« Le temps, c'est l'autre nom de dieu », aime à répéter Laurent Gbagbo, professeur et passionné d'histoire. Maître du calendrier de son pays pendant sa décennie au pouvoir (2000-2011), l'ancien président ivoirien n'a cependant plus toutes les cartes de son destin en main depuis son arrestation, le 11 avril 2011. Ce temps de réclusion lui offre cependant la possibilité de régler ses comptes avec les artisans de sa chute.
Dans le livre qu'il vient de publier, Pour la vérité et la justice (Editions du Moment, 320 p. 19,95 euros), écrit avec le journaliste François Mattei, M. Gbagbo épingle sans retenue les acteurs politiques français et ivoiriens qui l'ont réduit au statut d'accusé de crimes contre l'humanité. Nicolas Sarkozy ? « Chez lui, à la place des idées, il y a l'arrogance. » Alassane Ouattara ? « Il est encensé par la communauté internationale sous prétexte qu'il a mis fin à la crise. Mais c'est lui qui l'a provoquée. » Guillaume Soro ? « C'est aux armes qu'il doit sa place. Il devra s'inquiéter si un jour il ne les a plus avec lui. »
Il confirme également ce que devrait être sa ligne de défense devant la Cour pénale internationale (CPI) : celle du chantre de l'émancipation africaine victime d'un complot français. A l'en croire, l'opposant historique à Félix Houphouët-Boigny, le meilleur agent de la « Françafrique », avait pourtant accepté après sa prise du pouvoir, en octobre 2000, de se prêter au jeu trouble des relations entre Paris et ses anciennes colonies. « C'était en 2001, je pense. Villepin et Robert Bourgi m'ont demandé de cracher au bassinet pour l'élection de 2002. (…) C'était le prix pour avoir la paix en Françafrique. J'ai eu une entrevue avec Chirac. (…) Il m'a dit en me tapant sur l'épaule, sur le perron : “Je ne suis pas un ingrat.” (…) Plus tard, Chirac a dit que je l'avais “manqué”, je n'ai pas compris pourquoi. Il a prétendu que j'avais laissé filtrer l'information. »
Suivront la tentative de coup d'Etat du 19 septembre 2002 qui se muera en rébellion divisant la Côte d'Ivoire en deux pendant près de dix ans, les accords de Marcoussis en janvier 2003 dont l'ordonnateur, Dominique de Villepin, espérait transformer Laurent Gbagbo en « reine d'Angleterre ». Un échec.
« UN COUP DE BILLARD À TROIS BANDES »
Autre épisode des exécrables relations franco-ivoiriennes : le bombardement de Bouaké, le 6 novembre 2004, qui coûta la vie à neuf soldats français et un civil américain. L'affaire est encore loin d'avoir révélé tous ses secrets, mais, pour Laurent Gbagbo, il s'agit d'une « bavure française », d'« un coup de billard à trois bandes qui a mal tourné ». Ambassadeur de France à l'époque des faits, Gildas Le Lidec ne croit pas à la culpabilité de Laurent Gbagbo. « Aussitôt après les faits, il était hébété. A chaque fois que je l'ai interrogé sur le sujet, il me répondait : “Quel intérêt j'avais à bombarder les Français ?” », raconte le diplomate qui vient de publier ses Mémoires, De Phnom Penh à Abidjan (L'Harmattan, 266 p., 26 euros).
Ce dernier considère plus vraisemblable que les soldats ivoiriens aient tenté une manoeuvre de diversion après avoir été repoussés par les rebelles. L'armée française a-t-elle essayé le lendemain de renverser le pouvoir en place en se positionnant autour de la résidence présidentielle ? M. Le Lidec n'est pas loin de le penser. « Quelques jours après, le général Poncet (le commandant de l'opération « Licorne » à l'époque) m'a dit : “J'étais en position de tirer mais Paris n'a pas voulu.” »
Ces tirs des blindés français sur le portail de cette résidence interviendront sept ans plus tard permettant aux ex-rebelles ralliés à M. Ouattara de s'emparer de M. Gbagbo, après plus de quatre mois de crise post-électorale. De cette élection dont il se dit le vainqueur, Laurent Gbagbo la considère comme « un traquenard préparé de longue date. (…) A la fin, Sarkozy a pris un gourdin. » « La Côte d'Ivoire est la pierre d'achoppement indispensable de la zone franc en Afrique de l'Ouest (…) Elle avait les moyens de quitter cette dépendance (…) et je m'apprêtais à le faire, c'est pourquoi on a voulu m'empêcher de poursuivre ma route », écrit-il.
Dans son exposé à sens unique de la crise, M. Gbagbo oublie de rappeler que les dirigeants français se seraient pendant des années accommodés de sa réélection. Le héros foudroyé de l'indépendance africaine qu'il prétend être n'a jamais menacé les intérêts de l'ancien colon. Il occulte aussi les crimes commis sous sa présidence, la xénophobie affirmée de ses partisans. Quand à l'élection d'Alassane Ouattara, elle a été validée par les Nations unies mais aussi par les instances africaines.
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