La science-fiction n’a-t-elle plus d’avenir ?

Dragons, elfes, extraterrestres ne font plus vendre de livres. Simplement démodés ou trop anxiogènes pour l'époque ? Face au désamour de la SF, les éditeurs passionnés luttent et se réinventent.

Par Hubert Prolongeau

Publié le 28 juillet 2014 à 00h00

Mis à jour le 21 juin 2021 à 18h08

Ils sont généralement rebondis, plus colorés qu'un touriste américain à Paris, couverts d'êtres étranges, de cieux infinis et de jeunes femmes petitement vêtues… Sur les étals de librairies, les livres de science-fiction tranchent avec la modestie élégante de la littérature blanche. Ces beaux habits peinent pourtant à masquer la nudité du roi.

Si, de Hobbit en Hunger Games, l'imaginaire – un univers qui, outre la SF, comprend aussi la fantasy, le fantastique, le conte de fées et des subdivisions plus pointues comme le steampunk ou le space opera – triomphe au cinéma, le genre phare des années 1970 se porte mal en librairies. « Mes ventes s'effondrent ! » constate Gilles Dumay, éditeur, chez Denoël, de la remarquable collection « Lunes d'encre », dont certains titres ne dépassent pas les trois cents exemplaires vendus.

Un genre dissous dans la littérature générale

Antoine Caro, chez Robert Laffont, tourne et retourne dans ses mains la célèbre couverture argentée de la mythique « Ailleurs & demain », sous laquelle ont été découverts Dune et Tous à Zanzibar. « On essaie tout ce qu'on peut, mais ça ne prend plus », constate-t-il, désolé. Même les princesses, les elfes et les dragons ne trouvent plus leur public. Souvent jugée infantile et répétitive par les amateurs, la fantasy n'attire plus guère, exception faite du triomphal Trône de fer.

Signe des temps : les éditions Bragelonne, longtemps symbole de la petite maison indépendante, ont vu Hachette entrer de façon importante dans leur capital. « Aujourd'hui, dans les grands groupes, l'imaginaire se réduit à une politique de coups, raconte Sébastien Guillot, qui a lancé la collection “Folio SF” avant de partir vers d'autres horizons. C'est trois cent mille exemplaires de World war Z en Livre de poche à la sortie du film. Mais au-delà ? » Au-delà, on a presque honte de s'afficher. Les auteurs se dissolvent dans la littérature générale : Houellebecq ou ­Dantec, Le Complot contre l'Amérique, de Philip Roth, ou La Route, de Cormac McCarthy, jouent avec la science-fiction, mais sont publiés en littérature générale.

Traquer le chef-d'œuvre

La SF est partout, et du coup n'est plus nulle part. Actes Sud a certes surpris en créant récemment une nouvelle collection, « Exofictions ». Parfait ! Mais comme des jeunes filles timides dissimulant leurs charmes, les couvertures ont soigneusement gommé ce qui pouvait rappeler le genre… Même discrétion avec la collection « Super 8 » chez Sonatine, dirigée par le romancier Fabrice Colin.

« Sans doute le genre est-il moins adapté à l'époque, raconte Olivier Girard, directeur de Bélial'. Il est plus difficile de surprendre à l'heure d'Internet et des candidats à la colonisation de Mars que dans les années 1970 ! Notre société est anxieuse, et la science-fiction rassure peu. N'empêche qu'il reste quantité de grands livres à faire découvrir. »

Le salut viendra-t-il des petites maisons spécialisées ? Comme un certain village gaulois, elles résistent encore et toujours. Le Bélial', L'Atalante, Les Moutons électriques, Le Tripode, Mnémos sont tenus par un ou deux passionnés, qui vivent pour et par le genre. Depuis leurs (petits) bureaux envahis de manuscrits et de gros livres de poche américains, ils traquent le chef-d'œuvre comme Gollum son anneau. Familiers des festivals, ils font un vrai travail d'explorateurs, peuvent faire tourner leur fonds, et leurs frais de fonctionnement étant réduits, des ventes discrètes leur permettent de vivre. L'ère des ­­« ­nano-éditeurs » est-elle venue ?

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