EMPLOI - À 48 heures de la grande manifestation contre la loi El Khomri, Pierre Gattaz, le patron du Medef, sait comment mobiliser les troupes... du camp opposé. Face au tollé provoqué par la hausse spectaculaire du salaire du PDG de PSA en 2015 (5,24 millions d'euros, +90%), il ne s'est pas démonté.
"Quand il y a de la réussite, ça ne me choque pas qu'on récompense la réussite", a-t-il déclaré ce 29 mars sur France Info. Et peu importe que l'Etat soit actionnaire à 13,7% de PSA, que Carlos Tavares, aussi méritant soit-il, gagne 14.356 euros par jour, week-end et jours fériés compris, ou que la Dares (Direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques) ait annoncé la semaine dernière 38.000 chômeurs de plus pour février...
Face aux condamnations du gouvernement, de la CGT et de la CFDT, Pierre Gattaz s'est encore retrouvé seul à défendre un grand patron du CAC 40, y compris au sein des syndicats de dirigeants d'entreprise (CGPME, Meti, FNSEA...), récoltant au passage les moqueries habituelles.
Cela fait longtemps que le Medef ne s’embarrasse plus avec ce genre de subtilités. Depuis l'élection de Pierre Gattaz à sa présidence en juillet 2013, le syndicat est devenu coutumier de ces "provocations" à contre-temps, souvent caricaturales.
En clair, disons que le Medef a choisi son auditoire. Présenté à tort comme le "syndicat des patrons", le Medef est en réalité celui des "grands patrons", comme l'a démontré Etienne Penissat, du CNRS, co-auteur d'une étude sur le profil des présidents de fédérations du Medef.
"Que peu à voir avec les chefs d’entreprise qu’ils prétendent représenter"
Les membres du Medef sur lesquels l'étude se penche "ont en moyenne des caractéristiques sociales qui les positionnent parmi les classes supérieures, proches de l’élite patronale du CAC 40. A contrario, ils n’ont que peu à voir avec les chefs d’entreprise qu’ils prétendent représenter", sanctionne son enquête.
Que ce soit pour l'origine sociale, le niveau de diplôme, ou la taille des entreprises dirigées, les présidents des fédérations du Medef se démarquent du patronat au sens large.
Ils sont ainsi 68% à sortir d'une grande école, contre une moyenne de 13% parmi les patrons d'entreprises de plus de 10 employés. Ils sont aussi 63% à diriger une entreprise de plus de 500 salariés, alors qu'elles ne représentent que 3% du tissu économique. Le groupe Radiall, dont Pierre Gattaz assure la présidence du directoire, compte près de 3000 employés.
Cette différence se traduit régulièrement par des prises de positions en contradiction avec les revendications des petits patrons.
Sur la loi El Khomri, le Medef s'est contenté d'être "déçu" par les concessions sur les Prud'Hommes après les manifestations du 9 mars. La CGPME, elle, était furieuse de faire les frais de la plus grosse concession, après le retrait de l'autorisation des patrons de moins de 50 salariés de décider seuls pour le forfait-jour ou les astreintes.
Déjà en 1998, la naissance du Medef a été en bonne partie le fruit du désaccord entre grandes et petites entreprises sur les 35 heures. Quand le CNPF envisageait de faire avec, les PME ne voulaient pas en entendre parler. "Le changement de sigle a beaucoup été justifié par la volonté de représenter plus largement le tissu économique", explique au HuffPost Etienne Penissat, du CNRS.
De 2005 à 2013, la présidence de Laurence Parisot - une femme, patronne de l'institut de sondage Ifop - devait confirmer cette représentativité élargie. Mais Pierre Gattaz ne l'entend visiblement pas de cette oreille. Chassez le naturel...