Le Rafale finira-t-il par atterrir en Inde ?

[ACTUALISÉ] - La duplication d’une supply chain Rafale "made in India" avance. Mais l'arrivée au pouvoir, le 16 mai, du parti nationaliste BJP et la future élection de Narendra Modi au poste de Premier ministre, changera-t-elle la donne pour l'avionneur français Dassault Aviation ?

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Le Rafale finira-t-il par atterrir en Inde ?

Actualisation : L'élection du parti BJP du nationaliste Narendra Modi, le 16 mai 2014, lors des législatives indiennes, peut-elle mettre en péril les négociations exclusives de Dassault Aviation pour la vente de 126 avions de combat Rafale ? En février, L'Usine Nouvelle expliquait les difficultés auxquelles l'avionneur français est confronté pour transformer les discussions en contrat en bonne et due forme :

Le "contrat du siècle" peut-il échapper à Dassault Aviation ? La vente de 126 Rafale à l’armée indienne, évaluée à 12 milliards de dollars (9 milliards d’euros), est-t-elle remise en cause ? L’Inde ne signera pas d’accord d’achat de l’avion de combat français avant les élections législatives du printemps en raison de contraintes budgétaires, a déclaré jeudi 6 février le ministre de la Défense, Arackaparambil Kurian Antony. Au 1er février, l’Inde avait déjà dépensé 92 % de son budget d’équipement militaire. "En raison du manque de fonds, il ne faut pas attendre d’accord ou de décision finale lors de cet exercice budgétaire [qui s’achève fin mars, ndlr]", a précisé le ministre indien.

Le Rafale a été sélectionné par New Delhi début 2012. Depuis, Dassault Aviation mène des négociations exclusives avec les autorités indiennes. Après le décès brutal du principal négociateur du ministère indien de la Défense, en octobre 2013, l’avionneur bute, désormais, sur le calendrier politique local. "Tous les comités de décision pour les achats stratégiques en matière de défense vont être gelés à partir de la mi-février. Mais aujourd’hui, il y a un consensus sur la stratégie en matière de défense et les décisions prises ne devraient pas être remises en cause", explique un dirigeant français bon connaisseur du pays.

Dassault devra au mieux patienter plusieurs mois. "Il faut dix ans pour signer un grand contrat un Inde", rappelle cet habitué des affaires indiennes. L'avionneur français le sait, lui qui pratique le sous-continent depuis les années 1950 et la vente des Ouragan, ses premiers avions à réaction à équiper les forces françaises. Plus récemment, la modernisation de la flotte des 51 Mirage 2000 indiens n’a pas échappé à la règle. Démarrées au milieu des années 2000, les négociations menées avec son partenaire Thales n’ont abouti qu’en… 2011 ! L’extrême lenteur de la bureaucratie indienne n’est pas une légende. "La notion du temps n’est pas la même. Quand vous demandez à vos interlocuteurs des précisions sur le calendrier des opérations, vous récoltez souvent un 'very soon' car eux-mêmes n’en savent rien. Cela peut vouloir dire dans trois mois comme dans cinq ans", en sourit cet observateur.

Nombreuses fuites à New Delhi

Il n’empêche. Le fabricant du Rafale veut avancer vite. "Notre objectif est d’avoir fini de rédiger toute la documentation – technique, commerciale, juridique – relative au contrat pour la mi-février. Nous avons une cinquantaine de personnes mobilisées sur ce projet", précise Éric Trappier. Le PDG de Dassault Aviation fait un point quotidien par téléphone, en fin de matinée, avec les équipes indiennes. Et tous les jours ou presque, les medias indiens, citant "des sources anonymes proches du ministère indien de la Défense", apportent leur lot d’informations sur l’évolution des discussions !

Le contrat en chiffres

- 126 appareils, dont 108 assemblés en Inde
- 9 milliards d’euros (estimation)
- 50 % de la charge industrielle pour l’Inde
- 1 intégrateur final : Hindustan Aeronautics Limited (HAL) 

 

Le 26 janvier, le site d’informations local DNA a évoqué le doublement du montant initial du contrat, qui friserait maintenant la trentaine de milliards de dollars ! Ces informations sont invérifiables. D’autant qu’elles ne sont ni démenties ni commentées par les principaux intéressés. "Jamais aucun montant officiel concernant ce contrat n’a été communiqué ni par l’avionneur ni par les autorités indiennes. La plupart des estimations repose sur l’achat brut des 126 appareils, or le contrat est bien plus complexe que ça", assure un observateur averti.

Le contrat englobe toute la prestation d’industrialisation associée à la livraison des avions. Hormis les 18 premiers exemplaires, qui sortiront de l’usine de Mérignac (Gironde), les autres exemplaires du Rafale seront assemblés en Inde par le constructeur aéronautique public Hindustan Aeronautics Limited (HAL). La moitié de la fabrication ira à des sociétés locales. Pour y parvenir, le montage d’une supply chain made in India est tout sauf une évidence. Malgré la qualité des ingénieurs indiens, la maturité industrielle n’est pas la même qu’en France. Les transferts de technologies n’y sont jamais faciles.

