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interview

«La souffrance sur un vélo, c'est une drogue douce»

Tour de France 2014dossier
Kévin Réza, équipier d'Europcar, vit son deuxième Tour de France. Le cyclisme au pied des tours de la Défense, la souffrance, il raconte.
par Sylvain Mouillard, Envoyé spécial à Pau
publié le 24 juillet 2014 à 11h08

Sur le sujet, il est tout en mesure et discrétion. Kévin Réza n'aime pas parler du racisme dans le cyclisme. Alors, quand la question a surgi mardi, le coureur de 26 ans n'a pas réagi. Le Suisse Michael Albasini l'a-t-il traité de «sale nègre», comme Jean-René Bernaudeau, le manageur de l'équipe Europcar, l'en a accusé ? Ou n'était-ce qu'un «malentendu» ? On ne saura pas. Quelques jours plus tôt, Libération avait rencontré Réza dans un hôtel de la banlieue stéphanoise. L'occasion d'évoquer son métier, le collectif et le masochisme du cycliste.

Vous vivez votre deuxième Tour, après une première expérience en 2013. Qu’avez-vous changé dans votre manière de le vivre ?

J’essaie de récupérer davantage le soir et de gérer différemment les périodes de récupération. On me recommandait de faire des petites siestes, de ne pas rester sur mes jambes si je le pouvais, mais je ne faisais pas trop attention. Ce sont vraiment les choses que j’ai appliquées cette année.

Vous êtes né à Versailles, avez grandi à Puteaux, dans l’ouest parisien. Comment êtes-vous venu au vélo ?

J’ai commencé à l’âge de quatre ans. Mon frère, mon aîné de quatre ans, avait une licence. J’étais le petit, je voulais faire pareil que lui. Mes parents m’ont pris ma première licence au CSM Puteaux, un très bon club formateur.

C’est comment, le cyclisme au pied des tours de la Défense ?

On faisait des jeux d’adresse : passer entre des quilles, faire des 60 mètres avec démarrage arrêté. Pour la partie route, on faisait des 300 mètres ou 500 mètres à fond. Et puis, on se déplaçait tous les week-ends avec mes parents pour aller sur les différentes courses en Ile-de-France.

Ils avaient fait du vélo eux-mêmes ?

Mon père en a fait pour son plaisir en Guadeloupe, puis il a continué en métropole. Le cyclisme là-bas, c’est le sport numéro 1. Je n’ai pas eu l’occasion de faire le Tour de Guadeloupe, mais il paraît que c’est un mini-Tour de France.

Comment réagit-on à l’école ou au collège quand on apprend que vous faites du vélo ?

Je suis un garçon assez discret sur ce que je fais. J’évitais d’en parler et j’écoutais mes copains raconter leur week-end dans leur club de foot.

Ado, vous imaginiez devenir cycliste professionnel ?

Non, c’était très compliqué. Ado, je n’étais pas un grand passionné de cyclisme. Je suis vraiment zéro au niveau de la culture générale de mon sport. Je ne regardais pas les courses. J’avais autre chose à faire l’été, je partais en vacances avec mes parents !

Et pourtant, vous rejoignez la Vendée à l’âge de 16 ans pour intégrer un sport études, avant de rejoindre le centre de formation de Jean-René Bernaudeau, le club Vendée-U…

Je n’ai jamais été un champion dans les jeunes catégories. Ce qui leur a plu dans mon profil, c’est ma capacité d’adaptation dans un groupe et mon esprit de sacrifice vis-à-vis des copains. J’ai toujours eu cet état d’esprit là.

Depuis que vous êtes passé pro, en 2011, vous n’avez pas gagné de course. Comment se fait-on à l’idée de pratiquer un sport où la victoire individuelle est très rare ?

On est obligé de bien le vivre sinon on n’avance pas et on est vite en dépression. Mon tour viendra. Je ne dors pas moins bien le soir en tout cas.

Si ce n’est dans la victoire, où prenez-vous du plaisir alors ?

Le cycliste est une personne assez maso, qui aime souffrir. Sans cette douleur, on n’est pas bien. Sur le moment, ce n’est pas très marrant. Mais le plaisir, c’est de pouvoir se dire le soir dans la chambre : «Putain c’est bon, j’ai fait une grosse étape, demain on remet ça !» Quand on n’a pas ce plaisir de souffrance, on ressent un certain manque. C’est comme la coupure hivernale. Quand on arrête pendant un mois, à la fin on n’en peut plus, on ne pense qu’à se refaire mal physiquement, dans les jambes ou le haut du corps. C’est une certaine drogue. Une drogue douce.

Et votre pire moment de souffrance ?

Sur le Ventoux, l’an dernier. J’ai puisé au plus profond de moi. Quand j’ai un moment de moins bien, je me dis qu’il y a eu pire. J’ai fini dans le gruppetto mais j’ai pensé arrêter l’étape et rentrer à la maison. Tout le corps brûlait et mentalement, je n’y étais plus. J’avais débranché le cerveau, je pensais à rentrer chez mes parents.

Vous avez fini troisième du dernier championnat de France, derrière Arnaud Démare et Nacer Bouhanni. Cela vous a inspiré quoi, ce podium «black-blanc-beur» ?

J’étais fier d’y être. Ce podium représente bien la France d’aujourd’hui. Mais je n’ai jamais eu aucun souci en raison de ma couleur de peau, que ce soit en amateur ou chez les pros. Ce sont plus les gens au bord des routes qui sont surpris. Les petites réflexions style «Y’a un noir», c’est pas méchant, sauf que je les entends. Mais je ne vais pas descendre du vélo pour m’expliquer avec tout le monde.

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