Une expérience « folle », « dangereuse », effectuée par des « gens grossièrement ambitieux ». Dans la presse anglosaxonne, certains scientifiques n’ont pas eu de mots assez durs pour condamner des travaux conduits par Yoshihiro Kawaoka (université du Wisconsin-Madison) et ses collègues. Cette équipe est parvenue à reconstituer un virus similaire à 97 % à celui de la grippe espagnole, à partir de fragments viraux aviaires circulant actuellement chez des canards. Et elle est parvenue à le rendre transmissible par voie aérienne entre des mammifères (des furets). La grippe espagnole avait fait, selon les différentes estimations, entre 40 et 100 millions de morts entre 1918 et 1919.
Publiées le 11 juin dans la revue Cell Host & Microbe, ces expériences ont aussitôt suscité l’ire de spécialistes de virus qui avaient déjà critiqué la démarche de Yoshihiro Kawaoka : celui-ci a aussi par le passé rendus plus transmissibles chez les mammifères les virus aviaires H5N1 et H7N9, qui circulent actuellement en Asie.
« Je ne vois pas l’utilité de ces travaux, commente Simon Wain-Hobson, virologue à l’Institut Pasteur, à Paris. Or, ils rendent le monde plus dangereux. » La crainte principale concerne une fuite hors du laboratoire de ce virus reconstitué.
Entre 40 et 100 millions de morts
La séquence génétique de la grippe espagnole, de type H1N1, est connue depuis 1997, grâce aux travaux de Jeffery Taubenberger (National Institutes of Health, Bethesda, Maryland) sur des tissus de victimes de 1918. En 2005, le même chercheur avait annoncé avoir reconstitué le virus à partir de cette information génétique, et avait montré sur des rongeurs qu’il gardait sa virulence. La recréation du virus de 1918 n’est donc pas une première.
Ce à quoi Yoshihiro Kawaoka et ses collègues se sont attachés, c’est à démontrer que dans les souches de virus aviaires présents aujourd’hui dans les populations de canards, il y avait tous les ingrédients génétiques pour reconstituer le fameux H1N1 de 1918. Connaissant sa séquence, il s’agissait de chercher des correspondances dans les bases de données de virus aviaires actuels. Il se trouve que huit séquences tirées d’autant de virus circulants ont suffi.
L’équipe a ensuite testé la virulence du virus reconstitué et sa capacité de transmission chez des mammifères. Il s’est révélé mille fois moins infectant que celui de la grippe de 1918, mais beaucoup plus qu’un virus aviaire classique. « Dans leurs expériences, il a fallu environ 100 000 virus reconstitués pour tuer seulement la moitié des souris. Pour mémoire, avec un virus pandémique, 1 000 à 10 000 particules virales suffisent pour infecter un individu, et un postillon en contient un à dix millions », précise le professeur Patrick Berche, chef du service de microbiologiste de l'hôpital Necker (Paris), auteur de Faut-il encore avoir peur de la grippe ? (Odile Jacob, 2012).
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