Robert MŽnard, Maire de BŽziers, Conseil municipal du 22 juillet 2014, BŽziers, HŽrault, France.
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Robert Ménard, au conseil municipal du 22 juillet dernier. L'édile s'impatiente contre les "arguties" de l'opposition.

© Alain Tendero/Divergence pour L'Express

La mine grave, le regard tendu vers leur chef, les conseillers municipaux, alignés en rang d'oignons, attendent, bouche cousue, le début de la réunion extraordinaire convoquée la veille, via une procédure d'urgence. Ce jeudi 10 juillet, la quasi-totalité des 49 élus ont répondu à l'appel du premier magistrat de la ville. Robert Ménard fait son entrée et prend place au centre de l'immense tablée d'élus. Debout, derrière lui, bras croisés, se tient son directeur de cabinet, André-Yves Beck. Dans un coin, Emmanuelle Duverger, l'épouse et éminence grise du maire, scrute l'assemblée. La salle du conseil municipal est pleine. Journalistes et citoyens ont pris place dans les travées qui leur sont allouées.

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Le maire démarre la séance : "Depuis 1885, c'est la mémoire et l'âme de cette ville. A Béziers, il n'y a pas une famille qui ne la connaisse." Puis, se tournant vers l'opposition, il poursuit : "Même si ça n'est pas notre rôle, même si on avait pu se contenter de regrets et faire le minimum syndical, la résignation ne peut être un refuge. De temps en temps, on peut rêver d'autre chose!" s'envole-t-il, inspiré.

L'objet de cette sollicitude ? La dénommée Clareton, librairie historique de la cité cathare, placée en redressement judiciaire et dont le sort doit être scellé par le tribunal de commerce quelques jours plus tard. Pour Robert Ménard, élu au mois de mars avec la promesse de sauver Béziers de la décrépitude, l'urgence est indéniable. L'ordre du jour tient en une ligne : autoriser le maire à présenter une offre de reprise de la librairie. L'opposition exige des précisions que Robert Ménard est bien en peine de fournir. Il souhaite faire voter le principe. "Une collectivité locale ne peut pas racheter une entreprise privée ! soulève une élue avocate, vous allez créer un précédent et ouvrir une brèche", prévient-elle. "Je viens de l'humanitaire et je connais ce raisonnement. Je ne peux pas interdire les guerres, donc pourquoi en sauver quelques-uns !" rétorque l'ex-patron de Reporters sans frontières (RSF).

La séance s'éternise, l'atmosphère s'électrise, Ménard perd patience, s'agace et passe au vote. "Ça fait une heure et demie que vous êtes dans les arguties. Quand je pense à la façon dont on a dépensé l'argent public, ici, pendant des années... Je maintiens le texte, et on va se battre", terminet-il, le visage fermé.

La situation économique de la ville s'est dégradée

Bienvenue en Ménardie! Elu avec 47% des suffrages grâce au soutien du Front national et une campagne de terrain intensive, Robert Ménard imprime sa marque de fabrique : com' et coups d'éclat. Voilà longtemps que la sous-préfecture de l'Hérault n'avait connu pareille couverture médiatique. Après trois mandats de l'UMP Raymond Couderc, Béziers s'est affaissée. L'image comme la situation économique de la ville, où plus d'un tiers de la population vit en dessous du seuil de pauvreté, se sont dégradées. Une balade en centre-ville suffit à en percevoir le dépérissement. Rideaux de fer tirés, terrasses de café désertées. Malgré la magnificence des façades haussmanniennes, certains ont rebaptisé les allées Paul-Riquet, l'artère principale de la ville, "Paul Kebab".

"Les logements insalubres sont nombreux", soupire Ménard, qui rêve de ressusciter la ville de son enfance où sa mère, Roberte, vit encore et où il a emménagé avec femme et enfant dans un 200 mètres carrés acheté l'an dernier. Au cours des cent premiers jours de son mandat, le nouvel édile a montré qu'il avait "la niaque". Et cloué le bec à ceux qui le taxaient d'amateur ou d'opportuniste. "C'est un bosseur. Je ne regrette pas un instant de l'avoir soutenu, rapporte Nicolas Dupont-Aignan, président de Debout la République. Il rétablit l'ordre et il est plus fin que sa caricature."

