Malouma, la diva contestataire de Nouakchott

Censurée quinze ans durant par le régime mauritanien pour ses positions pro-démocratiques, la chanteuse et sénatrice Malouma se consacre désormais à la culture et l'environnement.

Par Anne Berthod

Publié le 28 avril 2014 à 12h00

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 05h12

Ce vendredi, à Nouakchott, en Mauritanie, il est plus de minuit quand la diva Malouma paraît au mariage de son frère cadet. Rien ne presse : c'est le deuxième jour de la noce, et les époux, tradition oblige, ne sont toujours pas là. Sous les tentures installées à l'orée du désert, une centaine de convives attendent qu'on leur serve le méchoui. « C'est interminable... Avant, j'aimais ça, mais aujourd'hui les mariages me fatiguent », confesse la chanteuse de 54 ans entre deux accolades. Un à un, tous viennent saluer à la fois la parente, l'artiste, reine de la chanson mauritanienne, et la sénatrice, grande figure de l'opposition élue en 2007, aux premières heures démocratiques d'une République islamique abonnée aux putschs. Dans leurs regards se lit la même chaleur, la même admiration. Ce soir, pourtant, Malouma ne chantera pas. Elle se produira le lendemain, chez elle, devant un parterre plus érudit. Quand la mariée fait enfin son entrée, entièrement voilée sous sa grande melhafa noire, Malouma s'éclipse, laissant l'animation de « la nuit de la joie » à de jeunes groupes branchés sur orgue synthé.

La griotte de personne

Issue de l'une des lignées griotiques les plus prestigieuses du pays, elle refuse d'être « la griotte de quiconque », pas même de ce frère, Arafat El Meidah, compositeur phare de la jeune scène musicale. Aux louanges des puissants qui incombaient à sa condition, elle, qui a toujours combattu les préjugés de caste ancrés dans une société com­munautaire — où voisinent Maures et « Négro-Africains » —, a préféré dénoncer le racisme et les mariages forcés, promouvoir l'alphabétisation et la place des femmes. Ou encore conspuer les généraux au pouvoir : un choix particulièrement courageux.«

Au début de ma carrière, en 1988, mon père m'avait prévenue que ce serait dur, commence-t-elle. On lui a rapporté que je chantais "habibi habibi" ["mon chéri", des bluettes impudiques, NDLR], que j'avais ruiné son honneur. » Mais avec sa fille deux fois divorcée, d'abord d'un mari imposé, puis d'un noble dont la famille refusait qu'elle chante, le vieux griot en avait vu d'autres. « Je lui ai fait écouter une composition et il a pleuré. Il m'a dit : "Tu crées quelque chose de nouveau et ça me touche. Malheureusement, je ne vivrai pas assez longtemps pour pouvoir te protéger." »

Le knou, danse réservée aux femmes d'une grande beauté

Première songwriter mauritanienne, chantre inédit d'une relecture orchestrale contemporaine de la tradition (avec piano jazz, reggae et slam sur son dernier disque, Knou), Malouma a payé son audace de presque quinze années de censure totale. Mais elle a aussi gagné le respect du peuple et de l'intelligentsia, qui combattront sans répit son interdiction. En 2003, après une formidable marche pacifique, la sanction sera enfin levée.

Le samedi soir, ses invités sont à l'heure. Artistes, écrivains (et écrivaines), hommes politiques, journalistes francophones, c'est aux plus grands lettrés de Mauritanie, le « pays aux mille poètes », qu'elle a tenu à présenter son nouvel album, « parce qu'ils sont les premiers concernés par la sauvegarde du patrimoine ». Pour l'heure, tous sont hilares à l'écoute de ses histoires, qu'elle conte avec cette gouaille typique de sa région, le Trarza. Mais tous se taisent aussitôt quand apparaît une danseuse, une des rares interprètes du knou, danse uniquement réservée aux femmes d'une grande beauté. Drapée dans une magnifique toge bleu indigo, Malouma accompagne ses pas syncopés des cordes de son ardin, la harpe angulaire.

Avec son disque, riche en traditions oubliées et modes anciens, la sénatrice espère relancer sa carrière musicale, mise de côté depuis son élection. « Je n'ai plus la force de m'engager comme avant [pour une vraie démocratie, NDLR], alors je me bats sur le front de la culture et de l'environnement », confie-t-elle. Son rêve ? Créer en novembre un festival de musiques mauritaniennes dans les dunes de Mederdra, son village natal, au sud du pays.

À écouter

Knou, 1 CD TA M/L'Autre Distribution.

À voir

Malouma en concert, les 29 et 30 avril, Studio de l'Ermitage, Paris 20e, le 25 mai, Domaine d'O., Montpellier (34), www.festival arabesques.fr

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