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Réduction sur le carbone

Réduction sur le carbone

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Par Paul Krugman

Certes, ce n’est pas le message que la Chambre de Commerce tentait de faire passer dans son rapport publié mercredi. Elle voulait surtout donner l’impression que les nouvelles règles de l’APE allaient créer le chaos. Mais si l’on se concentre sur le fond du rapport plutôt que sur la forme, l’on découvre qu’en dépit des plus gros efforts de la chambre pour présenter les choses sous un certain angle - ainsi que je l’expliquerai plus tard, le rapport en fait certainement trop quant au véritable coût de la protection climatique – les chiffres restent remarquablement faibles.

Et notamment le fait que le rapport envisage un programme de réduction de carbone qui est considérablement plus ambitieux que ce que nous allons réellement voir, et il conclut qu’entre aujourd’hui et 2030, le programme coûterait 50,2 milliards de dollars constants par an. C’est censé donner l’impression que c’est énorme. Pourtant, si l’on connaît un tant soit peu l’économie américaine, c’est comme si Dr Evil (ndlt : du film Austin Powers) répétait "Un million de dollars". Aujourd’hui, ce n’est pas tant d’argent que ça.

Souvenez-vous, nous avons une économie de 17 000 milliards de dollars à l’heure actuelle, et elle va augmenter avec le temps. Donc ce que dit la Chambre de Commerce, en fait, c’est que l’on peut prendre des décisions incroyables à propos du climat – des décisions que transformeraient nos négociations internationales, mettant tout en place pour une action globale – tout en réduisant nos revenus de seulement un cinquième de pourcent. Ce n’est pas grand chose !

D’un autre côté, si l’on considère les estimations de la Chambre par ménage, l’on arrive à 200 dollars par an. Puisque le ménage moyen américain a un revenu de plus de 70 000 dollars par an, et que cela va augmenter avec le temps, nous sommes à nouveau face à des coûts qui représentent simplement une petite fraction de 1 pourcent.
Une comparaison utile supplémentaire : le Pentagone nous a mis en garde contre le fait que le réchauffement climatique et ses conséquences posaient une menace significative à la sécurité nationale. (Les républicains de la Chambre ont répondu avec un amendement législatif qui interdirait à la défense de ne serait-ce que penser à ce problème). Actuellement, nous dépensons 600 milliards de dollars par an pour la défense. Est-ce si extravagant de dépenser 8 pourcent supplémentaires de ce budget pour réduire une menace sérieuse ?

Et tout ceci est basé sur les propres chiffres des opposants aux écologistes. Les coûts réels seraient certainement plus faibles, et ce pour trois raisons.

Tout d’abord, l’étude de la Chambre de Commerce part du principe que la croissance économique, et la croissance des émissions qui lui est associée, atteindront leur norme historique de 2,5 pourcent par an.

Mais l’on devrait s’attendre à une croissance plus faible lorsque la génération du baby-boom prendra sa retraite, rendant les objectifs en termes d’émissions plus facile à atteindre.

Deuxièmement, dans l’analyse de la chambre, le gros des réductions des émissions vient du fait de remplacer le charbon par du gaz naturel. Cela ne prend pas en compte les progrès technologiques incroyables qui sont à l’œuvre dans les énergies renouvelables, et notamment l’énergie solaire, ce qui devrait rendre le fait de se passer du carbone encore plus simple.

Troisièmement, l’économie américaine est toujours déprimée – et dans une économie déprimée beaucoup des soi-disant coûts de mise en conformité des réglementations de l’énergie ne coûtent rien du tout. Et notamment le fait de construire de nouvelles centrales à faibles émissions permettrait d’employer à la fois des personnes et des capitaux qui, sinon, resteraient inactifs et permettrait, en plus, de donner un coup de fouet à l’économie américaine.

L’on peut se demander pourquoi la Chambre de Commerce s’oppose si férocement à une action contre le réchauffement climatique, si les coûts sont si faibles. Bien entendu, la réponse c’est que la chambre sert des intérêts bien particuliers, et notamment ceux de l’industrie du charbon – ce qui est bon pour l’Amérique ne l’est pas pour les frères Koch, et vice-versa – et cela nourrit le ressentiment envers la science du parti républicain qui est de plus en plus important.

Enfin, permettez-moi d’évoquer la dernière ligne de défense des opposants aux écologistes – l’affirmation qui veut que quoi que nous fassions, cela ne comptera pas, parce que d’autres pays, la Chine en particulier, ne va cesser de faire brûler davantage de charbon.

C’est prendre les choses totalement à ‘envers. Oui, l’on a besoin d’un accord international pour réduire les émissions, ce qui inclut des sanctions contre les pays qui ne le signent pas. Mais la réticence américaine à faire quelque chose est l’obstacle le plus important à la signature d’un tel accord. Si l’on commence à aller sérieusement vers une politique contre le réchauffement climatique, le champ sera libre pour que l’Europe et le Japon suivent, et pour faire pression de manière concertée sur le reste du monde également.

Ceci dit, nous n’avons pas encore vu les détails de la nouvelle proposition concernant le plan d’action climatique, et une analyse complète – à la fois économique et environnementale – devra attendre. Par contre, l’on peut être à peu près sûr que les coûts économiques de cette proposition seront faibles, parce que c’est ce que les recherches nous disent – et même les recherches payées par des opposants aux écologistes qui souhaitent clairement trouver le contraire. Sauver la planète serait remarquablement bon marché.

Paul Krugman

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