Le général Prayuth Chan-ocha, le puissant chef de l'armée thaïlandaise, qui a imposé la loi martiale dans le royaume mardi 20 mai, a invité les rivaux politiques à « discuter », sans annoncer le renversement du gouvernement intérimaire.
- Des pouvoirs exceptionnels
Les militaires sont intervenus pour « restaurer la paix et l'ordre public », a affirmé le général Prayuth Chan-ocha. Tout en ironisant sur le gouvernement en place (« Où est le gouvernement ? »), il a invité la police, la marine, le ministère de l'intérieur et toutes les forces de sécurité du pays à collaborer avec les militaires.
« Nous sommes en train d'inviter les deux parties à discuter. Nous devrions être capables de mélanger toutes les couleurs. Un centre consacré au maintien de l'ordre et contrôlé par le chef des armées sera mis en place, pour prévenir et résoudre les problèmes qui affectent la paix et le maintien de l'ordre dans notre pays. Dans le cadre du Martial Law Act, ce centre pourra mettre en place n'importe quelle loi destinée à contrôler efficacement la situation. »
Les médias locaux rapportent que ce « centre » de supervision de l'armée se fait appeler le PKCC (Peace-Keeping Command Center).
- Censure nationale des médias
Après l'annonce de Prayuth Chan-ocha, les militaires ont pris le contrôle des principales chaînes de télévision du pays. Des soldats et des véhicules ont été vus à l'intérieur de leurs bureaux à Bangkok, tandis que certains bandeaux appelant les Thaïlandais au calme apparaissaient dans plusieurs émissions.
« Nous avons besoin de la collaboration [des chaînes de télévision], afin qu'elles demandent aux gens de ne pas paniquer et qu'elles leur disent que ce n'est pas un coup d'Etat. Nous le faisons parce que la situation n'est pas stable, ils se tuent entre eux jour après jour », a expliqué un général à la presse.
Un peu plus tard, Prayuth Chan-ocha a officiellement décrété une censure nationale, et dix chaînes de télévision ont été privées d'antenne. Le chef des armées a interdit à « tous les médias de rapporter ou de distribuer toute information ou toute photographie nuisibles à la sécurité nationale ».
- Des manifestants empêchés d'agir
Après avoir investi les chaînes de télévision, l'armée a pris le contrôle des « points-clés » de Bangkok, selon les termes d'une journaliste d'ABC. Plusieurs reporters présents sur place ont décrit sur les réseaux sociaux une situation plutôt calme malgré le déploiement des militaires dans les rues du centre-ville.
Des membres des « chemises rouges », les manifestants qui soutiennent toujours l'ex-première ministre thaïlandaise Yingluck Shinawatra, destituée par la justice le 7 mai, ont toutefois affirmé avoir été empêchés d'agir par l'armée. « Nous sommes encerclés par des militaires de toute part », a fait savoir leur leader, Jatuporn Prompan.
Le meneur des manifestants anti-gouvernementaux a de son côté promis de « continuer le combat » visant à faire chuter le gouvernement, estimant que la loi martiale ne changeait rien à la situation. « Nous allons continuer à nous battre. Nous n'avons pas du tout gagné », a déclaré Suthep Thaugsuban devant ses partisans, réunis non loin du siège du gouvernement, inoccupé depuis des mois. Ces derniers, réjouis par l'intervention de l'armée, espéraient la nomination rapide d'un premier ministre « neutre ».
- Le gouvernement intérimaire appelle l'armée à respecter la Constitution
Le cabinet de transition, nommé après la destitution de la première ministre le 7 mai, a assuré, malgré les événements, rester en fonction et « toujours exister ». Le premier ministre par intérim, Niwattumrong Boonsongpaisan, a appelé l'armée à agir « dans le respect de la monarchie constitutionnelle ». Il a proposé la tenue d'élections législatives le 3 août.
Le gouvernement n'a pas été prévenu par l'armée de sa décision d'instaurer la loi martiale. Raison pour laquelle un conseiller du nouveau premier ministre a dénoncé auprès de CNN ce qui s'apparente à « la moitié d'un coup d'Etat ».
« [Les militaires] ont agi de manière unilatérale. Le gouvernement va se réunir spécialement pour considérer la situation. Nous devons établir si le chef des armées [Prayuth Chan-ocha] va honorer sa promesse d'impartialité, comme il l'a déclaré. »
L'autorité de ce gouvernement intérimaire, mis en place alors que le Parlement n'existe plus, reste cependant soumise à cautions. La poursuite des manifestations en Thaïlande a dégénéré en graves violences le 15 mai.
Alors que les « chemises rouges » expriment toujours leur soutien à l'ancienne première ministre, dénonçant un coup d'Etat après sa destitution, le 7 mai, les « chemises jaunes », qui campent devant le siège du gouvernement à Bangkok, réclament, eux, la nomination d'un premier ministre « neutre ».
- Première action d'ampleur de l'armée depuis des mois
Le scénario d'une telle intervention de l'armée était, jusqu'à la semaine dernière, jugé peu probable par les observateurs locaux. Les militaires avaient, depuis le début de la contestation, refusé de se laisser entraîner, même quand les manifestants ont occupé les ministères et les bâtiments publics.
Après la mort de trois manifestants dans une attaque à la grenade en plein Bangkok, dans les violentes manifestations du 15 mai, les militaires avaient toutefois menacé d'agir. Depuis, la pression des manifestants n'était pas retombée.
Le dernier coup d'Etat en Thaïlande a eu lieu en 2006 contre Thaksin Shinawatra, alors premier ministre. Ce dernier, en exil depuis et bête noire des manifestants d'opposition, a profité de son compte Twitter pour faire une courte déclaration sur la crise : « J'espère qu'aucune partie ne violera les droits de l'homme et ne détruira la démocratie. »
En tout, 18 coups d'Etat ont été réussis ou tentés depuis 1932, date de l'instauration de la monarchie constitutionnelle.
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