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Seconde Guerre mondiale

Sur la trace des combattants étrangers tombés dans le maquis du Vercors

En juillet 1944, l’armée allemande lance une violente offensive pour démanteler le maquis du Vercors. Parmi les résistants, de nombreux étrangers participent à ces combats. Historiens et passionnés tentent de retrouver les traces de l’incroyable parcours de ces hommes nés de l'autre côté de la Méditerranée et qui ont marqué l’histoire de la Résistance sur les plateaux du Vercors. Reportage.

Des tirailleurs "sénégalais" dans le maquis du Vercors, entre juin et septembre 1944.
Des tirailleurs "sénégalais" dans le maquis du Vercors, entre juin et septembre 1944. © DR
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Les commémorations des 80 ans de la libération de la France seront lancées mardi 16 avril par Emmanuel Macron à Vassieux-en-Vercors. Dans ce village de la Drôme, quasiment rasé en juillet 1944 lors des combats entre résistants et l’armée allemande, le chef de l’État s'attardera peut-être sur les tombes d’Abdesselam Ben Ahmed, d'Ahmed Ben Ouadoudi ou de Samba N’dour. Ces trois combattants étrangers reposent dans la nécropole qui abrite les tombes de 187 maquisards et civils morts sur le plateau du Vercors en juillet 1944.

Les deux premiers étaient ouvriers sur un chantier de la région, le dernier était lui tirailleur sénégalais. Ces trois "coloniaux", selon le vocabulaire de l'époque, ont contribué à la légende du maquis du Vercors. Pourtant, connaître le parcours qui les a menés à prendre les armes sur les plateaux du Vercors reste une démarche semée d'embûches.

La tombe d'Abdesselem Ben Ahmed à la nécropole de Vassieux-en-Vercors.
La tombe d'Abdesselem Ben Ahmed à la nécropole de Vassieux-en-Vercors. © David Gormezano - France 24

"Leur mémoire ne s'est pas transmise", estime Didier Croibier Muscat. "Il existe parfois des traces dans un témoignage, dans un bouquin ou dans les revues de notre association mais ça reste complètement aléatoire. Ça n'a jamais fait l'objet d'un travail de recherche approfondi", explique le secrétaire général de l'Association mémorielle Pionniers du Vercors.

L’apport le plus visible des résistants étrangers dans le maquis du Vercors est celui d’un groupe de tirailleurs sénégalais présent entre juin et septembre 1944. "C'étaient des gens qui étaient cantonnés à la caserne de la Doua, à Villeurbanne, et qui travaillaient au port Édouard Herriot de Lyon, encadrés par des soldats allemands. Ils n’avaient pas été faits prisonniers en 1940 au moment des combats" explique Didier Croibier Muscat.

"Ce sont des responsables du maquis qui ont l'idée d’aller chercher ces fameux 52 ou 53 tirailleurs sénégalais fin juin 1944 pour les ramener dans le Vercors afin qu'ils participent en tant qu'unité constituée aux combats. Ce qu'ils ont fait", ajoute Julien Guillon, historien et référent scientifique du Mémorial de la Résistance de Vassieux-en-Vercors.

Prise d'arme d'un groupe de tirailleurs sénégalais sous le commandement d'Henri Zeller, responsable militaire FFI pour le sud-est de la France.
Prise d'arme d'un groupe de tirailleurs sénégalais sous le commandement d'Henri Zeller, responsable militaire FFI pour le sud-est de la France. © DR

La présence de ces hommes noirs sur ces plateaux de moyenne montagne, de juin à septembre 1944, retient l’attention. De nombreuses photographies de ces Africains du maquis existent, notamment lorsqu’ils défilent dans la ville de Romans-sur-Isère, le 8 septembre 1944, après avoir participé aux combats qui ont libéré la ville quelques jours plus tôt.

"Quand vous avez 52 tirailleurs sénégalais dans le Vercors, un truc pareil c’est totalement inhabituel, donc on en a parlé. Mais du point de vue de l'historien, on en a très mal parlé parce qu'on n'a pas cherché d'où ils venaient. On sait seulement qu’ils ont combattu sur le plateau, puis qu'ils vont suivre les unités reconstituées du 11ᵉ régiment de cuirassiers avant d’être démobilisés", précise Didier Croibier Muscat. 

Des résistants oubliés ?

"On n'a pas ou peu étudié l’apport des coloniaux et des étrangers à la Résistance. Ce n'est pas une volonté discriminatoire, voire raciste, voire d'exclusion. À mon avis, ce n’est pas du tout le problème. La perte de mémoire vis-à-vis de populations étrangères découle à mon avis de l’absence de demande sociale sur cette question pendant des années", ajoute-t-il.

Julien Guillon avance une explication similaire. "L'historiographie a d'abord privilégié la geste maquisarde, les combats, les morts. Après, on a commencé à s'interroger réellement sur ceux qui ont combattu. D'abord les chefs, puis ceux qui étaient en dessous. Pourquoi est-on entré en résistance alors qu'on est né en Algérie ou à Madagascar ? Il y a eu des Malgaches dans le Vercors… Ce sont des parcours de vie qui sont extrêmement compliqués à étudier, d’autant plus qu’on n'a pas retrouvé tous les noms".