"Dans le cadre de la production sous licence des Mig 21 et des Sukhoi 30, HAL a rencontré de nombreuses difficultés. Les chantiers navals Mazagon ont aussi souffert pour produire les sous-marins de DNCS en Inde", rappelle Jean-François Maulny, le directeur du pôle recherche à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris). Pour signer avec leurs fournisseurs des accords de licence sur chacun des équipements du Rafale, HAL et Dassault Aviation ont évalué les compétences des bureaux d’études, audité les capacités de production, défini des plans d’accompagnement à travers la formation.

Soutien sans faille à Paris

Les négociateurs n’ont rien voulu laisser au hasard. "On entre dans tous les détails. Cela prend du temps. Cela va jusqu’à la vis de 5, qui est fabriquée localement", selon Éric Trappier. Peu d’informations filtrent sur le futur schéma industriel, mais on se dirigerait vers une supply chain ramassée autour de quelques grands acteurs comme HAL et le conglomérat privé Reliance Industries. Celui-ci fabriquerait les ailes du Rafale, selon la presse indienne. La différence serait notable avec la France, où quelque 500 PME participent au programme de l’avion de combat.

La question centrale de la responsabilité finale des avions sortis de l’usine de HAL à Bangalore a fini par être tranchée. Ce point délicat a, semble-t-il, longtemps freiné l’avancée des discussions. Réputé intraitable sur le plan commercial, Dassault a refusé d’endosser une telle responsabilité alors que HAL est l’intégrateur final. En 2005, le fabricant de navires militaires DCNS, dans une situation comparable, avait accepté de prendre la responsabilité des deux premiers sous-marins Scorpène sur les six assemblés en Inde par son partenaire, le chantier Mazagon.

Dassault Aviation bénéficie du soutien sans faille du gouvernement français. L’équilibre de la loi de programmation militaire qui définit les budgets de la défense pour la période 2014-2019 repose largement sur la vente de Rafale à l’export. L’État, qui a réduit ses achats pour les prochaines années, compte sur les commandes étrangères pour assurer une charge minimale d’au moins 11 appareils par an à l’usine de Mérignac. L’État et Dassault Aviation ont prévu de refaire un point en 2015. Lors de l’exécution de la loi précédente, l’armée de l’air avait dû acquérir cinq appareils de plus entre 2009 et 2011 pour compenser l’absence d’exportation !

La sophistication du Rafale, souvent décriée, reste pourtant son meilleur atout pour que les négociations de Dassault Aviation avec les autorités indiennes aboutissent. Capable d’emporter 1,5 fois sa propre masse en armement et en carburant, et de mener une grande variété de missions (interception, combat air-air, dissuasion nucléaire…), il répond aux besoins d’un pays en froid avec deux puissants voisins, la Chine et le Pakistan. "Ce n’était ni le cas du Brésil ni de la Suisse, qui lui ont préféré le Gripen suédois plus basique, rappelle Jean-Pierre Maulny. Seule une poignée de pays dans le monde ont besoin du Rafale." L’Inde en fait partie.

Hassan Meddah

Dassault en a rêvé,  DCNS l’a fait

Les chantiers navals Mazagon Dock Limited (MDL), à Bombay, tournent à plein. Six sous-marins Scorpène conçus par le français DCNS y sont en cours d’assemblage. Le plus avancé d’entre eux prendra la merpour les ultimes tests en 2015,en vue d’une livraison à la marine indienne un an plus tard.Pour le groupe naval français,ce sera l’aboutissement de plusde dix années d’efforts pourse développer sur ce marché stratégique. En 2005, DCNS signait un contrat pourla fabrication de six sous-marins conventionnels Scorpène pourun montant évalué à 1,1 milliard d’euros, après trois années d’intenses négociations.Pour y parvenir, DCNS a actionné plusieurs leviers. "Nous avons joué à fond la carte du transfert de technologies", explique Bernard Buisson, le directeurde DCNS India. Cela passaitpar la fourniture des plansde fabrication des navires ainsi que les spécifications techniques des équipements. Pour finirde convaincre les autorités indiennes, le français a prisdes risques.

"Tous les sous-marins sont fabriqués et pas seulement assemblés en Inde. Même si nous ne les construisons pas, nous nous engageons sur le niveau de performancesen termes de vitesse, de discrétion acoustique, de manœuvrabilité… des deux premiers exemplaires. C’est un engagement fort de notre part que le transfert de technologies et de savoir-faire s’opère bien", explique le dirigeant. Pour cela, DCNS a dû faire monter en compétence son partenaire MDL, qui n’avait plus construit de sous-marin depuis dix ans. Aujourd’hui, ce dernier emploie environ 2 000 salariés, dont un grand nombre est venuse former à Cherbourg (Manche). À la signature du contrat,il en comptait 80. DCNS a aussi dépêché des équipes sur place pour s’assurer que son partenaire appliquait correctementles normes de qualité. Surtout,il a fallu construire une supply chain. "Nous avons étudié le tissu industriel indien riche d’environ 400 PME. Cela a pris deux ans pour trouver les partenaires avec le niveau de qualité requis et les qualifier. Pour sélectionner quatre partenaires, nous avons audité près d’une centaine de fournisseurs", explique Bernard Buisson. Une sélection sévère fondée sur une cinquantaine de critères, à la fois techniques et financiers. De quoi tomber sur quelques pépites, comme SEC, une PME d’Hyderabad, qui travaille avec l’agence spatiale indienne !

 

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