Vraiment? Ses premières décisions, comme la chasse aux paraboles, l'interdiction d'étendre du linge aux balcons et de battre les tapis par la fenêtre, indiquent plutôt l'inverse. Le maire, qui refuse toujours l'étiquette du FN, se défend de stigmatiser la population immigrée. "Vous avez déjà vu du linge aux fenêtres face au Colisée, à Rome? Au moins, depuis quelques mois, on parle de Béziers", se réjouit l'édile. Au marché de la Devèze, fréquenté par des familles défavorisées, les chalands ne tarissent pas d'éloges. "Le linge ? C'est parfait. Vous n'avez pas remarqué toutes ces chiffonnades dégoûtantes qu'ils étalent !" s'exclame une sexagénaire enthousiaste. A ses côtés, une femme, la cinquantaine sportive, renchérit : "Moi, cela fait trente ans que je vote FN. Je suis ravie. Désormais, lorsque j'appelle la police pour une voiture qui obstrue mon portail, elle vient immédiatement." Une troisième Biterroise se joint à la conversation. Indignée, elle parle fort : "Il y a un travail monstre à faire, il faut tout reprendre. Les trottoirs sont pleins de trous, il y a des crottes de chien partout, et le centre-ville est rempli de vagabonds."

"Général Alcazar"

Déterminé à éradiquer ce sentiment d'insécurité, prégnant à Béziers malgré une baisse de la délinquance, Ménard a promis d'armer la police municipale et d'en doubler les effectifs. "Je connais des femmes qui ne sortent plus après 21 heures sur les allées Paul-Riquet, où il n'y a plus que des hommes, surtout des Maghrébins", clamait-il pendant la campagne. Depuis le lendemain de son élection, une voiture de police patrouille sur les allées, contraignant les SDF à se délocaliser... dans les rues adjacentes.

Le "général Alcazar", comme le surnomment certains de ses détracteurs, a aussi décrété l'instauration d'un couvre-feu pour les enfants de moins de 13 ans. Saisi par la Ligue des droits de l'homme, le tribunal administratif a retoqué la mesure, la réduisant à l'obligation pour la police de ramener les enfants non accompagnés à leur domicile. Une disposition déjà existante.

Mais qu'importe, l'utilisation du terme a produit son petit effet auprès des Biterrois. "Ça rassure", confirme Adil Choukri, conseiller municipal chargé de la médiation. De même, la suppression des aides sociales aux citoyens ayant omis de se présenter au rappel à l'ordre, ou l'interdiction des rassemblements anticorrida ont rencontré un écho positif. Au-delà des premières mesures, l'effervescence du vibrionnant maire lui offre un véritable état de grâce. "La ville est beaucoup plus propre. Vous avez vu les bacs à fleurs installés rue Française ?" note notre mamie du marché de la Devèze, complètement sous le charme.

La méthode Ménard

Sous le soleil de juillet, sur la place du forum, face à la mairie, deux habitants commentent avec satisfaction l'opération en cours de démontage de l'Abribus en métal couleur rouille. "En été, on crevait de chaud, et en hiver, il fallait sortir la tête sous la pluie pour espérer apercevoir le bus arriver", explique la passante. Symbole de l'ère Couderc qui a dépensé 66 000 euros pour cette "insulte à l'architecture" - dixit Ménard -, il a été mis aux enchères et vendu pour 4 000 euros. D'aucuns taxent l'initiative de nouveau coup de com', comme le changement de logo qui retrouve le blason de la ville et ses trois lys.

Mais la com', n'est-ce pas l'alpha et l'omega de la méthode Ménard? Dès la première semaine, l'ex-journaliste entreprend une refonte du journal municipal. "Faites-moi du Marianne des années 1990, lance-t-il. Il faut que le lecteur sache tout de suite de quoi on parle." Couleurs qui flashent, gros titres, la nouvelle formule fait dans le sensationnel. Dans le n° 2 paru en juillet, Ménard règle ses comptes : "Minuit libre, quand la nuit s'abat sur le journalisme."

