Juger cette exposition, ouverte lundi soir en grande pompe dans le nouvel espace de la Galerie Perrotin, m'a confrontée à la même difficulté d'appréciation que le supermarché Chanel de Karl Lagerfeld. On emploie les grands moyens, ça amuse la galerie, les peoples sont au rendez-vous et surtout les médias en parlent. Faire preuve de discernement face à tout cela devient souvent un exercice périlleux.
Pharrell Williams s'improvise commissaire d'exposition. Je serais presque tentée de dire un brin ironique: "[Ça] me plait. Quel événement!" pour plagier les mots de Duras, dans Hiroshima, mon amour. En effet, devant la nouvelle, je n'ai pu m'empêcher de m'interroger sur la starification grandissante des commissaires d'expositions dans l'art contemporain mais aussi sur leur légitimité. Moins formatés que les traditionnels conservateurs, les commissaires d'exposition -du latin curator, qui prend soin- ne se contentent pas d'être experts en histoire de l'art, critiques ou écrivains. Ils cherchent au contraire à sortir des sentiers battus en prenant de vrais partis-pris. Ils font bouger les lignes, provoquent de l'inattendu, apportent un vent frais à la manière des directeurs artistiques des grandes maisons de mode. Et étant donné qu'il n'y a pas de formation type pour atteindre ce Graal, s'autoproclamer commissaire d'exposition est devenu aujourd'hui pratique courante.
Face à sa nouvelle fonction, le chanteur touche-à-tout fait tout de même preuve d'humilité et se considère encore en apprentissage: "Avec les artistes visuels, je suis comme un étudiant, j'apprends tellement à leurs côtés." Pharrell, génie surdoué de l'industrie musicale mais pour l'heure, encore "baby curator".
Celui dont la ritournelle de Happy nous fait danser mécaniquement depuis plusieurs mois, souhaite rendre ici hommage aux femmes. Vaste programme, et des plus délicats...! Ceci dit, en s'inscrivant dans la lignée patronymique de son album baptisé "G I R L", Pharrell a déjà le mérite de faire preuve de cohérence. Mais bizarrement en découvrant l'exposition, je n'ai pas vraiment l'impression que les femmes soient au cœur du propos: elles m'apparaissent davantage en support qu'en véritable sujet. D'autant que Pharrell ne recule pas quand il s'agit de faire preuve de narcissisme voire de mégalomanie, à l'image de cette sculpture faite de résine et de verre brisé que Daniel Arsham a tout spécialement concocté pour l'occasion et qui semble nous murmurer "Pharrell, ce Dieu tout puissant".
En s'auto-adulant, l'apprenti-commissaire nous fait vite perdre le fil de l'exposition qui s'apparente davantage à une accumulation de grosses pointures de l'art qu'à un véritable dialogue créatif. Bien sûr, l'ensemble présenté reste très premier degré et n'entend pas révolutionner nos idées sur le féminisme. Si vous recherchez quelque chose de plus sensible et profond, filez voir Chen Zhen avant le 07 juin dans l'espace principal de la Galerie au 76 rue de Turenne. Ici, les œuvres doivent être prises sur le ton de l'humour, comme ce "savoureux" cliché de Terry Richardson qui, en phase avec sa réputation sulfureuse, dévoile un sexe féminin orné au trois quart d'une friandise portant la mention "eat me". Tout un poème...
Mais elles sont parfois aussi un peu plates comme ce nu sans intérêt de Alex Katz, artiste que j'admire pourtant profondément. Enfin, il semblerait que la déception fasse aussi partie des émotions artistiques.
Sur les 37 artistes représentés, 18 sont des femmes, de quoi presque contenter les inconditionnels de la parité. Les Guerillas Girls clin d'oeil à l'exposition "elles@centrepompidou" ouvrent le bal, s'en suit Cindy Sherman désarmante de simplicité ou encore Aya Takano, fidèle du crew Perrotin dont l'univers manga touche par sa charge érotique innocente. Les références sont là mais la magie ne s'opère pas instantanément. Heureusement, l'exposition se finit à mon sens en beauté. Car si elle fait la part belle dans sa majorité au clinquant et au bling-bling, la dernière salle qui réunit entre autres, Sophie Calle, Germaine Richier, Prune Nourry et Paola Pivi, rehausse enfin le ton et apporte de la substance à cette vaste machinerie commerciale.
Devant la frénésie aveuglante du marché de l'art et de façon plus générale de l'industrie du luxe, chacun est libre en effet de défendre sa propre esthétique et son sens critique... sans oublier de se laisser guider par l'essentiel: l'émotion.
G I R L currated by Pharrel Williams, Galerie Perrotin, Salle de Bal,jusqu'au 25 juin 2014