L’or noir de l’Arctique vaut-il de mettre en danger la pouponnière des ours blancs ? L’Etat russe a accordé en catimini des licences d’exploitation à Rosneft et ExxonMobil qui empiètent sur la "zone tampon" de l’île Wrangel, classée au patrimoine mondial. Sans en informer l’Unesco. L’enjeu est de taille : il s’y trouverait une partie des 90 milliards de tonnes de pétrole de l’Arctique.

C’est l’une des trois plus importantes "maternités" du monde pour les ours polaires. Au nord de la Sibérie, sur l’île Wrangel, des centaines de bébés ours naissent chaque année dans ce qui restait jusqu’alors un sanctuaire. Protégée par son statut de réserve naturelle et de patrimoine mondial de l’Unesco (l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture), cette zone est aujourd’hui menacée par la course au pétrole. Depuis l’an dernier, Rosneft et ExxonMobil ont l’autorisation d’y exploiter des hydrocarbures.
"L’octroi de ces licences par l’Etat russe est une violation flagrante de la loi", s’indigne Mikhaïl Kreindlin, expert zones protégées de Greenpeace Russie. L’ONG (organisation non gouvernementale), alliée à l’antenne russe de WWF, a demandé des comptes au ministère des Ressources naturelles et de l’Environnement, qui a reconnu cette irrégularité, il y a un an. Il devait enclencher les procédures pour modifier les frontières des licences. "Mais depuis, rien n’a changé", déplore le militant.

L’Unesco ignorée



Les géants pétroliers continuent d’avancer leurs pions dans l’Arctique russe : en mer des Tchouktches où se situe l’île, en mer de Laptev et dans la mer de Kara, où des études sismiques débuteront en août. S’ils découvrent des gisements, promis, ils investiront massivement, pour en trouver davantage. C’est ce qu’a annoncé Glenn Waller, le dirigeant d’ExxonMobil Russie, le 27 juin dernier.
Les deux plus gros groupes pétroliers de la planète déclarent ne pas vouloir s’attaquer à la pouponnière d’ours, bien qu’ils y soient autorisés : "Les plans d’exploration sont encore en cours d’élaboration, Rosneft et ExxonMobil respecteront les frontières du parc ainsi que la zone de protection spéciale qui s’étend à 24 miles autour de l’île", garantissent d’une seule voix leurs porte-parole.
Pour les ONG, cela ne suffit pas. "Le gouvernement russe a pris la décision d’inclure la zone dans la licence sans en informer l’Unesco, ce qui viole aussi les règles de la Convention du patrimoine mondial", insiste Mikhaïl Kreindlin. Non averti, le Comité de l’Unesco n’a pas abordé cette question lors de sa 38e session, fin juin. Mais "si nous recevons une documentation d’un tiers sur le sujet, nous écrirons à l’Etat partie afin d’obtenir des explications", explique diplomatiquement Guy Debonnet, expert nature du comité.
C’est bien ce que compte faire Greenpeace lors de la prochaine session, dans un an. Ce sera ensuite au Comité de décider si le projet est susceptible de menacer la valeur universelle exceptionnelle du site.

Une "zone de protection" menacée



Dotée d’un écosystème unique, l’île Wrangel jouit du plus haut niveau de biodiversité dans le Haut-Arctique. Y vivent ou séjournent plus d’une centaine d’espèces d’oiseaux, dont l’oie des neiges ou le faucon pèlerin  – en danger d’extinction –, la plus vaste population de morses du Pacifique, des baleines grises ou encore 417 variétés de plantes vasculaires.
Un accident pétrolier aux abords de ce sanctuaire engendrerait une catastrophe écologique. Aucune technologie, à ce jour, n’est suffisamment efficace pour extraire du pétrole sans danger dans les conditions polaires, rappellent les ONG. Et les fuites sont très difficiles à détecter dans les eaux glacées.
Impossible de mesurer l’implication écologique de Rosneft et ExxonMobil. Les ONG n’ont eu accès ni à leur étude d’impact environnemental ni à leur plan d’intervention en cas de déversement. Pour obtenir des détails, WWF Russie a tenté de s’enregistrer en tant qu’expert environnemental indépendant sur le projet des compagnies, comme l’autorise la loi russe. "Aussi bien à Moscou qu’au Tchoukotka, les autorités nous ont dénié ce droit sans raison valable, estime Alexeï Knijnikov. Un procureur nous a confirmé qu’il s’agissait bien d’un refus illégal." L’association compte donc renouveler sa tentative. Avant qu’il ne soit trop tard.
Les sanctions économiques américaines qui touchent depuis le 16 juillet le groupe Rosneft interdit désormais aux entreprises US de mener des transactions avec des compagnies visées par ce type de mesure. Une interdiction qui ne devrait cependant pas remettre en cause la mise en oeuvre des projets actuels de Rosneft avec ExxonMobbil, comme l’affirme Igor Setchine, le PDG de l’entreprise.

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