Le 2 avril dernier, “un blogueur et activiste du nom de Oleh Seryk a adressé une requête à la Cour suprême d’Ukraine”, explique l’analyste politique Tetiana Parkhomtchouk sur le site du quotidien Gazeta. Dans sa déclaration, Seryk “demande à la cour de statuer qu’il est illégal de ne pas avoir organisé d’élection présidentielle le 31 mars 2024, et d’établir une date pour le scrutin conformément à la loi”.

Si l’invasion russe n’avait pas eu lieu, suppose Tetiana Parkhomtchouk, “la question d’un deuxième mandat de Volodymyr Zelensky et son équipe aurait sans doute été vivement débattue”. Et la politologue s’estime en droit de “se poser une question à laquelle le pouvoir aurait dû répondre en toute honnêteté : quelles auraient été ses chances réelles de l’emporter ?”

Zelensky aurait-il été réélu en temps de paix ?

Toutefois, convient-elle, “il faut prendre en compte la Constitution de l’Ukraine”, laquelle “interdit des élections législatives pendant la loi martiale”. Si la Constitution “n’interdit pas la tenue d’une élection présidentielle pendant la loi martiale, cette interdiction est bien inscrite dans le Code électoral”. Malgré tout, le maintien de Zelensky à son poste sans être passé par les urnes suscite de nombreuses interrogations, parce que “le président devrait continuer à exercer ses fonctions sans susciter de doutes tant dans la société que parmi les partenaires étrangers quant à sa légitimité”.

Tetiana Parkhomtchouk rappelle que la loi martiale est “un régime juridique spécial qui prévoit de confier au gouvernement les pouvoirs nécessaires pour résister à une agression armée, au moyen d’une limitation temporaire des droits et libertés constitutionnels des citoyens”. Autrement dit :

“La loi martiale constitue un recul par rapport au processus démocratique habituel, ce qui est nécessaire pour assurer la sécurité nationale.”

Par ailleurs, souligne-t-elle, le Centre de lutte contre la désinformation, une agence de l’État, “considère l’action de Seryk comme faisant partie d’une campagne de désinformation au profit de la Fédération de Russie”.

Sur le site du quotidien en ligne Oukraïnska Pravda, l’auteur et éditorialiste Mykhaïlo Doubynianskiy aborde le sujet sous un autre angle. “Ces jours-ci, il y a une autre question […] qu’il faut se poser : Zelensky aurait-il accepté de devenir président s’il avait eu une idée même vague de ce à quoi ressembleraient les cinq ans de son mandat ? Peut-être aurait-il préféré renoncer.”

Car s’il avait pris ses fonctions en 2019 “en dilettante”, “le navire de la nation qu’il commandait a été presque tout de suite emporté par la tempête sur l’océan mondial”. Et les autorités de Kiev se sont effet “trouvées confrontées à des défis sans équivalent dans l’histoire de l’Ukraine indépendante [depuis 1991]”.

Le président des situations exceptionnelles

Doubynianskiy revient sur “l’Ukrainegate” de la fin 2019, déclenché aux États-Unis par une conversation téléphonique entre Donald Trump et Zelensky à propos de Hunter Biden, le fils de Joe Biden, et de ses affaires en Ukraine. De ce fait, “le nom du président ukrainien a été connu dans le monde entier”.

En janvier 2020, un avion de ligne ukrainien a été abattu par des militaires iraniens. Cette catastrophe, “une des pires de l’histoire de l’aviation ukrainienne, a été comme un signal adressé par le futur Axe du mal – bien avant l’apparition des premiers Shahed dans le ciel ukrainien”. Le gouvernement de Zelensky a ensuite dû gérer la crise du Covid. Or, “il est difficile d’accuser de dilettantisme un novice en politique quand il est face à des difficultés qui réduisent tous les autres dirigeants de la planète au rang de dilettantes”. Le confinement ukrainien de 2020-2021 “n’a pas été des plus efficaces, mais les dirigeants occidentaux ont-ils vraiment fait mieux ?” Doubynianskiy constate :

“À la fin de 2020, il paraissait certain que Zelensky resterait dans l’Histoire comme le président du temps du Covid. Mais aujourd’hui, ce qui s’est passé avant le 24 février 2022 a pour ainsi dire perdu toute importance.”

Volodymyr Zelensky, affirme l’auteur, sera à tout jamais le “président de la guerre”. Le conflit “exige du chef de l’État des efforts colossaux, une résistance incroyable, une volonté de fer”. Si bien que de nos jours, on ne compare pas ses actes “à Biden, Scholz ou Macron, mais à des monuments légendaires comme Churchill ou Roosevelt”.

“La propagande russe se sert de la prolongation sans vote du mandat de Zelensky pour prétendre qu’il sera un ‘président illégitime’ à partir du 20 mai 2024.” Pendant ce temps, en Ukraine même, “les opposants de Zelensky doivent décider quelles sont leurs priorités et s’il est plus important pour eux de régler de vieux comptes politiques ou de ne pas faire le jeu des Russes”. Mais surtout, conclut Doubynianskiy, “si personne ne juge les vainqueurs, les perdants, eux, ne peuvent espérer aucune pitié – voilà la formule dont doit se souvenir Zelensky alors qu’il entame la sixième année imprévue de son mandat présidentiel”.