Alain Cabras

Par Alain Cabras

Par Alain Cabras

La société multiculturelle est morte, vive la société interculturelle!

 

Par Alain Cabras, enseignant à Sciences Po Aix

 

Les attentats des 7 et 8 janvier obligent à tourner la page du débat sur le multiculturalisme et, avec elle, celle du relativisme culturel tant célébré.

Encenser ou dénoncer les vertus ou les vices du multiculturalisme comme l’ont fait les élus et les commentateurs dans les médias était déjà un débat d’arrière-garde. Des affaires des caricatures de Mahomet au massacre de Charlie Hebdo, la société française commence à payer son refus d’avoir voulu définir les modalités du « vivre-ensemble », notamment en 2005, en fuyant le débat sur les racines chrétiennes de l’Europe.

 

Avoir accepté de débattre de nos héritages eut permis de les redécouvrir tous et de les adopter à nouveau et de les adapter. Mais la peur de la quête identitaire l’a emporté au sein d’une certaine élite qui brandit l’étendard de la haine comme unique ingrédient contenu dans ce mot au détriment des bienfaits qu’il portait aussi en lui.

Dès lors, n’ayant plus d’identité au menu intellectuel et politique ce sont les débats sur le multiculturalisme qui ont comblé ce vide dans la France du début du XXIème.

 

Deux discours se sont affrontés dans un dialogue de sourds et nous ont empêché de regarder au-delà du « vivre ensemble » statique dans lequel nous nous sommes englués jusqu’au drame.

 

Le premier discours fut celui du refus de constater que les sociétés européennes étaient devenues plurielles. Nier que l’effondrement des empires coloniaux et la précarité absolue du continent africain avaient changé le visage de la France fut comme nier qu’Elle eut une rive en Méditerranée. Prétendre que les nouveaux entrants n’auraient pas eu droit à la reconnaissance de leurs différences c’était comme s’interdire de comprendre que la démocratie portait en elle des évolutions favorables aux droits des minorités. Ce refus a produit peurs, fantasmes et ressentiments durables devant l’idée de ce changement jusqu’à l’effroi du « grand remplacement » pour des millions de personnes.

 

Le second discours fut celui des vertus angéliques et illimitées de la Diversité au nom de l’égalité des cultures et de leurs modes d’expression et fustigeant les protestations de la culture majoritaire. Toute tentative d’expliquer qu’une culture nationale existe, qu’elle nécessite précaution et temps long pour évoluer et absorber des éléments extérieurs, fut considéré comme suspect, politiquement non correct et aussitôt dénoncé. Des piscines et des salles de danses interdites à la mixité à Maubeuge ou bien des prières dans les rues à Paris et Marseille furent systématiquement défendues, ou tues, au nom de ce relativisme culturel détourné de sa vocation première. Au fil du temps, toute volonté de débattre de l’islam fut même considérée comme islamophobe, y compris, envers les musulmans, Arabes ou non, qui réclamèrent un débat tels Meddeb ou Chebel.

 

Ces deux discours apparemment ennemis sont complices. Ils n’ont produit aucune politique publique qui renforçât l’idéal républicain. Ils ont permis l’ethnicisation des rapports sociaux en son sein. Ils l’ont affaibli en empêchant l’avènement d’une vision pour une société plurielle et apaisée préparant le passage de la société multiculturelle à la société interculturelle.

 

En effet, si une société multiculturelle nécessite que chaque groupe qui la compose soit reconnu, et respecté, une société interculturelle impose une exigence supplémentaire : qu’ils fassent « sens » ensemble. L’intelligence interculturelle s’appuie alors sur trois piliers. Elle prône de reconnaitre, avec bienveillance, les différences culturelles qui la composent et accepte de les nommer et de leurs accorder un statut. Elle préconise ensuite de les intégrer dans l’ensemble d’accueil, à savoir ici la nation française, en portant une attention très exigeante aux équilibres déjà présents. Cela impose qu’une culture majoritaire donc soit reconnue et préservée. Il n’y a pas de stimulation à l’intégration des cultures minoritaires sans préservation de la culture majoritaire. Sinon c’est la valeur d’exemplarité qui disparaît. Enfin, la société interculturelle combine ces différences culturelles dans un sens de la quête commun : nation, république, liberté, l’Homme ou une cause autre. Cela implique que la cause du groupe majoritaire soit devenue celles des groupes minoritaires. Dans une société interculturelle, il incombe donc au groupe majoritaire d’avoir tranché cette cause. Il semblerait que le 11 janvier dernier, une partie de la population française ait réclamé ce travail.

 

Les enjeux de l’Après 11 Janvier sont de rejeter le multiculturalisme qui fragmente, les formules d’assimilation qui effraient et trouver de nouveaux équilibres. C’est exactement la feuille de route proposée par le Conseil de l’Europe, en 2008, à l’unanimité de tous ses membres.

 

Elle est restée lettre morte.