JUSTICE - Peut-on interdire le port du voile intégral sans bafouer les droits des individus? Après la reconnaissance des enfants nés de GPA la semaine dernière,, la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) a tranché ce mardi 1er juillet un autre dossier hautement sensible en France.
Saisie par une jeune Française adepte de la burqa et du niqab, la CEDH a finalement validé l'interdiction du voile islamique intégral votée en France comme en Belgique. Dans un arrêté très attendu, la Cour a souligné que "la préservation des conditions du 'vivre ensemble' était un objectif légitime" des autorités françaises. Celles-ci disposent à cet égard d'une "ample marge d'appréciation". Par conséquent la loi votée fin 2010 en France n'était pas contraire à la convention européenne des droits de l'Homme.
La CEDH a également estimé que "les sanctions en jeu (...) sont parmi les plus légères que le législateur pouvait envisager" et "l'interdiction contestée peut par conséquent passer pour proportionnée au but poursuivi".
Une "parfaite citoyenne" adepte du niqab
La plaignante, qui n'a accepté de dévoiler que ses initiales S.A.S., avait saisi la Cour pour contester la loi votée fin 2010 qui stipule que "nul ne peut, dans l'espace public, porter une tenue destinée à dissimuler son visage", sous peine de 150 euros d'amende et/ou d'un stage de citoyenneté.
"Parfaite citoyenne française d'un niveau d'éducation universitaire", la jeune femme "parle de sa République avec passion. C'est une patriote", a assuré un de ses défenseurs, Me Tony Muman, à l'audience où elle était elle-même absente, fin novembre dernier. Dans sa requête elle affirme ne subir "aucune pression" familiale, accepter les contrôles d'identité, tout en voulant rester libre de porter le voile à sa guise.
Le cabinet d'avocats de Birmingham (Royaume-Uni) qui défend ses intérêts avait invoqué pas moins de six articles de la Convention européenne des droits de l'homme dans cette affaire (interdiction de traitements inhumains ou dégradants, droit au respect de la vie privée et familiale, à la liberté de pensée, de conscience et de religion, liberté d'expression, et interdiction de la discrimination).
Le gouvernement français demandait de son côté le rejet pur et simple de sa requête. Ses représentants avait souligné que la loi française ne visait pas spécifiquement le port du voile intégral, mais la dissimulation du visage par quelque moyen que ce soit dans l'espace public, et donc aussi à l'aide d'une cagoule ou d'un casque de moto.
Dans le même temps, ils ont relevé le caractère extrêmement minoritaire de la pratique du voile intégral en France. Alors que le nombre de musulmans vivant dans le pays est estimé à plus de 5 millions, seulement "1.900 femmes environ étaient concernées fin 2009", selon une mission d'information de l'Assemblée nationale.
Et dans ses observations présentées à la Cour de Strasbourg, le gouvernement français s'est félicité que ce chiffre ait chuté de pratiquement 50% depuis 2010, "grâce à un important travail d'information du public mené à l'époque".
La CEDH avait validé l'interdiction du voile à l'école
La Belgique, qui a voté en 2011 une loi similaire au texte français, s'est associée à la procédure. Dans sa jurisprudence passée, la Cour a déjà accordé à la France une marge d'appréciation pour interdire au nom de la laïcité le foulard dans les établissements scolaires. Elle a aussi validé l'obligation de retirer foulards et turbans aux contrôles de sécurité. Mais en 2010, elle a condamné la Turquie en disant qu'arborer un vêtement religieux ne constituait pas en soi une menace à l'ordre public ou du prosélytisme.
L'arrêt de la CEDH intervient quelques jours après la confirmation par la Cour de cassation française du licenciement pour faute grave d'une salariée voilée de la crèche Baby-Loup, qui envisage elle aussi de se pourvoir à Strasbourg.
La décision des juges de Strasbourg coïncide aussi avec celle de la cour d'appel de Versailles. Celle-ci a confirmé ce mardi la condamnation à trois mois de prison avec sursis d'un jeune homme qui s'était violemment interposé lors du contrôle d'identité de sa femme portant le niqab, en juillet 2013 à Trappes, en banlieue parisienne.
L'affaire avait provoqué une flambée de violences urbaines. Son épouse, condamnée à un mois de prison avec sursis pour outrage et rébellion, et à 150 euros d'amende pour le port d'un niqab, doit être rejugée en appel en octobre.