Selon Sharda Ugra, une journaliste qui fait autorité en matière de cricket, le BJP se sert de ce sport «pour véhiculer un nationalisme musclé». «Le contrôle s’exerce non seulement grâce à de hauts responsables liés au parti au pouvoir, mais aussi à l’utilisation du cricket indien pour diffuser leur message politique», explique-t-elle à l’AFP. Le gouvernement de M. Modi n’est pas le premier à se servir du cricket à des fins politiques en Inde, mais son parti populiste a encore plus resserré les liens avec l’instance dirigeante, selon Mme Ugra.
Le chef du BCCI, Jay Shah, n’est autre que le fils du ministre de l’Intérieur Amit Shah, bras droit de M. Modi et lui-même ancien président du Conseil de contrôle du cricket de l’Etat du Gujarat. Et le président de la très lucrative Premier League de cricket indienne, Arun Dhumal, est le frère du ministre des Sports Anurag Thakur, également ancien patron du BCCI. «L’actuel BCCI est la première administration indienne du cricket sous la coupe d’un seul parti politique, et non d’un groupe de divers politiciens», ajoute la journaliste.
Stades rebaptisés
Pour Gideon Haigh, journaliste australien spécialiste du cricket, le BJP a récupéré le cricket «sans vergogne dans son propre intérêt. Le cricket n’est qu’une des nombreuses institutions qu’il s’est arrogées, même si c’est celle qui compte le plus pour le plus grand nombre».
Ainsi, après que le BJP a remporté les élections de l’Etat du Rajasthan en décembre dernier, le fils d’un ministre a été nommé à la tête de l’instance dirigeante du cricket. A New Delhi, le stade de la capitale a été rebaptisé en 2019 en l’honneur du défunt ministre des Finances Arun Jaitley, un pilier du BJP. Et lorsque l’Inde a accueilli la Coupe du monde ODI l’an dernier, M. Modi a assisté à la finale dans le plus grand stade de cricket du monde, qui porte son nom à Ahmedabad.
M. Modi avait inauguré ce stade de 132 000 places en 2020 lors d’un méga-rassemblement à l’occasion d’une visite du président américain de l’époque, Donald Trump. Une victoire de l’Inde aurait sans aucun doute encore plus galvanisé la fibre nationaliste avant les élections, mais elle a perdu, et le premier ministre s’est rendu dans les vestiaires pour féliciter l’équipe indienne, accompagné de caméras. «Cela arrive, a-t-il dit aux joueurs. Gardez le sourire, le pays vous admire.»
Plus de revenus que Bollywood
Le cricket est si lucratif dans ce pays de 1,4 milliard d’habitants, le plus peuplé du monde, qu’il générerait en moyenne plus de revenus que l’industrie cinématographique de Bollywood. La Ligue indienne de cricket (IPL) est la plus riche au monde et la fortune du BCCI s’est encore étoffée avec la vente des droits de diffusion du tournoi T20 2023-27 pour 6,2 milliards de dollars. Certains commentateurs affirment que la richesse et la puissance du BCCI lui permettent de tirer les ficelles au sein de l’instance dirigeante mondiale du cricket, l’International Cricket Council (ICC).
Plus de 90% du milliard de fans de ce sport dans le monde se trouvent dans le sous-continent indien, selon une étude de l’ICC de 2018. Dans d’autres pays, comme le Zimbabwe ou le Sri Lanka, l’ICC a suspendu des instances dirigeantes en raison d’ingérences politiques. Ses règles stipulent que les instances nationales doivent gérer leurs affaires de manière «autonome» et «veiller à ce qu’il n’y ait aucune ingérence du gouvernement». L’ICC a refusé de commenter le cas de l’Inde.