Les équipes de la plateforme Pharos traitent plus de 3000 signalements par semaine.

Les équipes de la plateforme Pharos traitent environ 3000 signalements par semaine.

Adrien Sénécat

"Bonjour, je tenais à vous signaler cette vidéo, même si ce n'est probablement pas en France. Voilà." A l'écran, des dizaines de messages défilent. Un policier sélectionne l'un d'entre eux. Quelques clics plus tard, cet officier de la PJ tombe une violente scène de maltraitance animale partagée sur Facebook. "Là, on ne peut pas faire grand chose", souffle-t-il. Et pour cause: la langue comme le profil de l'internaute indiquent qu'elle a été tournée et diffusée à l'étranger.

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Chaque semaine, la police épluche environ 3000 signalements de ce type. Tous transitent par la Plateforme d'harmonisation, d'analyse, de recoupement et d'orientation des signalements (Pharos), créée en 2009. Une douzaine de cyberflics y travaille à plein temps pour éplucher tous les messages envoyés par des citoyens sur le site dédié, internet-signalement.gouv.fr. Zoom sur l'une des chevilles ouvrières de la lutte contre la cybercriminalité en France.

"Notre mission est de centraliser les signalements pour les orienter vers les bons services ou démarrer une enquête. Mais nous ne sommes pas des modérateurs, nous ne nous intéressons qu'à ce qui est illicite", résume le commandant Pierre-Yves Lebeau, en charge de la plateforme à la direction centrale de la PJ.

Aux horaires de bureau, son équipe lit une première fois chaque alerte en quelques minutes après qu'elle a été lancée. Objectif: prioriser les cas les plus graves et ceux qui demandent une intervention urgente. Démarre alors un travail de fourmi. Qui est l'auteur de l'infraction signalée? Où les faits se sont-ils produits et quand? Autant de questions auxquelles les internautes auteurs d'un signalement oublient fréquemment de répondre. Charge à Pharos de les contacter et d'enquêter en ligne.

"On peut créer des faux profils"

Le devenir des messages est ensuite extrêmement variable. Certains peuvent être classés en quelques minutes, d'autres nécessitent plusieurs jours de recoupements. Si les faits le méritent, Pharos peut alors transmettre l'enquête à un service de police spécialisé, ou à un service territorial quand il n'y en a pas.

L'équipe fait donc un vrai travail d'enquête en ligne, comparable aux méthodes classiques de la police. "Il n'y a pas de différence fondamentale: on constate des infractions, on rédige des procès-verbaux, on cherche et on réfléchit, énumère Pierre-Yves Lebeau. C'est du travail de police judiciaire, nous ne sommes pas des ex-hackers reconvertis!" Reste que le commandant demande à ses recrues "d'être à l'aise avec le monde de l'Internet, les réseaux sociaux et les forums." Pas étonnant, donc, qu'elles aient environ 30 ans en moyenne.

Parfois, ces agents sont amenés enquêter en ligne sous pseudonyme. "On peut créer des faux profils, il y a une habilitation sur formation pour cela, avec bien sûr un cadre légal et une méthodologie très stricts", précise-t-il.

Dans les cas où elle ne peut elle-même se saisir d'un dossier, la police française peut abattre sa dernière carte: signaler le contenu abusif à l'hébergeur. Avec Facebook, Youtube, ou les français OVH et Skyrock, par exemple, le courant passe bien, explique-t-on du côté de la police.

La criminalité en ligne toujours plus sophistiquée

En cinq ans d'existence, Pharos a pris de plus en plus de poids. D'environ 52000 en 2009, le nombre de signalements a plus que doublé pour atteindre les 124 000 en 2013. L'année en cours devrait une nouvelle fois crever le plafond -"on ne sait pas où ça va s'arrêter, reconnaît Pierre-Yves Lebeau". La proportion des différents types d'infractions, elle, est restée stable:

  • Environ 60% des messages concernent des escroqueries: spams, fausses annonces...
  • 20% touchent aux atteintes sur les mineurs: pédopornographie et atteintes sexuelles
  • 10% concernent des cas de xénophobie et d'incitation à la haine raciale
  • les 10% "autres" restants concernent notamment des signalements liés au terrorisme ou des cas de contrefaçons

Les méthodes, elles, évoluent. "Cela s'est perfectionné depuis cinq ans, notamment pour les escroqueries qui sont toujours fines et violentes. Les gens se lâchent de plus en plus, mais ils ont une meilleure connaissance des outils. Le Net parallèle, avec des réseaux comme Tor, se développe", analyse Pierre-Yves Lebeau.

"La grande masse des infractions reste commise par Monsieur et Madame Tout-le-monde, nuance-t-il. Les gens ne sont pas forcément conscients de ce qu'ils font et se croient intouchables, alors qu'on les retrouve très facilement, même ceux qui croient être intraçables."

L'indignation des internautes, carburant de Pharos, est parfois sélective. La vidéo du lanceur de chats à Marseille, diffusée en début d'année, détient ainsi la palme du contenu le plus signalé, loin devant des milliers de pages Web autrement plus violentes ou choquantes.

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