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Ebrahim Raïssi, président iranien depuis 2021, est décédé dans le crash d’un hélicoptère, le 19 mai.
Ebrahim Raïssi, président iranien depuis 2021, est décédé dans le crash d’un hélicoptère, le 19 mai.
Iranian Presidency / AFP

Mort du président iranien : "Le plus inquiétant est de savoir qui sera en mesure de remplacer l’ayatollah à sa mort"

C'est le crash

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Le président iranien Ebrahim Raïssi est décédé dans le crash d’un hélicoptère, le 19 mai. Mais le véritable leader politique du pays reste l'ayatollah Ali Khamenei, Guide suprême de la Révolution d’Iran, âgé de 85 ans. « Pour la population favorable au régime en place, le plus inquiétant est de savoir qui sera désormais en mesure de le remplacer à sa mort », estime Stéphane Dudoignon, chercheur au CNRS.

C’est un évènement dont les conséquences seront particulièrement scrutées, au regard du contexte international. Ebrahim Raïssi, président iranien depuis 2021, est décédé dans le crash d’un hélicoptère, au même titre que son ministre des Affaires étrangères, Hossein Amir-Abdollahian, le 19 mai. Les autorités ont confirmé l’information le lendemain de l’accident. Le président va être remplacé par le premier vice-président, Mohammad Mokhber, avant une élection qui devrait se tenir dans les 50 jours. L'ayatollah Ali Khamenei, Guide suprême de la Révolution d’Iran, reste le véritable leader politique du pays. « Pour la population favorable au régime en place, le plus inquiétant est de savoir qui sera désormais en mesure de le remplacer à sa mort », d’après Stéphane Dudoignon. Entretien avec le chercheur au CNRS et historien des sociétés de frontière du Moyen-Orient et d’Asie centrale, auteur du livre « Les gardiens de la révolution en République islamique d’Iran », aux éditions du CNRS, en 2022.

Marianne : À la suite de l’annonce de la mort d'Ebrahim Raïssi, l’ayatollah Ali Khamenei a appelé « le peuple iranien » à « ne pas s’inquiéter » car « il n’y aura pas de perturbation dans l’administration du pays ». La structure politique iranienne est-elle suffisamment solide pour résister à de potentiels troubles ?

Je le crois. Le pays se trouve toujours dans une période de répression politique extrêmement intense, débutée à l’automne 2022, à la mort de Mahsa Amini (Iranienne de 22 ans morte en garde à vue pour s'être opposée au port obligatoire du voile, NDLR). Des centaines de morts sont déjà attribuées à cette répression, qu'Ebrahim Raïssi incarnait lui-même. Des rassemblements de prière pour le salut présidentiel ont été organisés un petit peu partout par la part de la population favorable au régime iranien, sans doute très minoritaire. Ce que le pouvoir craint, ce sont des manifestations de joie et d’allégresse. Les radios iraniennes indépendantes du pouvoir, basées à l’étranger, ont donné un très large écho à ces réjouissances populaires : des queues ont été observées devant les pâtisseries, certains Iraniens venant y acheter de quoi faire la fête.

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Ces manifestations de joie se sont vérifiées sur les réseaux sociaux, où les messages d’allégresse et les mauvaises blagues ont fusé dès le début de la soirée, hier. Cela reflète la crise de légitimité que le régime connait depuis de nombreuses années. À l’élection présidentielle 2021, plus de 50% des Iraniens n’ont pas voté, d’après les chiffres, de surcroît trafiqués, du régime. Il faut également noter que les médias iraniens indépendants ont relayé la très grande inquiétude des citoyens favorables au régime islamique, quant au danger que cette disparition faisait peser sur la pérennité de la république islamique.

Le décès du président iranien peut-il modifier la politique menée par le régime ?

C’est extrêmement peu probable. Ce qui risque de se produire c’est une élection présidentielle avec une participation extrêmement basse, ce que la République est obligée de reconnaitre malgré des chiffres trafiqués. Par ailleurs, Ebrahim Raïssi était programmé pour être probablement réélu en juin 2025. Il était même pressenti pour être le successeur de l’ayatollah Ali Khamenei, dans le rôle de Guide suprême. Ainsi, c’est surtout en tant que candidat potentiel à la succession de ce dernier que la disparition du président marque les esprits. Pour la population favorable au régime en place, le plus inquiétant est de savoir qui sera désormais en mesure de remplacer l’ayatollah à sa mort. Le vice-président Mohammad Mokhber ne dispose pas du pedigree religieux dont Ebrahim Raïssi pouvait se prévaloir.

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L’élection présidentielle, qui devrait être organisée d’ici début juillet, peut-elle changer la donne de la guerre indirecte qui oppose Israël à l’Iran, qui soutient le mouvement islamique palestinien et la milice chiite libanaise ?

Le ministre des Affaires étrangères, Hossein Amir-Abdollahian, qui est mort au côté du président, était un des leaders de la ligne dure de l’Iran à l’encontre d’Israël et des États-Unis. Il plaidait en faveur d’une articulation extrêmement étroite entre les gardiens de la Révolution iranienne et la diplomatie du pays, entre le sécuritaire et les affaires étrangères. Il est fort probable que dans les semaines à venir le régime opte pour la plus grande continuité possible. La situation très imprévisible et volatile avec Israël, ne plaide pas du tout en faveur d’une quelconque rupture ou d’une baisse de la garde iranienne, dans les mois et années à venir.

On peut craindre que le régime tire profit de cet incident en procédant à un resserrage de vis

Sur le plan intérieur, ce crash peut-il avoir une quelconque conséquence ?

Une des principales réactions du régime a été de déployer des forces de police extrêmement importantes dans les villes. On peut donc craindre que le régime tire profit de cet incident en procédant à un resserrage de vis. Les mouvement sociaux ont laissé une marque extrêmement profonde. La vague de répression est sans précédent, y compris ces dernières semaines où des femmes ont encore été sanctionnées pour port insuffisamment rigoureux du voile islamique. Cette situation extrêmement tendue à l’intérieur, doublée d’une guerre indirecte avec Israël à l’extérieur, plaide en faveur d’une grande continuité des politiques menées par le pouvoir.

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Est-il possible de visualiser qui sont les favoris du scrutin présidentiel à venir ?

Nombre de candidatures seront éliminées par l’ayatollah, qui sera sûrement encore plus sélectif que d’habitude. C’est lui qui décide qui peut se présenter, puis qui est élu. Le taux d’abstention extrêmement élevé ne risque pas de favoriser les candidats alternatifs. Le désamour de la population pour les élections est massif, sans compter que la République n’hésite pas à trafiquer les chiffres et manipuler les scrutins. L’éventail des offres politiques s’est réduit de façon considérable ces dernières années.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne