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Nicole Girard-Mangin, première femme médecin sur le front - 1914-1918

Nicole Mangin donne un cours de vaccination aux  infirmières de son hôpital, en 1918.
Nicole Mangin donne un cours de vaccination aux infirmières de son hôpital, en 1918. © DR
Par Guillaume de Morant

Féministe et d'un courage indomptable, Nicole Girard-Mangin a exercé son métier dans les pires conditions, affrontant l'horreur de Verdun et le scepticisme de la hiérarchie militaire.

Le médecin-capitaine en tombe à la renverse. L’élégante blonde qui se tient devant son bureau, en chapeau et tailleur civil, lui tend une feuille de convocation. La France mobilise. Le toubib doit transformer le centre de cure de Bourbonne-les-Bains (Haute-Marne) en hôpital militaire ! « Nom d’un chien ! rugit-il. J’avais demandé le renfort d’un médecin auxiliaire, pas d’une midinette. » Son interlocutrice, Nicole Girard-Mangin, a 36 ans. C’est une féministe, divorcée, mère d’un fils en bas âge. Elle en a vu d’autres. Sans se laisser démonter, elle présente ses diplômes de médecine et ­réplique : « Vous m’en voyez désolée, mais je suis affectée dans votre établissement et je me sens parfaitement apte à remplir les fonctions qui m’incombent. » Spécialiste reconnue de la ­tuberculose, elle aurait pu rester à l’hôpital Beaujon, à Paris ; elle a choisi de servir dans les ­armées. Probablement a-t-elle eu un peu de chance.

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« Un fonctionnaire ­débordé a sans doute confondu le nom de son ex-mari, Girard, avec un prénom, Gérard, et a cru convoquer le Dr Gérard Mangin », raconte aujourd’hui son petit-neveu, ­Philippe Wachet. Le médecin-­capitaine de Bourbonne-les-Bains la renverrait si sa hiérarchie ne l’incitait à la garder : l’armée manque de médecins. Née à Paris, Nicole Mangin a passé son enfance à Véry, dans la Meuse. Issue de la petite bourgeoisie, elle appartient à la bonne société parisienne par son ­mariage avec un négociant en vins fortuné. Après son divorce, elle reprend ses études de médecine et obtient sa thèse en 1909, consacrée au cancer. Femme médecin sous les drapeaux, son cas est unique en 1914. Ce statut étant inconnu dans l’armée française, il faut ­régler la question de l’uniforme. « Le service de l’intendance l’affuble d’une ­casquette plate, d’une longue veste dotée de larges poches. C’est la tenue des ­doctoresses de l’armée anglaise », poursuit son petit-neveu. On croit s’en ­débarrasser en la nommant dans un hôpital « tranquille » : ce sera Verdun.

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"C’était une ­petite femme à faire marcher un régiment"

L’épreuve du feu commence le 21 février 1916, au son du canon allemand. Il faut évacuer. La jeune femme réquisitionne une voiture ­militaire, y place les derniers malades et blessés. Les obus pleuvent, un éclat brise la vitre arrière. Atteinte sous l’oreille droite, elle a le ­visage en sang. A Clermont-en-Argonne, on l’accueille en héroïne. Une amie, Louise Cruppi, la décrit : « Du premier coup d’œil, on sentait en elle une indomptable énergie. C’était une ­petite femme à faire marcher un régiment. » A Vadelaincourt, puis à Queue-de-Mala, le Dr Girard-Mangin pratique la chirurgie sous la tente. L’intensité des combats déverse, en moyenne, 875 blessés chaque jour. Elle ne se contente pas d’opérer, elle sillonne aussi le champ de bataille au volant d’une camionnette sanitaire, accompagnée d’un brancardier et d’un infirmier pour prodiguer les premiers soins. Fin 1916, elle est envoyée dans la Somme, puis à l’hôpital de Moulle, dans le Pas-de-Calais, où elle dirige un service de traitement des tuberculeux, et enfin à Ypres, en Belgique.

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« Partout, j’étais accueillie comme vous savez. Puis, après quelque temps, nous apprenions à nous connaître. On me faisait des excuses, on admettait que j’étais capable de quelque chose », écrit-elle à sa famille. Début 1917 arrive enfin la reconnaissance. Les autorités militaires lui proposent la direction de l’hôpital-école Edith-Cavell, à Paris, avec le grade de médecin-capitaine. Elle forme les infirmières auxiliaires, rend visite aux malades, effectue des actes médicaux et chirurgicaux et préside le conseil de direction. Profitant de son retour à Paris, elle milite aussi à l’Union des femmes françaises, un mouvement féministe, assiste aux séances de la Croix-Rouge américaine pour la lutte antituberculose et participe activement à la création de La Ligue contre le cancer. Après l’armistice, le Dr Girard-Mangin est rendue à la vie civile, sans honneurs ni décoration.

Au matin du 6 juin 1919, son corps sans vie est découvert à son domicile, à Paris. Les boîtes de médicaments vides ne laissent planer aucun doute. Son biographe, le Dr Jean-Jacques Schneider, évoque une hypothèse : Nicole se savait atteinte d’un cancer incurable. Après avoir assisté tant et tant de mourants pendant la Grande Guerre, elle ­aurait préféré, en médecin, abréger ses propres souffrances. Elle avait 41 ans.

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« Nicole Mangin. Une Lorraine au cœur de la Grande Guerre », de Jean-Jacques Schneider, éd. Place Stanislas.

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