Fruit de six ans de recherches, cette importante rétrospective au Jeu de Paume, due au commissariat d’Isabel Tejeda Martin, suit les pas de Tina Modotti de son Italie natale à la côte Ouest des Etats-Unis, s’attarde sur la période mexicaine (1923-1930) avant de conclure avec son retour en Europe. Organisé en cinq sections chronologiques et thématiques, le parcours, intelligemment scénographié par l’agence NC Nathalie Crinière, permet de voir émerger le regard décisif d’une femme photographe engagée.
La révélation de la photographie directe
Née en 1896 à Udine, en Italie, Tina Modotti, issue d’un milieu modeste, rejoint son père émigré à San Francisco lorsqu’elle n’a que 16 ans. De couturière, elle passe mannequin et part à Los Angeles s’essayer au cinéma comme le montre la première section de l’exposition entre extraits de films et pages d’albums de famille.
Sa rencontre en 1921 avec le photographe Edward Weston (1886-1958) marque une étape cruciale. Pionnier de la straight photography, son amant l’initie à la photographie directe, dans une veine où le formalisme frôle parfois l’abstraction. Les premières images de Tina Modotti montre l’influence de son mentor dont elle se dégage progressivement, après leur installation en 1923 au Mexique où le message politique et social va prendre progressivement le dessus.
Culture populaire mexicaine et photographie de rue
Le pays vit une époque post révolutionnaire où la renaissance artistique et culturelle va de pair avec la revendication d’une « mexicanité ». Proche des milieux artistiques et intellectuels, Tina Modotti documente le travail des muralistes Diego Rivera et José Clemente Orozco, collabore avec la revue Mexican Folkways, illustre des livres comme celui d’Anita Brenner Idols behind altars (Des idoles derrière les autels) traitant de la culture populaire mexicaine. 1926 est une date clé. Sa rupture d’avec Edward Weston qui rentre aux États-Unis, est consommée et l’achat d’un appareil Graflex, léger, de plus petit format lui permet de pratiquer la photographie de rue.
Au côté des plus humbles
Avec son adhésion l’année suivante au Parti communiste, son engagement aux côtés des plus démunis s’exprime directement à travers son objectif. Petits vendeurs des rues, paysans, travailleurs, enfants des quartiers pauvres… : Tina Modotti s’attache aux plus humbles dont elle montre le quotidien.
D’une clarté formelle inouïe au service d’un message sans ambiguïté, les grandes icônes sont là, comme Femme au drapeau (1927) ou Hommes lisant El Machete (1927), leur mise en perspective avec de nombreuses autres images apportant un nouvel éclairage.
L’engagement politique
Expulsée du Mexique où elle est accusée à tort d’avoir participé à un attentat contre le président Pascual Ortiz Ribeiro, Tina Modotti regagne en 1930 l’Europe et se fixe en Union Soviétique. Membre du Secours rouge international (SRI), elle semble arrêter toute activité professionnelle comme photographe. Idem lorsqu’elle est envoyée en Espagne où elle coordonne le SRI pendant la guerre civile.
En 1937, toujours en Espagne, elle prend part à l’organisation du IIe Congrès international des écrivains pour la défense de la culture. De retour à Mexico en 1939, elle meurt prématurément, trois ans plus tard, d’une crise cardiaque à l’âge de 46 ans. Brève mais décisive, son œuvre photographique s’étale sur 10 ans, et rejoint le courant des femmes photographes des années 1920, l’engagement politique en plus.