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La montée de la côte ouest

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Par Paul Krugman

Et il y a une expérience encore plus importante, même si moins drastique qui se prépare dans la direction opposée. La Californie a longtemps souffert de paralysie politique, avec des règles budgétaires qui permettaient à une minorité républicaine de plus en plus réduite de paralyser une majorité démocrate ; lorsque la bulle immobilière de l’état a éclaté, il a plongé dans une crise fiscale. En 2012, cependant, la domination démocrate est finalement devenue suffisamment forte pour surmonter la paralysie et le gouverneur Jerry Brown a pu faire passer un programme à tendance libérale fait d’augmentation d’impôts, d’augmentation des dépenses et d’une augmentation du salaire minimum. La Californie a également mis en place l’Obamacare avec enthousiasme.

Je crois que l’on n’est plus au Kansas. (Désolé, je n’ai pas pu m’en empêcher).

Il est bien évident que les conservateurs ont prédit l’apocalypse. Voici une réaction parlante : Daniel J. Mitchell du Cato Institute a déclaré qu’en votant pour la Proposition 30, qui autorisait les hausses d’impôts, "les pilleurs et les parasites du Golden State" (oui, oui, ils sont réellement persuadés de vivre dans un roman d’Ayn Rand) commettaient "un suicide économique". Pendant ce temps, Avik Roy du Manhattan Institut et Forbes ont affirmé que les habitants de Californie étaient sur le point de vivre un "choc des taux" qui allait multiplier par deux les premiums des assurances santé.

Qu’en est-il réellement ? Je suis au regret d’annoncer qu’il n’y a aucun signe de la catastrophe promise.

Si les hausses d’impôts provoquent une perte importante des emplois en Californie, on ne le voit nulle part dans les chiffres sur l’emploi. L’emploi a augmenté de 3,6 pourcent ces 18 derniers mois, alors qu’il n’a augmenté que de 2,8 pourcent sur le plan national ; aujourd’hui, la part de la Californie dans l’emploi national est revenu à son niveau d’avant récession, alors qu’il a été durement touché par l’éclatement de la gigantesque bulle immobilière de l’état.

Sur le plan de la couverture santé, certaines personnes – en gros, des jeunes hommes qui avaient une assurance vraiment peu chère sur le marché individuel mais qui étaient trop aisés pour avoir droit à des subventions – ont dû faire face à des augmentations de leurs premiums, et nous savions depuis le début que cela se produirait. Par contre, si l’on prend tout en compte, les coûts de la réforme de santé sont en-deçà de ce à quoi l’on s’attendait, alors que les inscriptions sont bien au-dessus – elles sont trois plus importantes que les prévisions initiales dans la région de San Francisco.

Une étude récente du Commonwealth Fund suggère que la Californie a déjà divisé par deux le pourcentage de ses habitants sans assurance santé. De plus, tous les indicateurs montrent que d’autres progrès sont dans les tuyaux, avec davantage de compagnies d’assurance qui vont intégrer le marché l’année prochaine.
Et oui, le budget est de nouveau excédentaire.

Est-ce que les prophètes de l’apocalypse ont fait un examen de conscience, se demandant pourquoi ils avaient eu tort à ce point ? Pas que je sache. Par contre, j’ai vu beaucoup de tentatives pour dévaluer ces bonnes nouvelles de Californie en insistant sur le fait que la croissance de l’emploi est à la traîne par rapport à celle du Texas, ce qui est vrai, et prétendant que la différence vient des niveaux d’imposition différents, ce qui est faux.

En effet, la grande différence entre ces deux états, si l’on met de côté la taille du secteur du pétrole et du gaz, n’est pas le taux d’imposition. Ce sont les prix de l’immobilier. En dépit de l’éclatement de la bulle, les prix de l’immobilier en Californie sont toujours deux fois plus importants que sur la moyenne nationale, alors qu’au Texas ils sont 30 pourcent en-deçà de la moyenne nationale. Ainsi, beaucoup de personnes s’installent au Texas même si les salaires et la productivité sont plus faibles que ce qu’ils sont en Californie.

Et bien qu’une partie de cette différence dans les prix de l’immobilier est le reflet de la géographie et de la densité de la population – Houston s’étend encore alors que Los Angeles, entouré par les montagnes, a atteint ses limites naturelles, elle reflète également le fait que la Californie a une politique très restrictive sur l’utilisation des sols, imposée surtout par le gouvernement local plus que par l’état.

Ainsi que l’a montré Edward Glaeser, d’Harvard, il y a une certaine vérité dans l’affirmation selon laquelle les états comme le Texas grandissent rapidement grâce à leur attitude anti-réglementation, "mais les arguments habituels se concentrent sur les mauvaises réglementations". Et les impôts, ce n’est pas si important que ça.

Que nous apprend le grand retour de la Californie ? En gros, qu’il nous faut prendre la propagande anti gouvernement avec beaucoup de précaution. Les augmentations d’impôts ne sont pas un suicide économique ; parfois, elles sont une manière utile de payer pour ce dont on a besoin. Les programmes gouvernementaux, comme l’Obamacare, peuvent fonctionner si les gens qui les dirigent veulent les faire fonctionner, et s’ils ne sont pas sabotés par la droite. En d’autres termes, le succès de la Californie est la démonstration qu’une idéologie extrémiste encore dominante dans la vie politique américaine est une hérésie.

Paul Krugman

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