Jean-Louis Bruguière

Par Jean-Louis Bruguière

Par Jean-Louis Bruguière

Le 13 novembre et après?

  • Par Jean-Louis Bruguière, ancien juge spécialisé dans la lutte antiterroriste

 

Vendredi 13 novembre la France a été frappée au cœur par la barbarie, celle de l’organisation terroriste de l’état islamique. Un commando aguerri constitué de trois équipes agissant de façon coordonnées sur des sites différents à Paris et aux abords du stade de France ont tué de façon indifférenciée à l’arme automatique, les trop célèbres kalachnikovs, et à l’explosif, jeunes et moins jeunes attablés à des terrasses de café et de restaurants ou qui assistaient à un concert au Bataclan. Le bilan humain est sans précédent et sème l’effroi.

 

La France se savait menacée par l’état islamique depuis les attentats de janvier contre Charlie Hebdo, l’Hyper Cacher de la porte de Vincennes et l’assassinat de policiers. Plusieurs attentats avaient été déjoués par notre dispositif antiterroriste et notamment par la DGSI. Mais la menace ne cessait de croitre et la survenance d’un attentat majeur était redoutée.

Daesh, contrairement à certaines analyses, s’inscrit dans la trajectoire de ses prédécesseurs et ne fait que reprendre les fatwas aujourd’hui oubliées des théoriciens du salafisme djihadiste que furent notamment Adulah Azzam, AymanEl Zawahiri et Oussama Ben Laden.

L’ennemi est le « juif et le croisé » qu’il faut combattre par le Jihad. La fatwa d’Oussama Ben Laden de 1998 rappelle cette exigence. Encore faut-il au préalable construire une base géographique, avant la reconquête par le djihad des « terres d’islam » et de porter l’épée contre les impies, les « juifs et les croisés » des pays occidentaux.

Abou Bakr Al Baghdadi a achevé la constitution de sa « base », par une conquête territoriale à cheval entre l’Irak et la Syrie. Une situation sans précédent qui lui donne des capacités financières et opérationnelles d’un état même s’il n’en a pas les attributs. Il peut donc désormais passer à la deuxième phase, celle du combat par le Djihad de l’ennemi lointain.

La France pour de multiples raisons, en particulier pour son engagement résolu de lutter contre les organisations islamistes en France et en Afrique, est devenue la cible principale de l’état islamique. Les attentats de janvier visaient la communauté juive, les forces de l’ordre et les journalistes, coupables pour d’Al Qaida et ses affidés d’avoir blasphémé le prophète.

Ceux du 13 novembre avaient pour objectif de semer la terreur en faisant le plus grand nombre de victimes sur un mode apparemment aléatoire mais en fait sur des cibles soigneusement choisies en raison de leur symbolique qui a sous tendu la planification de cette opération par l’état-major d’Al Baghdadi en Syrie.

Car ce sont bien nos valeurs qui étaient visées : la liberté de penser, d’agir, d’échanger, de partager sans contrainte, et par-dessus tout notre attachement à la culture, le théâtre, la musique, la littérature. Des manifestations que Daesh abhorre et qualifie d’idolâtrie. Al Qaida et les talibans avaient déjà détruit les Bouddhas de Bagram en Afghanistan. Al Baghdadi quant à lui, tenant d’une position beaucoup plus radicale, a fait de la destruction des trésors archéologiques de la cité antique de Palmyre une sinistre priorité. Le Bataclan n’était pas seulement un lieu où était concentré plus de mille personnes c’était avant tout une salle ce concert.

L’état islamique n’a aucune raison de cesser ses frappes. Les attentats du 13 novembre s’inscrivent dans une progression programmée en rythme et intensité des frappes contre la France. Il en a la volonté au regard de son dessein de créer un califat mondial, rêve inachevé d’Oussama Ben Laden et les moyens en s’appuyant sur les réseaux dormants qu’il a constitué en Europe ou en activant des jeunes djihadistes fraichement radicalisés acquis à sa cause résidant sur notre sol. Mais qu’on ne s’y trompe pas, d’autres pays que la Belgique peuvent abriter des réseaux logistiques de soutien ou devenir demain des cibles de l’Etat Islamique, comme l’Allemagne ou l’Italie.

Notre système sécuritaire a été pris en défaut une nouvelle fois. Il faut en convenir. Mais l’heure est à la cohésion nationale, à la résistance et à la solidarité. Les dissonances politiciennes auxquelles on a récemment assisté à l’Assemblée Nationale sont inappropriées et irresponsables à ce stade et profitent à nos adversaires. Viendra plus tard le temps du bilan et de la responsabilité politique que l’opposition est en droit d’engager dans le débat démocratique.

Ceci étant il est urgent de réagir pour prévenir le renouvellement d’attentats meurtriers qui peuvent voir l’utilisation de moyens létaux les plus diverses y compris des armes non conventionnelles. L’accroissement de notre engagement militaire en Syrie aux côtés des américains et aujourd’hui des russes est justifié. Il ne suffira pas pour autant à réduire un ennemi recourant à la guerre asymétrique et peu vulnérable aux bombardements aériens.

La guerre, contre l’état islamique puisque le mot a été lâché par le chef de l’Etat doit être prioritairement conduite en France et en Europe. Notre stratégie antiterroriste doit être repensée et mettre davantage l’accent sur l’analyse du renseignement recueilli ce qui nécessitera des ressources nouvelles.

Au plan européen des progrès significatifs sont attendus sur le suivi de personnes suspectes ou recherchées dans l’espace Schengen. La mise en place du PNR* européen n’a que trop tardé et il est temps que puissent être contrôlés les ressortissants de l’Union Européenne entrant dans l’espace Schengen pour détecter les djihadistes porteurs d’un passeport européen comme Abdelhamid Abaaoud, le cerveau présumé des attentats de Paris.

L’état islamique, hier Al Qaida, connaissent les failles d’une construction européenne inachevée. L’espace Schengen permet la libre circulation des biens et des personnes mais n’a instauré que des contrôles très limités autorisés par les traités protecteurs de la souveraineté des états membres Ce n’est pas le fait du hasard si les attentats de Paris ont été organisés dans la banlieue de Bruxelles.

Cette situation ne saurait perdurer. Les Etats membres et le Parlement européen doivent avoir le courage politique de prendre sans délai les mesures sécuritaires qu’impose une montée sans précédent de la menace terroriste en Europe.

 

* Passenger Name Record : enregistrement des données personnelles des passages du transport aérien