Suit un article de deux pages où l'auteur - qui reste anonyme - fustige les "inexactitudes" et l'absence de neutralité du quotidien local. "Bien sûr, l'erreur est humaine, et le journaliste est humain. Au Midi libre, il est même particulièrement humain." Joli, pour l'ex-défenseur de la liberté de la presse.

Ailleurs, le journal de Béziers morigène les méthodes politiciennes de ses opposants : "Une insulte à l'égard des Biterrois", y est-il écrit sous un énorme surtitre : "Scandaleux". L'origine de cette indignation ? L'élection à la tête du conseil de surveillance de l'hôpital de Béziers d'Alain Roméro, maire d'une "vaste mégalopole de 974 habitants", ironise le journal du maire, qui pourfend : "Partout en France, le président est le maire de la ville qui accueille l'hôpital. [...] Partout en France... sauf à Béziers !" "L'hôpital est une structure indépendante et la ville de Béziers ne verse pas un centime au centre hospitalier", répond Jean-Michel Du Plaa, leader local du PS et vice-président du conseil général.

"Le rapport de forces permanent"

K-O après la défaite, les oppositions UMP et PS se sont exceptionnellement unies pour faire front à l'appétit de Robert Ménard. Or la résistance, le nouveau maire n'aime pas trop. Il en fait la démonstration dès le lendemain de sa victoire, lors de l'élection du président de la communauté d'agglomération Béziers Méditerranée. L'enjeu est important pour le nouvel élu, de nombreuses compétences relèvent désormais de cette communauté. Convoqués un par un à l'hôtel de ville de Béziers, les maires des 12 villages environnants ne cèdent pas aux sirènes de Ménard. Celui-ci ne récolte que 28 voix sur 65 et doit laisser le fauteuil à Frédéric Lacas, maire (divers droite) de Sérignan. "Vous me le paierez cher, c'est un déni du vote des Biterrois", lâche-t-il, furibard.

Sa colère éclate au cours des deux réunions qui suivent. Le 28 avril, après avoir menacé de quitter l'agglo s'il n'obtient pas la première vice-présidence, Ménard quitte... la salle au bout de vingt minutes, suivi par ses 21 colistiers à la queue leu leu. Rebelote à la séance suivante, le 14 mai. Cette fois, il demande la tête de Du Plaa : "Il est incompréhensible que soient représentés les battus du suffrage universel de Béziers", clame-t-il avant de claquer la porte. In fine, à la fin du mois de mai, un accord est trouvé avec le maire, qui rentre dans le rang.

En vérité, Robert Ménard n'avait pas le choix. Impossible pour lui de remplir les trois conditions nécessaires pour quitter l'agglo, à savoir le vote des 12 maires pour lui donner quitus, l'autorisation du préfet et, surtout, une autre agglomération qui forme une continuité de territoire pour l'accueillir. Le savait-il lorsqu'il a improvisé sa dramaturgie ?

"En politique, il faut peut-être être dans le rapport de forces permanent pour être respecté", a-t-il expliqué à Midi libre. Dont acte. Sur les rythmes scolaires, la stratégie, il est vrai, a payé. Robert Ménard a d'abord clamé qu'il n'appliquerait pas la réforme, faute de moyens. Son voisin montpelliérain était dans la même démarche pendant la campagne. Puis il a annoncé qu'il proposerait la formule de l'assouplissement mis en place par Benoît Hamon avec le vendredi après-midi libéré. Les conseils d'école ayant contré son dispositif, il opte pour une autre organisation et obtient de l'académie un élargissement de l'accompagnement éducatif à sept écoles supplémentaires sur Béziers. La réforme sera donc appliquée sans activité périscolaire et sans que la mairie ait besoin de bourse délier. Bien joué.

Chasser les pauvres de Béziers

Face à la réalité, cependant, moulinets et rodomontades ne suffiront pas. Dès le premier conseil municipal, conformément à sa promesse de campagne, Robert Ménard fait voter une baisse des impôts de quatre points. "Cela m'a valu un coup de téléphone du préfet, qui m'a appris que Béziers était placée dans le réseau d'alerte. Cela signifie que la marge de manoeuvre en termes d'investissement est encore plus faible que je ne le pensais", se lamente- t-il dans son bureau.