Pour Kamel Mouellef, connaître et faire connaître ces destins est devenu une passion, voire une obsession. Né en France de parents algériens arrivés dans le pays en 1936, ce directeur commercial à la retraite parcourt les archives pour établir des portraits de "Résistants oubliés". Il en a fait une BD, publiée en 2015. 

"J'ai découvert le Vercors par le parcours d'Ahmed Benabid. C’était un médecin né en Algérie en 1911 et formé dans les années 1930 à la faculté de médecine de Grenoble. Il rejoint la Résistance dans le Vercors en 1942 avec le grade de capitaine et devient officier de liaison. En juillet 1944, lors de l’offensive allemande, il soigne les très nombreux blessés dans un hôpital de campagne installé dans la grotte de la Luire où les Nazis achevèrent 17 résistants. Bien plus tard, en 1959, il rejoint le maquis du FLN en Kabylie où il officie en tant que médecin avant de revenir à Grenoble. J’ai pu réunir ces éléments par l’intermédiaire de son fils Alim Louis Benabid, qui est neurochirurgien et membre de l'académie des sciences. J’ai aussi récolté des témoignages de familles du Vercors qui se souviennent que ce médecin montait dès que des maquisards étaient blessés".

Transmettre la mémoire des étrangers dans la Résistance 

Après cette découverte, Kamel Mouellef lève une partie du voile sur le parcours d’Abdesselam Ben Ahmed, qui repose dans l’une des deux tombes musulmanes de la nécropole de Vassieux. Grâce aux Pionniers du Vercors, il peut consulter sa fiche et découvre que comme lui, une vingtaine d’ouvriers avait décidé de monter au maquis pour en découdre avec les Allemands.

"Sur la fiche d’Abdesselam, il y a une mention 'armée six ans'. Donc c'est quelqu'un qui probablement a été militaire. Il travaillait sur un chantier de construction d’un barrage sur le Drac, dans l’Isère. Là, un Monsieur Pisani, qui travaillait sur ce barrage et qui était résistant, a convaincu un groupe d’ouvriers de rejoindre la Résistance et a organisé leur transfert. Il y avait des Marocains, des Tunisiens et des Algériens. J’ai pu en identifier 22", précise Didier Croibier Muscat.

Dans sa BD, Kamel décrit l’héroïsme d’Abdelsalm, exécuté fin juillet 1944, lorsque les troupes allemandes achèvent les blessés de la grotte de la Luire.

Extrait de la BD de Kamel Mouellef, Olivier Jouvray et Baptiste Payen aux éditions Glénat.
Extrait de la BD de Kamel Mouellef, Olivier Jouvray et Baptiste Payen aux éditions Glénat. © DR

Arrière-petit-fils d’un tirailleur algérien mort le 20 juillet 1918 vers Soissons, Kamel Mouellef estime que l’histoire de ces héros oubliés doit absolument être transmise aux jeunes issus de l’immigration.

"C’est important que l’on parle de ces gens-là. C'est rappeler à Marine Le Pen qui, du matin au soir, nous montre du doigt, que ces gens-là sont morts pour la France, alors qu'ils n'étaient pas français. Il y avait des Algériens dans la Résistance française. Ils se sont battus, ils ont commis des dizaines d'attentats contre des officiers allemands… Pourquoi ne parle-t-on jamais de ces hommes ? Je ne parle pas de les faire entrer au Panthéon, je parle de reconnaissance".

Kamel Mouellef à Grenoble, le 7 avril 2024.
Kamel Mouellef à Grenoble, le 7 avril 2024. © David Gormezano - France 24

Lors d’une intervention dans un collège, le retraité hyperactif, qui fait tourner un peu partout en France une exposition tirée de son travail, estime que "Ies jeunes d'aujourd'hui, il faut aller les voir, il faut leur parler, il faut aussi les valoriser du matin au soir. J’entends des gamins me dire "on nous prend pour des voleurs, des migrants, mais nous sommes des gens qui se sont battus pour la France".

Sur le plateau du Vercors, Julien Guillon, l’historien, tente de poursuivre les difficiles investigations pour mettre des noms et des visages sur les étrangers résistants morts dans les maquis. "Il y a de très fortes chances qu'il y ait des descendants, de l'autre côté de la Méditerranée, de ces combattants qui sont tombés évidemment avec les honneurs ici, sur le territoire du Vercors. Qu’ils ne sachent pas où reposent leurs ancêtres, qu’ils ne sachent pas ce qu’ils ont fait pendant la guerre, je trouve ça terrible".

Julien Guillon, historien et référent scientifique du Mémorial de la Résistance à Vassieux-en-Vercors, le 8 avril 2024.
Julien Guillon, historien et référent scientifique du Mémorial de la Résistance à Vassieux-en-Vercors, le 8 avril 2024. © David Gormezano - France 24

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