D'un bidonville à l'autre : le parcours ubuesque des Roms de Grigny

D'un bidonville à l'autre : le parcours ubuesque des Roms de Grigny
bidonville rom de Grigny (SÉBASTIEN THIÉRY/PEROU)

La destruction du bidonville de Grigny laisse une centaine d'occupants à la rue... et une amère impression de déjà-vu.

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La plupart des occupants ont déjà déserté les lieux quand les pelleteuses entrent en action, mardi matin, dans le bidonville de Grigny (Essonne). Environ 300 personnes, essentiellement des familles issues de la communauté rom, étaient installées sur ce terrain municipal, dans des baraques de bois et de tôles, depuis près d’un an et demi. Elles s’étaient déplacées après leur expulsion du bidonville de Ris-Orangis, à 800 mètres de Grigny, lui-même constitué après le démantèlement d'un autre campement à Evry, en 2012.

"Dans un mois, un nouveau bidonville à quelques mètres de là"

L’immense chapiteau en patchwork bariolé bricolé par les habitants du bidonville est toujours dressé au milieu du campement quand les gendarmes poussent les derniers occupants hors des lieux. Au début de l’été, le réalisateur Tony Gatlif était venu présenter son film "Gadjo Dilo" dans cette salle de cinéma improvisée. Mais la mobilisation du cinéaste n’aura pas suffi à protéger le campement d’une destruction annoncée.

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(Sébastien Thiéry/PEROU)

"Certains sont repartis en Roumanie, d’autres se sont installés dans des bidonvilles aux alentours", explique Sébastien Thiéry, de l’association Perou (Pôle d'exploration des ressources urbaines), qui oeuvre sur des projets sociaux et culturels auprès de ces familles. Le bénévole est las de constater que la même scène se répète chaque année : "A coup sûr, dans un mois, il y aura un nouveau bidonville à quelques centaines de mètres de là."

Un constat partagé par l’"Association de solidarité en Essonne aux familles roumaines et roms" :

"Il y a un couple de jeunes gens que je connais depuis 2007. On les chasse d’une commune à l’autre, mais une expulsion c’est un coup de pied dans une fourmilière. Les gens se dispersent et souvent on les voit réapparaître", déplore Nicole Brulais, habitante de l’Essonne et militante de la structure.

EN VIDEO : "Le Nouvel Observateur" avait rencontré les familles de Ris Orangis en 2013 :

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"Avec les rats, dans des conditions d'hygiène déplorables"

Malgré l’ordonnance d’expulsion formulée à sa demande, la mairie communiste a participé toute l’année à l’amélioration des conditions de vie dans le campement… avant de le détruire. Installation de points d’eau, mise à disposition de containers pour l’évacuation des déchets ou fourniture de bois de chauffage : une aide pour le moins paradoxale.

"Un bidonville, à Grigny ou ailleurs, n’a pas vocation à rester éternellement. Il serait méprisant de considérer que ces familles avec enfants peuvent continuer à rester là, avec les rats, dans des conditions d’hygiène déplorables", tranche Claude Vasquez, élu de Grigny, en charge du dossier.

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(Sébastien Thiéry/PEROU)

Mais c’est sans compter que ces populations se sont déjà en partie intégrées, comme l’explique Sébastien Thiéry : "Beaucoup d’habitants ont des enfants scolarisés à Grigny ou travaillent dans le coin, il est donc très plausible qu’ils se réinstallent à proximité sous peu." Alors que le nombre de Roms s’est stabilisé autour de 15.000 en France, les évacuations ont quasiment doublé en 2013, selon un rapport de la Ligue des droits de l'homme (LDH) et l'European Roma Rights Center (ERRC).

Cette situation est absurde, on dirait les 'Shaddock', on pompe, on pompe, on répète le même geste en attendant d’autres effets. Mais les élus sont dans le déni."

L’association pointe aussi le coût élevé des expulsions, réparti entre l’Etat et la municipalité. Il inclut la destruction et le nettoyage du terrain (machines, mobilisation des CRS), ainsi que le paiement des nuitées d’hôtels pour les familles à la rue. Au total, la facture s’élèverait à quelque 320.000 euros pour une évacuation de cet acabit. "Autant d'argent dépensé par la collectivité pour rien", s'exaspère le porte-parole.

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(Sébastien Thiéry/PEROU)

"Les communes ne peuvent pas régler seules le problème"

Parmi les 300 occupants du bidonville, seules six familles, soient 30 personnes, ont eu la chance d’être choisies pour un projet d’insertion mis en place par la mairie de Grigny, dans les pas de celle de Ris-Orangis. Explications : un an plus tôt, après la destruction du bidonville de Ris, onze familles avaient été intégrées à un programme d’accompagnement pour l’accès à l’emploi et au logement. Elles ont été temporairement hébergées dans des modules préfabriqués aménagés par le Conseil général, avant d'être relogées dans des logements sociaux. A présent, six familles de Grigny viendront bientôt prendre leur place dans ces mêmes Algeco, à Ris-Orangis, donc.

Une façon de se défausser pour Grigny ? Non, répond la municipalité, qui s'occupera de l'entretien des "bungalows". Après avoir scolarisé 27 enfants dans sa commune et domicilié plusieurs familles afin qu'elles puissent toucher la CMU, la ville estime qu’elle a fait sa part d’efforts et ne peut à elle seule prendre en charge toute la population du bidonville :

"L’effort de Grigny est à la mesure de ce qu’on peut faire, compte tenu des difficultés sociales et financières de la ville. Nous accompagnerons 10% de la population du bidonville. Et pour les autres, c’est au gouvernement qu’il faut poser la question, pour qu’il nous donne les moyens d’appliquer la circulaire de 2012 imposant un accompagnement avant le démantèlement d’un campement. Le contexte est national et européen, les communes ne peuvent pas régler seule le problème à l’échelle locale."

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"Il y a toutes les autres familles qui vont rester sur le carreau"

Nicole Brulais, de l’association de soutien aux familles roms de l’Essonne admet que "la mairie de Grigny a déjà fait plus que beaucoup d’autres municipalités", mais estime que cette prise en charge au cas par cas reste insuffisante, car "il y a toutes les autres familles qui vont rester sur le carreau".

Le conseil municipal de Grigny a déposé en juillet une motion réclamant à l’Etat une contribution financière pour la mise en œuvre du projet d’accompagnement, estimant que "l’expulsion des campements sans solution alternative ne fait qu’aggraver la misère et provoquer leur déplacement sur d’autres lieux souvent proches".

Et en effet, selon toute vraisemblance, les expulsés sans solution d’hébergements risquent fort de retourner à Ris-Orangis pour y construire un nouveau bidonville. Et peut-être à terme revenir à Grigny. "Ça n’arrivera pas", avance pourtant la ville, aux prises avec ses contradictions :

"Il n’y a pas de raison que les familles viennent se réinstaller à Grigny et il serait criminel que certaines associations les encouragent à revenir au même endroit. Notre démarche n’est pas de maintenir les familles sur le bidonville mais de les en sortir", affirme le cabinet du maire. Affaire à suivre. 

Elena Brunet - Le Nouvel Observateur

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