Accéder au contenu principal
LIBYE - TUNISIE

Reportage : les réfugiés "oubliés" de la frontière tuniso-libyenne

Créé en 2011 afin d'accueillir les réfugiés fuyant la guerre en Libye, le camp tunisien de Choucha a fermé en juin 2013. Dépourvu d'eau et d'électricité, le site abrite encore une centaine de Subsahariens qui refusent de partir.

L'entrée du camp de Choucha, près de la frontière tuniso-libyenne
L'entrée du camp de Choucha, près de la frontière tuniso-libyenne Guillaume Guguen, France 24
Publicité

Quiconque emprunte la route menant au poste-frontière de Ras Jedir, dans le sud de la Tunisie, ne peut passer devant sans les voir. Sept kilomètres avant le point de passage qui, depuis fin juillet, fait face à un afflux de Libyens et de travailleurs étrangers fuyant la montée de violences dans l'ancienne Jamahiriya voisine, demeurent les vestiges de ce temps pas si lointain où la Tunisie dut, dans l'urgence, s'improviser terre d'accueil.

C'était en février 2011. La guerre qui faisait alors rage en Libye poussa des milliers de ressortissants étrangers à traverser Ras Jedir pour trouver refuge en Tunisie. Face à l'afflux, le Haut commissariat aux réfugiés des Nations unies (HCR) mit en place, non loin du poste frontalier, ce qui fut appelé le camp de Choucha. "Il s'agissait du premier dispositif d'accueil de cette importance jamais enclenché en Tunisie", rappelle le docteur Tahar Cheniti, secrétaire général du Croissant-Rouge tunisien. Pendant deux ans, quelque 300 000 migrants de 22 nationalités différentes ont transité par ce camp.

Officiellement fermé en juin 2013 par le HCR, le site impressionne toujours par le nombre de ces baraquements, aujourd'hui livrés aux sables du désert sud-tunisien. De la route où filent à toute allure des véhicules pour la plupart immatriculés en Libye, Choucha ressemble à un vaste village fantôme. Le camp, toutefois, n'a pas été complètement déserté. Une centaine de réfugiés originaires d'Afrique subsaharienne ont refusé de quitter les lieux. Le long du ruban de bitume, des panneaux de fortune informent les automobilistes de leur présence. "La nourriture, les médicaments, l'eau... c'est notre rêve. Tout ce qu'on veut, c'est une vie normale", peut-on lire sur l'un de ces SOS écrits en arabe et en français.

"La nourriture, les médicaments, l'eau potable, c'est notre rêve. Tout ce qu'on veut, c'est une vie normale. Nous invitons les instances juridiques à venir nous rendre visite", peut-on lire sur le panneau installé par les réfugiés près du poste frontière de Ras Jadir.
"La nourriture, les médicaments, l'eau potable, c'est notre rêve. Tout ce qu'on veut, c'est une vie normale. Nous invitons les instances juridiques à venir nous rendre visite", peut-on lire sur le panneau installé par les réfugiés près du poste frontière de Ras Jadir. Imed Bensaied - FRANCE 24

"Une prison à ciel ouvert"

Assis au bord de la nationale, une dizaine de ces derniers réfugiés de Choucha accueillent les personnes de passage. "Depuis un an, nous sommes abandonnés, personne ne s'occupe de nous, affirme Bright, 30 ans et ancien "activiste" de l'État du Delta au Nigeria. Si vous voyiez dans quelles conditions nous vivons, ici, en plein désert." Depuis sa fermeture, le camp est constamment gardé par une poignée de militaires. L'accès aux baraquements situés à plusieurs centaines de mètres de la route est formellement interdit aux curieux.

"On est privés d'eau, de nourriture, d'assistance. On vit ici comme dans une prison à ciel ouvert. Il faut que la communauté internationale s'occupe de nous", lance Ibrahim, un Soudanais de 45 ans qui avait rejoint la Libye pour fuir le conflit au Darfour. "Au début, le HCR nous a promis le ciel. 'On va trouver un pays pour vous', nous ont-ils dit. Mais depuis 2013, il nous ont abandonnés", déplore Hammed qui indique avoir quitté sa Côte d'Ivoire natale en 2009 parce que sa famille "y était persécutée".

Ancien "activiste" dans l'Etat du Delta au Nigeria, Bright ne veut pas retourner dans son pays ni ne souhaite rester en Tunisie.
Ancien "activiste" dans l'Etat du Delta au Nigeria, Bright ne veut pas retourner dans son pays ni ne souhaite rester en Tunisie. Imed Bensaied - FRANCE 24

Au plus fort de la guerre en Libye, alors que le camp de Choucha accueillait jusqu'à 18 000 réfugiés, une initiative globale internationale de solidarité a été lancée afin de "réinstaller" dans un pays tiers les migrants qui, pour des raisons de sécurité, ne pouvaient ni rentrer chez eux ni rester en Tunisie. Au total, quelque 3 600 personnes ont pu obtenir une réinstallation aux États-Unis, au Canada, en Australie, en Allemagne ou encore en Norvège. Mais des centaines de candidats ont vu leurs demandes retoquées. Les Subsahariens de Choucha sont de ceux-là. Parmi eux, affirme le HCR, figurent des migrants qui ne seraient jamais passés par la Libye et auraient rejoint Choucha sur le tard dans l'espoir de bénéficier d'une réinstallation en Occident.

Se considérant oubliés par les organisations internationales et les autorités tunisiennes, les "déboutés" de Choucha ne bénéficient d'aucun statut officiel mais leur présence est tolérée dans le pays. S'ils peuvent vivre aujourd'hui, c'est grâce, affirment-ils, à la générosité des Libyens de passage qui, interpellés par leurs appels à l'aide de bord de route, leur offrent nourriture et vêtements. Le Croissant-Rouge, avec l'aide de la Coopération suisse, assure toutefois une aide. "Nous essayons de subvenir à leurs premiers besoins en leur fournissant de la nourriture et une assistance médicale. Nous favorisons également les prises en charge à l'hôpital en cas de maladie, indique Tahar Cheniti. Ils vivent dans des conditions d'autant plus difficiles qu'ils sont dans un climat désertique. Mais, humanitairement, que peut-on vraiment faire pour des gens qui ne veulent pas retourner dans leur pays, ni rester en Tunisie ?"

"Pour eux, la solution est de l'autre côté de la Méditerranée"

Au moment du démantèlement du camp, le HCR a lancé un programme d'aide à la réinsertion professionnelle (plomberie, électricité, menuiserie, etc.) et favoriser ainsi une installation dans la région. "Mais cette initiative n'a suscité que peu d'engouement, rapporte le secrétaire général du Croissant-Rouge tunisien. Pour eux, la solution n'est pas en Tunisie mais de l'autre côté de la Méditerranée."

Régulièrement, une délégation des réfugiés de Choucha se rend à Tunis pour exprimer leur opposition au projet d'intégration locale et demander une "réinstallation" dans un pays qui, contrairement à la Tunisie, disposerait d'une loi de protection des réfugiés. "Nous avons organisé trois manifestations à Tunis cette année. Nous avons été arrêtés les trois fois, assure Bright, qui représente Choucha auprès des autorités tunisiennes et des organisations internationales. Avant qu'ils nous relâchent, on a demandé qu'ils nous apportent une solution, mais ils nous ont ramenés de force au camp. Pourquoi voudrions-nous rester dans un pays dont le gouvernement nous menotte lorsqu'on manifeste ?"

Après plusieurs années passées dans le camp, les "déboutés" gardent toutefois espoir que le HCR rouvre un programme de réinstallation. "Je suis confiant en l'avenir. Ce qui se passe actuellement à Ras Jedir va de nouveau attirer l'attention sur la situation des réfugiés en Tunisie. L'ONU finira par s'occuper de nous et nous trouvera un pays où nous bénéficierons d'une assistance", veut croire le jeune nigérian. D'autres n'ont pas cultivé le même optimisme qui, entre 2011 et 2013, ont quitté le camp pour tenter de rejoindre dans des embarcations de fortune l'île italienne de Lampedusa, seule porte d'entrée, pour nombre de migrants, du continent européen.

Le résumé de la semaineFrance 24 vous propose de revenir sur les actualités qui ont marqué la semaine

Emportez l'actualité internationale partout avec vous ! Téléchargez l'application France 24

Partager :
Page non trouvée

Le contenu auquel vous tentez d'accéder n'existe pas ou n'est plus disponible.