La réduction du taux d'imposition obère le budget de 2 à 3 millions de recettes. Embaucher des policiers municipaux et les former pour les armer, diviser par deux le tarif de certains parkings, en créer de nouveaux, préempter les commerces en difficulté, refaire les halles, rénover les écoles primaires et maternelles, multiplier les espaces verts, les placettes, les fontaines, améliorer les logements sociaux, sans compter tous les projets touristiques destinés à redynamiser la ville... Le programme est copieux et Ménard a peu de moyens.

Pour Christophe Coquemont, militant PS et fondateur du comité de vigilance Union citoyenne humaniste, la véritable faiblesse de Ménard, "c'est qu'il ne porte pas de réel projet pour la ville". Et de dénoncer la réduction du budget du centre communal d'action sociale, mesure surprenante quand on sait que Béziers est la troisième ville la plus pauvre de France. En filigrane, en fait, commence à apparaître le rêve caressé par le nouveau maire : chasser les pauvres de la ville pour rendre à Béziers son lustre d'antan.

"L'heure de vérité viendra à l'automne, au moment des arbitrages budgétaires, alors que l'Etat baisse ses dotations aux collectivités locales", susurre l'ex-maire de la ville, le sénateur Raymond Couderc. "Trouver des financements au conseil général ou à la région ne sera pas facile avec l'étiquette FN", glose Frédéric Lacas.

Il contrarie la stratégie de dédiabolisation de Marine Le Pen

Ah, cette image d'extrême droite ! Pendant toute la campagne, Robert Ménard a navigué avec dextérité sur une ligne de crête, développant un projet "FN-compatible" tout en revendiquant haut et fort une candidature non partisane et surtout pas lepéniste. Et tant pis s'il connaît bien Jean-Marie Le Pen avec lequel, comme l'a révélé L'Express, il a réalisé récemment un long livre d'entretien où l'on sent bien une certaine complicité avec le fondateur du Front national. Mais le parti prend ses distances avec l'incontrôlable créateur de RSF.

Depuis qu'il a recruté à ses côtés Christophe Pacotte, membre du Bloc identitaire - qu'il a finalement démis de ses fonctions de chef de cabinet -, et André-Yves Beck, ex-éminence grise de Jacques Bompard à Orange, Robert Ménard gêne la stratégie de dédiabolisation de Marine Le Pen. Il s'agit de "gens qui sont beaucoup plus radicaux et dont nous ne partageons pas les valeurs", a commenté Louis Aliot, vice-président du Front national.

Par-delà les paraboles ou le linge, le maire de Béziers cultive son image d'homme de droite en refusant de célébrer les mariages homosexuels ou en instaurant le port de la blouse à l'école. Celle-ci "gomme les disparités sociales et atténue les éventuelles tensions. Elle met fin à la tribalisation consumériste", écrit-il dans un courrier adressé aux directeurs et directrices d'école. L'idée lui a été soufflée par sa femme, Emmanuelle Duverger, qui s'exprimait sur le sujet en décembre 2012 sur le site créé par l'ex-patron de RSF, Boulevard Voltaire, classé très à droite. "Oui, l'uniforme plutôt que ces sweat-shirts Abercrombie qui me sortent par les narines", écrivait-elle.

L'influence de cette catholique pratiquante avec laquelle Robert Ménard file le parfait amour et avec qui il a cosigné son pamphlet Vive Le Pen!, ode à la liberté d'expression, est certaine. "C'est la seule personne en qui j'ai une confiance aveugle", nous confiait-il cet hiver. Emmanuelle Ménard a-t-elle apprécié l'hommage rendu par son mari aux fusillés de l'OAS, le 9 juillet dernier ? Ceint de l'écharpe tricolore, Robert Ménard, fils d'un militant de l'OAS, a terminé son discours les larmes aux yeux. Pour une fois, on pouvait croire à une forme de sincérité.

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