INTERVIEWRaymond Depardon: «En couleur, je suis un petit garçon rêveur»

Raymond Depardon: «En couleur, je suis un petit garçon rêveur»

INTERVIEWDu 14 novembre au 10 février, le Grand Palais consacre une exposition à la couleur dans l’œuvre de Raymond Depardon, depuis ses débuts jusqu’à aujourd’hui. Le plus célèbre des photographes français s’est confié à «20 Minutes»...
Raymond Depardon au Grand Palais, mardi 12 novembre 2013, et l'affiche de l'exposition. 
Raymond Depardon au Grand Palais, mardi 12 novembre 2013, et l'affiche de l'exposition.  - GINIES/SIPA
Annabelle Laurent

Annabelle Laurent

Sur l’affiche, Raymond Depardon est sur son premier scooter. Il a 17 ans et vient de quitter la ferme familiale du Garet pour s’installer à Paris avec, dans son Rolleiflex, une pellicule couleur. Il devient reporter et privilégie le noir et blanc, mais la couleur est toujours là. Elle l’accompagne pour saisir les marges, les à-côtés. Au Chili en 1971, à Beyrouth en 1978, à Glasgow en 1980, avant de prendre toute sa place dans les années 2000, sa photographie désormais libérée de toute contrainte de reportage, et en quête de «ces moments si doux». Un café traversé par les rayons du soleil à La Paz, un chien perdu en travers de la route au Chili, des scènes de rue ou d’intérieur… Sous forme de récit autobiographique, Depardon dévoile près de 160 photos presque toutes inédites. Entretien.

Pourquoi connaît-on si mal votre travail en couleur?

J’avais fait de la couleur au tout début, dans les années 1960, à l’époque où on était très avides d’en montrer. Mais en France, la grande photo, c’est en noir et blanc. La couleur, c’était pour les magazines, elle était méprisée, secondaire. En reportage, quand je travaillais en parallèle sur des pellicules couleur, j’en arrivais même à penser: «Pourvu que je ne fasse pas une bonne photo en couleur!».

Pourquoi avoir voulu les montrer aujourd’hui?

Je me suis dit que je n’allais quand même pas faire une rétrospective de mon travail, je ne suis pas encore mort, je ne vais pas m’enterrer! Le Grand Palais, c’est très impressionnant… J’ai tout de suite pensé à la couleur, mais surtout, je voulais vite aller faire des photos. Présenter les photos de mon enfance et de mes anciens reportages, d’accord, mais si j’en faisais des nouvelles. Je suis retourné en Ethiopie, au Tchad, aux Etats-Unis, à Hawaï et en Bolivie. J’ai pris mon vieux Rolleiflex, celui avec lequel j’ai photographié François Hollande. Il me porte chance. Quand je l’avais sur Hollywood Boulevard, des jeunes blacks sont venus me voir et m’ont dit: «So vintage!». Avant, pour les Américains, j’étais «so french», maintenant je suis «so vintage».

En couleur, votre travail est plus contemplatif…

Mes proches me disent qu’ils me retrouvent davantage. En noir et blanc, je suis plus en colère, je suis le reporter scandalisé. En couleur, je suis un petit garçon, quelqu’un d’un peu plus rêveur, la tête dans les nuages. Je suis plus timide, comme j’étais au début. Plus poète, si j’ose dire!

Vous dites: «Le reporter est en colère, le photographe est amoureux»…

J’ai 71 ans, je laisse aux jeunes photographes les lieux de conflit… Je pars de choses un peu simples, accessibles, comme les espaces publics. Quand je reviens sur mes anciennes planches contact, je me demande pourquoi je ne les ai pas plus photographiés. En 1965, j’ai photographié la reine Elizabeth en Ethiopie. La photo d’un Ethiopien aurait eu plus de valeur.

Le photojournalisme vous limitait?

Le photojournalisme, c’est ma famille, j’y ai appris le placement, la rapidité du regard, l’humilité. C’est une très bonne école que je ne regrette pas. Mais au fond, je crois que le photographe est surtout un artiste. Qu’il ne faut pas qu’il soit chargé d’informer, mais chargé de regarder. Il peut être au service de l’information, mais sans y être trop inféodé.

Pourquoi avoir à tout prix voulu faire de nouvelles photos?

Peut-être pour voir si j’ai beaucoup changé. Au début, j’étais bon. On me dit «Raymond, t’es nostalgique». Mais il ne faut pas avoir peur de la nostalgie, c’est une force. D’ailleurs, dès qu’on fait une photo, tac, c’est le deuil, c’est fini, on est tout le temps dans cet aller et retour. Le présent est sans doute pour moi -et c’est très paradoxal parce que je suis photographe- un des temps les plus difficiles. Je suis très souvent soit dans le passé, avec des regrets, soit dans l’enthousiasme de mes futurs projets.

L’exposition au Grand Palais se double d’une rétrospective à la Cinémathèque française du 14 novembre au 1erdécembre, en la présence du photographe les samedi 16 et 23 novembre. Arte a réuni de son côté dans un coffret spécial de 18 DVD la plupart de ses courts-métrages et l’ensemble de ses longs métrages, de «1974, une partie de campagne» à «Journal de France» (2012). Disponible depuis le 6 novembre.