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Le grand test vert

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Par Paul Krugman

Mais pas suffisamment courageuse. Les taxes sur les émissions de CO2 sont la solution économique de base aux problèmes de pollution ; tous les économistes que je connais seraient emplis de joie si le Congrès votait une taxe carbone claire et généralisée. Mais cela ne va pas se produire dans un avenir proche. Une taxe carbone pourrait bien être la meilleure des choses que nous puissions faire, mais nous ne le ferons pas réellement.

Pourtant il y a un certain nombre de choses presque aussi bien (au sens technique, ainsi que je l’expliquerai bientôt) que nous faisons ou que nous sommes prêts à faire. Et la question pour Paulson et les autres conservateurs qui se considèrent comme des environnementalistes, c’est de savoir s’ils sont prêts à accepter des réponses presque aussi bien et notamment s’ils sont prêts à accepter des réponses presque aussi bien mises en place par l’autre parti. S’ils ne le sont pas, leur inquiétude verte supposée n’est qu’un coup d’épée dans l’eau.

Laissez-moi vous donner quelques exemples de ce que j’avance.

Tout d’abord, voyons les règles telles que les standards de consommation de carburants, ou les mandats de "facturation nette" qui imposent que les services publics rachètent l’électricité générée par les panneaux solaires des propriétaires. N’importe quel étudiant en économie peut vous dire que de telles règles sont inefficaces en comparaison des stimuli propres fournis par une taxe sur les émissions de CO2. Mais nous n’avons pas de taxe sur les émissions, et les règles de consommation de carburants et de facturation nette réduisent les émissions de gaz à effet de serre. Ma question pour les environnementalistes conservateurs : êtes-vous pour le fait de continuer de tels mandats, ou êtes-vous du côté des entreprises (menées par les frères Koch) qui font campagne pour les éliminer et imposer des commissions sur les panneaux solaires des particuliers ?

Deuxièmement, examinons le soutien du gouvernement pour une énergie propre via des subventions et des garanties de prêt. A nouveau, si nous avions une taxe digne de ce nom sur les hautes émissions de CO2, un tel soutien ne serait peut-être pas nécessaire (même là, cela appuierait l’idée d’une promotion d’investissement mais peu importe). Mais nous n’avons pas de taxe de ce genre. La question est donc : êtes-vous d’accord avec des choses telles que des garanties de prêt pour les centrales solaires, même si nous savons que certains de ces prêts vont mal tourner, à la façon de Solyndra ?

Finalement, qu’en est-il de la proposition de l’Agence de Protection de l’Environnement d’utiliser son autorité de régulation afin d’imposer aux centrales de fortes réductions des émissions de CO2 ?

L’agence semble désireuse de poursuivre des solutions bienveillantes envers les marchés dans la limite de ce qui est faisable– en fait, en imposant des limites sur les émissions aux états, tout en encourageant les états ou les groups d’états à créer des systèmes de quotas qui seraient en mesure de mettre un prix sur le carbone. Mais cela sera néanmoins une approche partielle qui ne traite qu’une source d’émissions de gaz à effet de serre. Etes-vous prêt à soutenir cette approche partielle ?

Au fait, les lecteurs qui s’y connaissent en économie savent que ce que j’évoque est connu sur un plan théorique comme "la théorie du presque aussi bien". Selon cette théorie, les distorsions dans un marché – dans notre cas, le fait qu’il y ait de forts coûts sociaux aux émissions de CO2, mais les individus et les entreprises ne paient rien pour leurs émissions de carbone – peuvent justifier d’une intervention du gouvernement dans d’autres marchés liés. Les arguments du presque aussi bien ont une réputation douteuse en économie, parce que la politique correcte est toujours pour éliminer la distorsion de départ si c’est possible. Mais parfois c’est impossible et nous y sommes. Ce qui me ramène à Paulson. Dans sa chronique, il compare la crise du climat à la crise financière qui a pu être affrontée en 2008 grâce à lui. Malheureusement, ce n’est pas une très bonne analogie : dans la crise financière il a pu, de manière crédible, argumenter que l’on n’était qu’à quelques jours du désastre alors que la catastrophe du climat ne se produira que dans plusieurs décennies.

Laissez-moi suggérer une analogie différente, une qu’il n’appréciera probablement pas. En termes politiques, les actions sur le climat – si jamais cela se produit – ressembleront probablement à la réforme de santé. C’est-à-dire que ce sera un compromis délicat dicté en partie par le besoin d’apaiser les intérêts particuliers, pas la solution propre et simple que l’on aurait mise en place si l’on avait pu démarrer de zéro. Cela prêtera à un esprit de parti intense, qui repose surtout sur le soutien d’un seul parti, et qui sera le sujet d’attaques constantes hystériques. Et si l’on a de la chance, ça fera néanmoins le job.

Est-ce que j’ai mentionné que la réforme de santé fonctionne clairement, en dépit de ses défauts ?

La question pour Paulson et ceux qui ont des vues similaires, c’est de savoir s’ils sont prêts à suivre ce genre d’imperfection. Et si c’est le cas, bienvenue à bord.

Paul Krugman

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