La recomposition du paysage télévisuel aux Etats-Unis a franchi, dimanche 19 mai une nouvelle étape avec le rachat de DirecTV par AT&T pour 48,5 milliards de dollars (35,4 milliards d'euros). Le numéro deux américain des télécoms met ainsi la main sur le premier fournisseur de télévision par satellite du pays avec 20,3 millions d'abonnés.
« C'est une occasion unique qui va redéfinir l'industrie du divertissement vidéo et créer une entreprise capable de proposer de nouvelles offres », affirme le patron d'AT&T, Randall Stephenson. Face aux mouvements stratégiques entrepris par ses principaux rivaux, AT&T se devait de réagir.
En février, le premier opérateur américain, Verizon, a racheté pour 130 milliards de dollars au britannique Vodafone le solde du capital qu'il ne détenait pas encore au sein de sa filiale de téléphonie mobile, Verizon Wireless. Cette prise de contrôle à 100% donne au leader du marché une puissance de feu en terme de génération de cash, qui a de quoi inquiéter AT&T.
URGENCE STRATEGIQUE
Dans le même temps, les numéros trois et quatre du secteur, Sprint et T-Mobile discutent d'un rapprochement. L'émergence d'un troisième opérateur majeur aux Etats-Unis, bousculerait un marché sur lequel Verizon et AT&T règnent en maîtres avec près de 80% de parts de marché. L'urgence stratégique est d'autant plus forte pour ce dernier que le groupe a échoué en 2011 à racheter T-Mobile, les autorités de la concurrence américaines s'étant opposées à l'opération.
Pendant un temps, on a prêté à AT&T des ambitions en Europe pour racheter un opérateur concurrent. Mais les cibles d'investissement ne sont pas évidentes. Les marchés sont en effet éclatés, ultra-concurrentiels ou difficilement attaquables du fait de la position dominante des opérateurs historiques nationaux. Coincé sur la partie télécom pure, M. Stephenson, n'a d'autre choix aujourd'hui que d'élargir sa palette de services sur le territoire américain.
L'acquisition de DirecTV lui permettra d'enrichir son offre télévisuelle au moment où le marché de la télévision payante est en train de plafonner aux Etats-Unis. De plus en plus de consommateurs se tournent en effet vers la vidéo à la demande, comme en témoigne le succès de Netflix. DirecTV a l'avantage de proposer une couverture nationale, alors que le service U-verse d'AT&T n'est disponible que dans vingt-deux Etats sur cinquante. A eux deux ils regrouperont 26 millions d'abonnés, un poids qui va leur permettre de mieux négocier les contenus avec les sociétés de production.
PORTEFEUILLE DE 18 MILLIONS DE CLIENTS EN AMÉRIQUE LATINE
Grâce à une offre « triple play » (téléphone, Internet et télévision) beaucoup plus compétitive, AT&T compte aussi augmenter substantiellement son revenu moyen par client au moment où son chiffre d'affaires n'a progressé que de 2% en 2013. Enfin, en rachetant DirecTV, AT&T met la main sur un portefeuille de 18 millions de clients en Amérique latine. Il récupère également 8% dans America Movil, le groupe de télécommunication du mexicain Carlos Slim. Une participation, qui a vocation à être vendue rapidement pour faciliter l'approbation de l'opération par les autorités de la concurrence.
Ce mouvement intervient quelques mois après l'annonce du rachat du deuxième câblo-opérateur américain, Time Warner Cale, par le leader du marché, Comcast, pour 45,2 milliards de dollars. Ce rapprochement, encore examiné par les autorités de la concurrence, serait sur le point de donner naissance à un mastodonte de la télévision regroupant 33 millions d'abonnés. En mars, M. Stephenson avait déclaré que cette opération était de nature à « redéfinir le secteur ».
De fait, les discussions avec DirecTV auraient débutées dans la foulée de l'annonce de cette fusion.
Toutefois, certains observateurs restent sceptiques sur l'intérêt d'investir autant d'argent dans la télévision par satellite, alors que celle-ci plafonne depuis 2 ans. Mais, malgré cette panne de croissance, DirecTV reste une excellente machine à cash : le groupe a gagné 8 milliards de dollars en 2013. Un argent bienvenu au moment où AT&T a des besoins d'investissements colossaux. Ainsi le gouvernement s'apprête à lancer des enchères sur de nouvelles capacités de réseaux pour un montant évalué à 9 milliards de dollars. Par ailleurs, disposer d'une offre de télévision par satellite lui permettrait de dégager de la capacité sur son réseau à haut débit, là où la croissance du marché est la plus prometteuse.
3,6 MILLIARDS DE DOLLARS DE CASH
Cette opération est annoncée, alors que les analystes spéculaient sur un rapprochement entre Direct TV et son concurrent direct, Dish Network. Mais d'une part, le patron de Dish, Charles Ergen a déclaré, pas plus tard que le 8 mai, qu'il n'avait pas les moyens de racheter DirecTV. D'autre part l'opération aurait sans doute eu du mal à obtenir le feu vert des autorités de la concurrence au regard des profils similaires des deux entreprises.
Ces obstacles semblent moins insurmontables pour AT&T. L'opérateur, qui dispose de 3,6 milliards de cash et 8 milliards de lignes de crédit a largement les moyens de son offre, dont seulement un tiers est en liquide et les deux tiers en actions AT&T.
Quant à la question de la concurrence, gageons que M. Stephenson, échaudé par son échec sur T-Mobile, a pris toutes les précautions avant de se lancer dans cette nouvelle aventure.
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