie en 2011 et au Soudan du Sud en 2017. Le Yémen et l'Éthiopie pourraient également avoir atteint ce palier, mais cela n'a pas pu être vérifié de façon indépendante avec des données bien établies.

L'agence québecoise Science-Presse rappelle pour sa part que même s'il n'y a pas de mortalité, la malnutrition se traduit par des conséquences dramatiques: retards de développement, plus grande vulnérabilité à des maladies infectieuses, etc. À Gaza, des épidémies de varicelles, de choléra, de diarrhées infantiles et de maladies respiratoires ont déjà été constatées, avec le risque que ces pathologies fassent encore plus de victimes que celles mortes au combat. Selon le bilan du Hamas de ce 13 mars, 31.272 personnes ont été tuées dans la bande de Gaza, dont plus de 12.300 enfants. L'ONU confirme pour sa part que plus de 12.000 enfants sont morts depuis le début de l'offensive israélienne.

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