Gare à Salazar ! Itinéraire d’un dictateur : épisode • 1/4 du podcast De l’Angola au Portugal, la révolution des Œillets

António de Oliveira Salazar, président du Conseil de l'Estado Novo, prononce un discours en 1943. ©Getty - ullstein bild/ullstein bild via Getty Images
António de Oliveira Salazar, président du Conseil de l'Estado Novo, prononce un discours en 1943. ©Getty - ullstein bild/ullstein bild via Getty Images
António de Oliveira Salazar, président du Conseil de l'Estado Novo, prononce un discours en 1943. ©Getty - ullstein bild/ullstein bild via Getty Images
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À la tête du Portugal pendant près de quarante ans, António de Oliveira Salazar mène à la baguette un pays qu'il veut chrétien et modeste. Sa politique coloniale et la pauvreté de ses concitoyens ont raison du salazarisme qui ne survit que quatre ans à sa mort, en 1970.

Avec
  • Yves Léonard Historien, enseignant à Sciences Po Paris, membre du Centre d’histoire de Sciences Po (CHSP), spécialiste du Portugal

Le 25 avril 1974 au Portugal, la révolution des Œillets ne renverse pas Salazar, car il est mort quatre ans plus tôt. Elle renverse cependant tout ce qu’il a construit, imaginé, porté. Le sens à donner à une révolution nécessite de réfléchir à ce qu’elle souhaite abattre. Au Portugal, il s’agit d’une dictature d’un type particulier, difficile à cerner, comme Salazar lui-même, personnage nimbé de mystères. António de Oliveira Salazar, né en 1889, mort en 1970, à l’âge de 81 ans : gare à Salazar ! Itinéraire d’un dictateur.

Salazar, un dictateur pas comme les autres ?

Un coup d'État mené le 28 mai 1926 par le général Gomes da Costa permet à António de Oliveira Salazar, professeur d'économie de l'université de Coimbra, d'obtenir le ministère des Finances en 1928. Son ascension au pouvoir se poursuit lorsqu'il prend la présidence du Conseil en 1932. L'approbation par plébiscite de la constitution de l'Estado Novo en 1933 renforce son règne qui dure jusqu'en 1968.

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Dictateur atypique, Salazar se démarque de Franco, Mussolini et Hitler pour n'avoir jamais fait la guerre ni porté l'uniforme. "Il n'incarne pas un pouvoir charismatique lié au passage par l'épreuve du front. Il joue sur d'autres registres", commente l'historien Yves Léonard. "C'est un homme qui s'est construit dans une culture universitaire, profondément catholique, et qui manie des mots choisis." Si sa carrure d'universitaire lui confère un certain prestige, Salazar inspire également la peur. "Il est entouré d'une police politique et de gens qui veillent à ce qu'on ne puisse pas dire tout et n'importe quoi le concernant. C'est très contrôlé par la propagande."

SANS OSER LE DEMANDER

Faire vivre le Portugal "habituellement"

Né dans une famille paysanne, les origines modestes, le nationalisme et la foi catholique de Salazar semblent guider son action tout au long de son règne. Celui qui n'a de cesse de se présenter comme un intellectuel, aux allures de dictateur malgré lui, rêve d'un Portugal qui doit vivre "habituellement", selon sa propre formule, "c'est-à-dire faire vivre les Portugais pour qu'ils ne se mobilisent pas politiquement, qu'ils ne se soucient pas de la chose publique, autrement dit qu'ils respectent l'ordre immuable des choses", développe Yves Léonard. La violence de l'Estado Novo paraît presque moindre en comparaison des régimes de Mussolini en Italie ou de Franco en Espagne.

Il s'agit de ne pas oublier ni d'euphémiser la capacité répressive du régime de Salazar : absence de liberté syndicale, parti unique, assemblée sans pouvoirs et police politique. "La constitution de l'Estado Novo rend l'exercice des libertés publiques impossible. Elle organise un système d'élections qu'on va qualifier de sans choix", insiste Yves Léonard. "Tout est fait de telle sorte que le débat public soit réduit à sa plus simple expression. La censure est omniprésente." Le camp concentrationnaire de Tarrafal, inauguré en 1936, témoigne de la muselière imposée aux opposants. Le Portugal de Salazar est réduit au silence, terrifié par la surveillance dont il fait l'objet.

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La mort du dictateur rime-t-elle avec la fin du salazarisme ?

Quelques voix s'élèvent toutefois. En 1958, l'évêque progressiste António Ferreira Gomes s'oppose publiquement à l'action du dictateur, tandis que le général Humberto Delgado, candidat au poste de Président, promet de se débarrasser de Salazar. Au cours des années 1960, les étudiants sont une force de plus en plus puissante contre le régime.

L'entêtement de Salazar à poursuivre  les guerres coloniales portugaises, la pauvreté qui se maintient dans le pays le plus pauvre d'Europe occidentale et l'émigration qui en découle, entraînent des contestations qui s'accentuent jusqu'à la chute du régime en 1974. Salazar ne voit pas se produire la  révolution des Œillets qui a lieu quatre ans après sa mort, en 1970. "La suite montrera qu'une dictature de cette nature ne peut pas fonctionner sans (s)a figure tutélaire, (sans) celui qui donnait le ton, qui fixait le cap, et autour duquel, au moins jusqu'au début des années 1960, tout était structuré", observe Yves Léonard. "Tout le problème de son successeur, non désigné de son vivant, (...) Marcelo Caetano, va être de vouloir moderniser la dictature et d'institutionnaliser l'Estado novo sans Salazar."

Pour en savoir plus

Yves Léonard est historien, enseignant à Sciences Po Paris, membre du Centre d’histoire de Sciences Po (CHSP).

Bibliographie sélective :

  • Salazar. Le dictateur énigmatique, Perrin, 2024
  • Sous les œillets la révolution, Chandeigne, 2023
  • Histoire de la nation portugaise, Tallandier, 2022
  • Salazarisme et fascisme, Chandeigne, 2020
  • Histoire du Portugal, Chandeigne, 2020
  • Histoire du Portugal contemporain, de 1890 à nos jours, Chandeigne, 2016

Références sonores

  • Archive sur les 25 ans de pouvoir du président du conseil Salazar, journal des Actualités françaises, 7 mai 1953
  • Archive du propriétaire terrien José Palma à propos de Salazar vu comme un sauveur, Panorama, ORTF, 23 octobre 1969
  • Chanson Maria Lisboa par Amalia Rodrigues
  • Archive de Samy Simon au sujet d'Henri le navigateur, Un micro au Portugal, 8 mai 1950
  • Archive sur la rencontre Franco-Salazar à la frontière hispano-portugaise, journal des Actualités françaises, 17 juillet 1957
  • Lecture par Anna Holveck d'un extrait du roman Les Mandarins de Simone de Beauvoir, 1954
  • Musique du générique : Gendèr par Makoto San, 2020

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